Chapitre 25

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26 janvier 2021

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26 janvier 2021

Après avoir passé une heure à me préparer, j’arrive enfin au pub, anxieux de retrouver Malik. Je commence à reprendre mes marques et je me sens mieux, mais je sais que je suis toujours sur un fil tel un funambule cherchant l’équilibre parfait, mais j’ai décidé de me reprendre en main. J’ai conscience que bien souvent les bonnes résolutions tombent à l’eau pourtant j’ai envie de croire que je vais de nouveau m’épanouir cette année.
Emmitouflé dans mon manteau, je pousse la porte et balaie du regard la pièce. J’analyse rapidement les clients présents comme si un néon « psychopathe » allait clignoter sur leur front. Cette mauvaise habitude ne me quitte tristement pas. Je fronce les yeux, mais je n’arrive pas à distinguer la crinière brune de mon ami. Je me faufile jusqu’au bar et m’y accoude. Une fois installé, je scrute chaque table, chaque chaise, seulement il ne semble pas là. Je saisis mon téléphone et décide de lui envoyer un message pour savoir où il est. J’attends quelques minutes, sa réponse se fait attendre et malheureusement mon angoisse monte. Je décide alors de commander un verre pour faire passer la peur, comme si un simple coca avait ce pouvoir-là…
Soudainement, l’atmosphère semble s’alourdir et je lève automatiquement le regard. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, mais quoi qu’il en soit je n’apprécie pas du tout ce que je vois. J’ai l’impression de recevoir un violent coup de poignard, celui qu’on vous plante avec véhémence. Le sourire de ma blonde me paraît d’un coup bien hypocrite, quant à celui qui l’accompagne, il me sonne bien faux. Sans attendre une quelconque explication, je me mets debout, longe les tables, passe à côté d’eux et quitte le bar sans un mot. Je suis en colère, ils avaient ma confiance, je leur avais tout donné, mais j’avais seulement besoin de cloisonner. Ils ne peuvent pas comprendre qu’ils viennent de briser la douce mélodie que je tentais de composer à nouveau. Mes pas martèlent le sol au rythme des pulsations produites par mon cœur.
— Jo ! S’il te plaît, arrête-toi ! Merde, Jo, ralentis !
J’entends sa voix pourtant je refuse de céder. Elle m’a trahi, comme si nous étions de simples copains. La haine s’installe, celle qui brûle de l’intérieur et qui te repousse dans tes retranchements. Je ne pensais pas que leur manigance me ferait si mal.
— Jo ! Stop !
J’ai l’impression d’imploser. Entre les questions, la colère et tout l’amour que je leur porte, je n’arrive pas à tout gérer. Ça me consume et l’angoisse du point de non-retour me pèse.
— Jo ! Joan s’il te plaît, pardonne-nous, on ne voulait pas…
Ses mots s’éteignent dans un murmure et emportent avec eux, la douleur que je ressens. Je me stoppe net en plein milieu de la rue et tout semble s’arrêter, le temps, mon indignation, ce moment. Je n’aime pas la voir dans cet état, elle qui a vécu tant de drames, de souffrances. Ses pas se rapprochent, ses bras m’étreignent et sa tête se cale entre mes omoplates. Je me laisse faire, je n’ai pas la force de lutter face à sa fragilité.
— Tu sais même si tu fais tout pour aller mieux, on veut t’aider Jo, parce qu’on ne veut pas te perdre…
J’attrape ses mains, me retourne et sans réfléchir, je la laisse me guider. J’ai envie de croire que ce n’est pas un fichu guet-apens et que je ne suis pas naïf de la suivre. Les quelques mètres qui me ramènent au bar se font dans le plus grand silence. Elle pousse la porte et me laisse entrevoir la crinière brune que je cherchais quelques minutes plus tôt. Sa mine contrite me confirme les propos de Justine, s’ils ont fait ça, c’est pour moi. Mutique, je prends place face à mes deux seuls amis.
— Depuis ta dernière visite au gymnase, tu as refusé tous mes rendez-vous sauf ce soir. Arnaud m’a dit que tu étais venu travailler, mais qu’il s’inquiétait lui aussi. Alors je lui ai demandé le numéro de Justine. Je savais que ça te plairait pas, mais on s’inquiète pour toi…
Je tourne mon visage vers elle, dans l’attente de son explication. Ses yeux s’embuent et tant pis pour les mots, cette émotion me suffit. Pourtant malgré sa sensibilité, je la vois prendre une grande inspiration et se lancer.
— Jo, même si j’aime beaucoup ce que nous partageons. T’es mon meilleur ami et je n’ai aucun souci à faire une croix sur tout ça si j’ai la certitude que tu iras mieux. Dis-nous ce qu’on peut faire.
Comment leur répondre que je ne sais pas, que je ne suis pas capable de gérer tout ça. Comment leur expliquer que je suis rongé par l’angoisse ? Comment leur dire que la seule chose qui m’obsède c’est elle ?
Comment leur confier que je suis perdu sur ce que je veux ?
— Tu as deux options. Soit tu tournes complètement la page. Tu acceptes de rien savoir et de la laisser suivre son chemin et toi t’essaies de te construire ta vie. Soit je confirme ma demande à Soraya, on la retrouve et on fait tout pour que tu la voies. La réponse, on l’a connaît tous les trois, faut juste que tu l’admettes. Le choix, tu le fais ce soir avec nous.
Son ton est dur, sans appel. Vivre sans elle, cette première hypothèse me semble totalement impossible. Elle me hante jour et nuit. Ces cinq années sans sa présence a été comme une vulgaire pièce de théâtre dans laquelle je tentais de jouer un rôle inadapté. J’ai vraiment essayé, mais en deux mois à ses côtés, j’ai compris ce que voulait dire aimer. Ce sentiment où tu pries pour donner ta vie à la place de la sienne. Ma décision est prise.
— Malik, il faut que je la voie.
Ses yeux se posent sur moi et je prends pleinement conscience de ce besoin viscéral qui me torture depuis bien trop longtemps. J’ai besoin d’elle, j’ai besoin de la voir, j’ai besoin de croiser son regard. Et pourtant je sais aussi que de ses recherches dépend mon avenir. Si elles échouent, je ne sais pas dans quel état ils risquent de me retrouver. Mais je ne suis pas seul.
Justine saisit ma main et m’adresse un franc sourire. Je sais que ma décision risque d’entacher notre amitié, mais c’est Constance. Il n’y a eu qu’elle et il ne pourra y avoir qu’elle.
— Je téléphone à ma sœur demain et elle prendra contact avec toi. J’en profite pour te rendre ça, j’en ai fait une copie pour elle.
Il me tend le dossier que je lui avais confié avant Noël. Je le saisis et le garde contre moi, comme une chose très précieuse, sûrement le symbole de futures retrouvailles. Après avoir pris un verre, mes deux amis me raccompagnent à la maison et je rentre l’esprit apaisé. Je ne sais pas de quoi l’avenir est fait, c’est évident. Mais cette soirée m’a fait beaucoup de bien et surtout je réalise que je n’avance plus seul dans ce brouillard.
Le lendemain matin, je me réveille le cœur léger, comme si avoir accepté l’aide me permettait d’avancer. En tout cas, j’ai ce désir d’y croire et pour concrétiser cette avancée, je décide d’en parler à mon frère. Je me dois d’être transparent avec mon aîné, lui qui a tant souffert de ma période de creux.
Arrivé à l’agence, je salue mes collègues et me précipite dans le bureau d’Arnaud. Mon visage semble parler pour moi, car avant même que je ne dise quoi que ce soit je vois ses traits, se détendre. Je lui raconte brièvement ma soirée, mais surtout je prends sur moi pour lui livrer ce que je souhaite.
— La sœur de Malik va essayer de la retrouver et j’ai envie d’y croire. Je dois la voir dès qu’elle aurait des nouvelles, mais elle va me tenir au courant. Je crois que c’est un peu ma dernière chance.
Il écoute attentivement ce que je lui raconte comme un précieux secret que je lui confie.
— Si sa recherche est positive, je pense que je vais avoir besoin de prendre des jours si jamais je dois partir la retrouver. Je ne sais ni quand ni comment, mais j’espère que ça ne te dérange pas, confié-je, légèrement gêné.
Il acquiesce et ne semble pas du tout embêté par ma demande. J’en profite pour continuer.
— Je ne sais pas comment ça va se passer. J’ai peur qu’elle ne veuille pas de moi, qu’elle me rejette. Si ça se trouve, elle m’a oublié et a refait sa vie sans penser à moi. Quoi qu’il en soit, j’ai la nécessité qu’elle fasse partie de mon avenir de n’importe quelle manière. J’accepterais tout ce qu’elle veut. Et j’espère qu’un jour, tu la rencontreras.
Il semble ému par mes révélations et moi apaisé de lui avoir confié. La boule d’angoisse n’a pas totalement disparu, mais je sais que c’est la meilleure chose que j’ai à faire. La retrouver.
Je me lève et m’apprête à quitter le bureau lorsque mon frère m’interpelle.
— Est-ce que je peux en parler à Maman ? Depuis Noël, elle n’ose pas t’envoyer de message. Elle a peur.
J’acquiesce parce que même si je ne veux pas l’avouer sa présence me manque bien plus que je ne pourrais l’accepter. Arnaud me sourit et je quitte son cabinet soulagé par notre conversation. La journée se passe bien et je décide d’envoyer un sms à Justine pour essayer de la voir dans la semaine.
Sa réponse se fait attendre et m’inquiète quelque peu, elle qui est généralement si réactive. Comme une vieille habitude, je me mets à trier les dossiers, à ranger les ventes réussies et à contacter quelques clients pour ne pas plonger dans mes pensées.
Alors que je suis en rendez-vous avec Éloise, je reçois enfin un retour de ma meilleure amie. Je lis son message et finis par ne plus suivre la discussion avec elle.
— Joan ?
Je relève le visage et pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression de découvrir ma collègue. J’ai la sensation que le voile s’est levé et que j’émerge de plusieurs années de coma. Je m’excuse et me reconcentre sur notre travail.
Alors que je rentre à peine de ma séance à la salle, Justine débarque à l’appartement les bras chargés et fait ce qu’elle peut pour ne rien renverser.
— Je me suis dit que pour notre repas de séparation, je pouvais me faire plaisir. J’ai pris deux menus maxis Best of, un wrap en plus pour toi avec deux MC fleury pour moi.
Je la regarde amusé par sa remarque et par la quantité de nourriture achetée.
— Bah quoi c’est vrai, tu me plaques pour retrouver la femme de ta vie.
Ma Juju dans toute sa splendeur, la drama queen est de sortie. Il n’y avait plus rien de physique entre nous depuis plusieurs mois. Quoi qu’il se passe, je sais que nous allons devoir apprendre à avoir une relation plus modérée, mais elle restera ma meilleure amie.
J’enlève mon t-shirt couvert de sueur et lui lance à la figure.
— T’es dégueu Jo ! me hurle-t-elle depuis le salon alors que je me dirige vers la salle de bain.
La douche me fait un bien fou et je me dépêche de retrouver Justine sur le canapé. Je me suis à peine assis qu’elle se jette sur notre repas.
— J’avais la dalle. Au boulot, c’était la merde aujourd’hui. On a eu un problème sur une commande et Aymeric au lieu de régler ça, il a rejeté la faute sur Boris. Bref c’était vraiment tendu.
Elle a un débit de paroles absolument effrayant quand elle est angoissée. Et je n’ose même pas parler de sa façon de dévorer ses frites. Heureusement que je la connais parce qu’en ce moment, elle ferait fuir n’importe quel homme sain d’esprit. Une fois, son menu englouti, elle s’approche de moi et me lance très sûre d’elle.
— Bon comme tu vas finir par retrouver l’amour t’aurais pas un ami à me présenter ?
— Je regarde ce que j’ai en stock. J’ai un mec qui a quinze ans de plus que toi et qui est en couple avec une femme exceptionnelle ou alors un camé, au moins il a ce qu’il faut pour te supporter ! la vanné-je.
Elle m’assène une grande tape avant de se réfugier contre moi. Elle semble un peu déçue et c’est pas évident d’assumer que je suis en partie responsable de son état.
— Je savais que c’était pas toi l’homme de ma vie, mais j’ai peur de ne jamais trouver personne qui m’aime pour ce que je suis.
Je la rassure comme je peux sur la formidable femme qu’elle est. Je lui explique que quoi qu’il se passe, elle est et restera ma meilleure amie, celle qui m’a accompagné durant ce long trajet. J’ai l’impression que ces quelques mots font leur chemin et je prie pour qu’elle puisse s’épanouir bientôt…

Les jours qui ont suivi se sont bien passés, comme un renouveau. Je n’ai toujours pas de nouvelles de Soraya, mais je ne m’inquiète pas, je sais qu’elle a besoin de temps. J’essaie de ne focaliser dessus et de profiter de cette nouvelle période qui débute.
Musique dans les oreilles, je fais revenir les lardons dans la poêle et les pâtes sont quasiment prêtes. Un peu de crème fraîche et je mélange le tout. Mais à peine ai-je éteint le feu que des coups se font entendre. J’enlève mes écouteurs et constate que les bruits proviennent de ma porte.
— Joan, ouvre, je sais que tu es là !
J’écarquille les yeux, plus que surpris d’entendre cette voix, c’est impossible qu’elle soit sur mon palier.
— Joan, s’il te plaît !
Je pose tout ce que j’ai dans les mains, retire la nourriture des plaques de cuisson. Je m’approche du judas et cela confirme bien ce que je pensais. Elle est ici.
Mes doigts se posent sur la poignée et ouvrent le battant en bois. J’ai à peine eu le temps de l’inviter qu’elle se blottit contre moi.
— Je suis désolée, j’aurais dû être présente pour toi, mon cœur.
Je ne sais pourquoi, mais ce contact me fait un bien fou. Je l’ai attendu depuis si longuement que je le savoure sans crainte. Je n’appréhende même pas notre échange, car je sais à quel point ce geste d’affection doit lui coûter.

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant