Dans le monde des rêves, affronter une tempête de neige de cette ampleur était une première. Je sentais pratiquement le vent et le froid me fouetter le museau, mes coussinets plongés dans une couche de neige épaisse et glaciale. Une première, différente de toutes les autres fois.
À la hâte, je m'étais glissée dans une tanière creusée entre les racines d'un pin. Bien qu'elle soit inoccupée, l'odeur des blaireaux qui l'avait creusée était encore présente. Je montrai les crocs en grondant doucement. Large et spacieux, ce terrier était une bénédiction.
Je m'ébrouai avant de m'installer face à l'entrée, la queue posée sur mes pattes gelées. En dressant les oreilles en avant, je pouvais même tenir assise. La neige qui était tombée de ma fourrure argentée avait fondue sur la terre battue, créant une fragrance agréable de pétrichor. Même si elle dissimulait parfois certaines traces, j'avais toujours apprécié l'odeur de la pluie.
Un léger courant d'air faisait danser les poils qui recouvraient mes épaules. Ce refuge possédait probablement plusieurs entrées. Ceci n'aurait pas été étonnant, je me trouvais dans la demeure de blaireaux, après tout. Il fallait que je garde un œil derrière moi, les lynx étaient fréquents à cette période.
Peut-être que les blaireaux étaient déjà morts de froid, recouverts par les flocons qui tombaient sans discontinuer en fouettant l'air. Ou alors, ils allaient arriver d'une minute à l'autre, comme de parfaits amuse-bouches.
Quand un discret craquement se fit entendre à l'extérieur, droit devant, je bougeai imperceptiblement, déplaçant mon poids sur mes membres postérieurs, prête à bondir au moindre mouvement. En voyant l'ombre qui grandissait à mesure que quelque chose approchait, mon dos se hérissa.
Cependant, je me détendis aussitôt en avisant l'immense loup qui me rejoignit. Sa forme ne trompait pas, c'était bel et bien lui.
Dorian Morff.
Sous sa forme animale, cet homme était la créature la plus massive qu'il m'avait été donné de voir. Un pur mélange de muscles, de pouvoirs et de virilité. J'avais été témoin de la puissance qu'il pouvait dégager, de l'immensité de son énergie de mâle Alpha, à plusieurs reprises. Depuis, j'avais pris conscience du contrôle qu'il exerçait sur lui-même pour dissimuler cette masse phénoménale.
Puisque le plus grand prédateur de cette forêt était à mes côtés, je pouvais baisser ma garde. Personne, humains comme animaux, n'oserait s'aventurer jusqu'ici désormais.
Sans rien louper, immobile et patiente, je le regardai s'approcher de moi. La noirceur de sa fourrure absorba le peu de luminosité présente, et son regard clair, si singulier, se braqua au mien. Lors de notre première rencontre, ses yeux m'avaient évoqué la couleur de l'écume sur le sable, celle de la pointe d'un iceberg perdu au milieu d'un océan bleuté. Aujourd'hui, ces teintes se mêlaient aux reflets argentés de la lune sur une plaine recouverte de neige.
Le terrier, qui m'avait paru vaste au premier regard, paraissait désormais ridiculement étroit. Dorian était obligé de courber l'échine pour avancer, il ne pourrait jamais tenir assis sur son arrière-train comme je le faisais.
Il s'arrêta tout près de mon visage. Je pouvais sentir l'air chaud sur mon visage à chacune de ses expirations. Avec une lenteur calculée, sa truffe humide s'approcha de la mienne, me laissant le temps de m'éloigner si je ne voulais pas de ce contact. J'aurais pu reculer, bien-sûr, mais je désirais sa chaleur aussi ardemment que lui voulait de la mienne. Je le voulais parce que je savais que tout ceci était irréel, une illusion construite de toutes pièces.
Je redoutais déjà l'instant où la douleur me saisirait, cuisante et implacable. Où il me serait arraché, le moment où les cris, les siens, les miens, me vrilleraient les oreilles. Le moment où je verrai la peur, la tristesse et l'impuissance dans ses yeux écarquillés. Lorsqu'il tendrait la main dans l'espoir de me retenir, nos doigts à quelques centimètres de s'effleurer. L'instant où...
Je m'approchai de mon propre chef vers sa chaleur, effleurant son museau, glissant le visage le long de ses moustaches, frottant mon oreille contre la sienne, calant ma truffe contre son garrot. J'emplis mes poumons de son odeur, me remémorant les notes boisées de sa peau, celles de la sève, des épices. De lui, tout simplement. Mes paupières se fermèrent en le sentant faire de même, inspirant profondément pour se gaver de mon parfum.
La soudaine et légère morsure que je sentis me fit rouvrir les yeux. À peine un effleurement des dents, mais il avait raison, il fallait garder les yeux ouverts. Si je m'assoupissais maintenant, je serais arrachée de ce rêve aussitôt, et la douleur nous rattraperait bien trop tôt.
Dorian se laissa choir sur le flanc, et je me couchai à ses côtés, le corps collé au sien, nos pattes entremêlées. La chaleur qu'il dégageait était bienvenue, elle me pénétrait jusqu'aux os. Je soupirai en posant la tête contre son poitrail. Cet instant me rappelait la seule fois où Dorian et moi avions partagé un lit.
Alors que je m'apprêtais à quitter la meute comme une voleuse, en pleine nuit, il était venu à ma rencontre pour m'empêcher de faire une telle erreur. J'avais espéré pouvoir partir sans un regard en arrière, sans la douleur déchirante des adieux, mais il m'en avait empêché d'un simple regard – une supplique muette. Je ne pouvais pas quitter cet homme de cette manière, et la douleur à venir m'avait fait ployer. Il avait ouvert la porte de sa chambre, m'avait fait une place entre ses draps, me tenant entre ses bras. Nous avions dormi de cette manière et je m'étais réveillée comme jamais auparavant au cours de la nuit ; la tête sur le torse d'un homme, ses bras autour de mon corps, son nez dans mes cheveux. Apaisée par les battements puissants de son cœur, sa cage thoracique bougeant en rythme avec sa lente respiration, je m'étais replongée dans le sommeil en souriant.
Sans prononcer un seul mot, nous étions restés ainsi pendant des heures. Lorsque j'avais ouvert les yeux au matin, il avait disparu et sa place était froide. Puis le moment de mon départ était arrivé. Aucun mot n'avait franchi la barrière de nos lèvres lorsque nous nous étions regardés dans les yeux – ils parlaient pour nous.
Dorian posa la tête sur la mienne, le nez entre mes oreilles, et je fus persuadée qu'il repensait à ce moment aussi, à cette nuit. Le seul moment de paix que nous avions connu. Peut-être même avait-il fermé les yeux pour s'y replonger totalement, pour se gorger de ce moment.
Comme il me l'avait fait plus tôt, je pinçai doucement sa peau entre ses dents. Il inspira brusquement puis soupira.
Puis son pouvoir enfla, s'étirant autour de nous. Son corps fut englobé d'une lueur dorée, et son corps se mouva contre le mien.
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Entre ses griffes T2
FantastiqueSon séjour dans les White Mountains, Dalaena s'en serait bien passé - surtout la rencontre avec son Alpha, Dorian Morff, à vrai dire. Désormais de retour chez elle, loin de l'horripilante et séduisante bête, reprendre le cours de sa vie aurait dû ê...