Chapitre 6 (1/2)

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J'attendis que le manoir ne soit plus dans mon champ de vision pour souffler. Le vent qui me giflait le visage était bénéfique. Tout en savourant l'air frais qui s'infiltrait dans mes poumons, je me tournai vers Mæve. Elle me scrutait avec un air soucieux, les yeux subtilement écarquillés.

— Qu'est-ce qui vient de se passer ? soufflai-je en me frottant le front.

— Pas la moindre idée. Mais, bon sang, Dala, tu t'embourbes toujours dans des situations improbables. ( Soulagée, elle ricana, et je l'imitai.) J'ai cru qu'elle allait te tuer et te déshabiller en même temps.

— Moi, j'ai surtout cru que j'allais la tuer ! Une révérence, Mæve ! Tu m'as fait faire une révérence !

J'éclatai franchement de rire devant sa tête déconfite.

— Tu étais ridicule en plus, grommela-t-elle. C'était une première ?

— Et la dernière ! Non, mais franchement, Mæve. Vous faites encore ça, chez les vamp' ?

Pour toute réponse, elle plissa les paupières et me fourra la liste des invités dans les bras.

— Arrête de te moquer. Occupe-toi de ça, plutôt, madame « je suis une louve assez intéressante aux yeux de Lilith pour être transformée ».

Mon sourire se crispa, et je lui donnai un coup de coude.

Le motel que nous avait déniché Jasper était miteux. Pas cher, en périphérie de Portland, et un brin malfamé. Les murs, aussi épais que du papier à cigarette, laissaient filtrer toutes les conversations de nos voisins de chambrées.

La moquette qui recouvrait le sol de la nôtre dégageait une odeur désagréable, des tâches suspectes entouraient nos deux lits simples, et les rideaux à carreaux étaient troués par les mites. Le même motif se répétait sur les couvertures, ne dissimulant que partiellement leur côté sale et râpeux.

Je grinçai des dents en posant mon sac sur le lit près de la fenêtre, et repoussai d'un doigt le rideau pour jeter un coup d'œil à l'extérieur. J'ignorai le nuage de poussière qui s'envola en observant le défilé incessant des voitures qui passaient à quelques mètres.

— C'est vraiment du haut standing, commenta simplement Mæve en me rejoignant.

Alors que j'allais me résoudre à éplucher la liste des noms fournis par Lilith, mes oreilles perçurent un grondement, bas et grave. Sans aucun doute, il s'agissait de celui d'un loup, d'un mâle. D'un solitaire ayant conscience de la présence d'un autre solitaire.

Je m'éloignai de la fenêtre pour réduire le bruit des pneus sur l'asphalte, et allais ouvrir avec prudence la porte qui donnait sur le couloir. Restée immobile, sourcils froncés, Mæve m'observait sans rien dire. Au fil du temps, elle avait appris à se fier à mes instincts de métamorphe sans m'interrompre, et à poser les questions après.

Ma copine et moi étions deux prédatrices d'un genre différent. De la même manière qu'elle reconnaissait ses congénères d'un simple coup d'œil, j'identifiais les miens à l'oreille. Et parfois à l'odeur.

Et , ce timbre de voix rauque, un brin sexy, évoquait curieusement quelque chose en moi, comme un écho lointain.

Presque au ralenti, je quittai la chambre en grondant à mon tour, mes pas étouffés par la moquette lie-de-vin. À mesure que je me rapprochais de la porte du fond, les sons devenaient de plus en plus clairs, de plus en plus familiers.

Comme si le loup de l'autre côté avait tout aussi conscience de ma présence que moi de la sienne, j'entendis ses pas se rapprocher. Des pas lourds, une haute stature, une fragrance d'espoir. L'odeur de la solitude, aussi, triste et épineuse.

Alors que j'allais poser la main sur la poignée, la porte s'ouvrit à la volée.

Le regard gris qui me fit face brisa quelque chose en moi. Étouffa une vaine espérance, muselant un désir ridicule. L'intérieur de mon poignet me brûla à cette pensée.

Entre ses griffes T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant