Prologue

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Son souffle s’abat sur ma peau et la réchauffe. Je savoure ce dernier contact avec celui qui partage mon quotidien depuis plus de soixante-deux jours. Plus de deux mois qu’il est le seul repère dans ma tempête. Il y a tant de choses que je souhaiterais lui dire. J’aimerais qu’il sache que ses yeux bleus me permettent de m’échapper quand les coups s'enchaînent, que j’aime écouter ses mots avant de sombrer sous la fatigue, que j’ai appris à ses côtés bien plus qu’avec n’importe quel livre. Je réalise le pouvoir qu’il a sur moi. Il m’apaise et me réconforte. Qui aurait pu croire que dans cet enfer je puisse tomber amoureuse? Je ne sais pas à quel moment c’est arrivé. J’ai conscience que c’est de la pure folie. Mais c’est lui. Mon espoir. Ma force. C’est notre lien qui me sauve chaque jour mais qui nous entraîne davantage dans le cauchemar. Ce monstre a compris. Il sait et en abuse. Il nous manipule et nous torture un peu plus que le temps avance. Je ne sais combien de temps nous tiendrons… 

Je me blottis contre lui. Je caresse son visage et soupire. Je suis prête à ne plus jamais le voir pour avoir une chance de le sauver. Je donnerais ma vie pour cet homme. Depuis mon arrivée ici, je me suis même mise à prier. Moi, la petite athée parisienne qui ne croyais qu’en une chose, la vie. Être enlevée le jour où la vierge est censée monter au ciel… Quelle drôle d’ironie. Mais je refuse d’y voir un signe. Ma place est ici, sur terre, auprès de lui. Je secoue la tête, mon esprit est mon pire ennemi. Je dois garder la tête froide.

Joan est profondément endormi. Il n’est pas serein, je le vois. Sa ride se creuse de jour en jour. Je sens que son corps est de moins en moins capable de supporter la faim, le froid et toute cette torture. Son torse est entaillé, son dos bleuté et ses jambes lacérées. Combien de temps va-t-il supporter ce cauchemar? Je ne veux plus le voir se sacrifier à ma place. C’est une autre forme de persécution pour moi. 

Je tente de ne pas faire de bruit avec mes chaînes mais c’est peine perdue. Je dépose un baiser sur ses lèvres et me force à fermer les yeux. Le sommeil est la dernière chose qu’il nous reste… 

Un craquement sourd nous fait sursauter. Je m’affole. On ne sait jamais à quoi s’attendre ici. Joan prend mon visage entre ses mains et m’adresse un faible sourire. Pourtant le bruit des pas qui martèlent le sol me tordent le bide. Je me relève, me retourne et fais face à celui qui vient de faire irruption dans notre antre. Ne rien montrer. Garder la tête haute.

Il n’a plus besoin de dire qui il est. Je reconnais ce regard. Je sais sa violence. Je connais sa haine profonde. J’ai peur pour Joan. Il ne survivra pas une nuit de plus avec ce monstre.

— Viens là petit merdeux! Le petit m’a dit ce que tu as fait hier. Si ça t’a amusé, prépare toi car c’est ton jour.

Il détache les poignets de celui que j’aime et l’attrape de force. Seulement, je vois bien que Joan n’a plus la capacité de se débattre. J’ai peur. Je ne veux pas le perdre.

— Lâche-le putain, je t’en supplie ! Prends-moi à sa place ! 

J’entends mon compagnon refuser mais je m’accroche à la jambe de notre bourreau. Si je le perds, si Joan ne s’en sort pas, je ne m’en remettrai pas. Je n’ai pas le droit de baisser les bras. Je me relèverai, je lui ai fait la promesse de lutter pour deux. Tant que son regard brillera, je me battrai pour lui. Malheureusement, le coup de pied que je reçois au visage me cloue au sol. Je lâche soudainement mon tortionnaire et laisse une seule larme couler. J’aperçois une dernière fois le regard de Joan avant que le battant en bois ne se referme sur lui.

Je lutte pour ne pas sombrer et me mets à compter. Ce toc est apparu après une longue absence. Je garde ce repère afin de me préparer au retour de l’homme que j’aime. Plus le temps passe, plus je sais que les séquelles seront horribles.

Mais son retour se fait attendre et l’angoisse monte. Il a promis de se battre mais Jean est le pire de tous. 

Cent-dix sept jours, est-ce celui de trop pour lui ? 

Non, je refuse de m’y plier. Je veux croire qu’il tiendra sa promesse. Il ne peut pas baisser les bras, il ne peut pas m’abandonner. J’ai besoin de lui. Pourtant le temps s’égraine bien trop vite et je n’entends aucun bruit.

Je ferme les yeux et prie encore une fois pour lui.

— Seigneur, Jésus ou Marie, qui que tu sois là-haut, je suis devant toi pour te demander de l’aide. Il a besoin de toi. Protège cet homme bon, bienveillant, doux. Je t’en supplie, aide-le… 

Je récite le notre père que ma grand-mère nous apprenait plus jeune et espère que mes mots auront la puissance suffisante pour être entendus. Mais je n’ai le temps de finir qu’un hurlement parvient à mes oreilles suivi d’un coup de feu.

Mon cœur tombe au creux de mon ventre, mes jambes courent jusqu’à la porte, ma voix hurle à n’en plus pouvoir et mon esprit sombre, comme l’homme que j’aime… 

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant