⸙
La Mère Supérieure me guida au centre du cloître, un espace à ciel ouvert où quelques sorcières se promenaient. À mon approche, les discussions cessèrent, les regards se firent noirs, et les messes-basses commencèrent. Rien de nouveau.
Au centre, un puit se trouvait, et elle s'en approcha en soulevant sa longue robe. Elle s'assit sur le rebord, et tapota la pierre à ses côtés pour que je fasse de même. En affrontant les expressions outrées des autres, je m'exécutai en souriant.
— Disparaissez.
Aussitôt, les sorcières retournèrent à l'intérieur, la mine soucieuse. Seule la vieille qui nous avait ouvert la porte manifesta un doute.
— Mère Supérieure ! Et si ce loup décide de s'en prendre à vous ?
— N'aies crainte, Esther. Je suis loin d'être sans défenses.
— Oui, bien-sûr, veuillez m'excuser. Je serai à l'intérieur.
Désormais seule, la sorcière pivota pour me faire face. Ses mains tâchées par la vieillesse étaient parcourues de légers spasmes, comme s'il lui était impossible de rester parfaitement immobile.
— Je ne pourrais pas localiser ce bijou précisément, mais seulement te donner une indication. Donne-moi la photographie que tu caches dans ta poche.
J'obéis sans poser de question, ne cherchant pas à savoir comment diable une chose pareille était possible. Quant à la localisation précise... c'était toujours bon à prendre.
— Une fois que ce sera fait, nous serons quittes et les sorcières auront réglé leurs dettes. C'est clair ?
— Parfaitement. Comment faut-il procéder ?
À la vitesse de la lumière, sans que je ne puisse réagir, la sorcière s'empara de mon poignet, de celui marqué par Dorian. Elle passa le pouce sur la cicatrice, et le mouvement de recul que j'eus fut totalement inefficace. Sa poigne était incroyable, magiquement scellée, et je serrai les mâchoires en respirant plus vite, incapable de m'en défaire.
Elle sortit ensuite un couteau d'un pli de sa robe, et le posa contre ma paume. Mon cœur battait à tout rompre. Si elle tentait le moindre mouvement suspect, je planterais mes dents dans sa gorge.
— Ne panique pas. D'ailleurs, mon sang est empoisonné. Tu ne quitterais pas notre coven en vie.
J'acquiesçai sans mot dire, et la laissait inciser ma paume. Le sang jaillit à l'intérieur du puits, percutant l'eau du fond en une fine pluie.
Tandis qu'elle se concentrait sur la photo en fermant les yeux, je gardai le bras tendu au-dessus du vide, accompagnée par le goute à goute régulier. Elle psalmodiait doucement dans une langue qui m'était inconnue, jusqu'à ce qu'elle ne déchire l'image de Lilith et de son collier en petits morceaux, et qu'elle ne les jette aussi au fond du puits.
Quand elle se leva soudain, je gardai les yeux en direction du puits. Notre seule image de Lilith – de son collier – venait d'être réduite en miettes et jetée aux oubliettes. Je me forçai à garder le silence, j'imaginai que nous n'en aurions plus besoin, désormais.
Lorsque je reportai mon attention sur la sorcière, j'eus la chair de poule. Mes jambes me poussèrent à fuir, mais je restai stoïque devant ses yeux révulsés. Complètement blancs, écarquillés sur une chose qu'elle seule voyait, je crus qu'elle allait s'écrouler comme une poupée de chiffon.
Ses poumons sifflaient à chacune de ses respirations rauques, et elle chancelait sur ses jambes, se rapprochant dangereusement du rebord du puits.
J'étais prête à la rattraper si elle venait à chuter à l'intérieur quand elle hurla soudain en se prenant la tête à deux mains. Comme si ses tendons venaient d'être sectionnés, elle tomba brusquement à genoux. Sans même le voir, elle esquiva d'un mouvement d'épaule la main que j'allais poser sur son bras pour lui venir en aide.
Sans qu'aucun mot n'en sorte, ses lèvres frémissaient à toute vitesse. Exactement comme si un texte défilait précipitamment sous son regard sans qu'elle ne parvienne à discerner quoique ce soit.
— Portland ! articula-t-elle soudain dans une inspiration difficile à soutenir. Caché par un homme-bête. (Ses sourcils se froncèrent, comme si les signes étaient difficiles à déchiffrer.) Une bête qui court et hurle à la lune. Une femme en est proche aussi. Un écrin de verdure l'entoure, du blanc aussi. Et de la colère, beaucoup de colère.
Lorsque la vieille dame retomba en avant, face contre terre, je crus qu'il en était fini d'elle – et que son coven entier allait déclarer la guerre à la Guilde par ma faute. Qu'elle avait trop puisé dans ses réserves, jusqu'à s'épuiser totalement. Heureusement, il n'en fut rien, et le faible gémissement qu'elle poussa me fit me précipiter à son chevet.
Je levai la main en direction d'un groupe de sorcières nous observant à travers une des alcôves intérieures, tout en faisant mine d'être occupées à faire tout autre chose. Je n'eus pas besoin de faire le moindre signe ; elles se précipitèrent sur nous en laissant exprimer leur inquiétude.
⸙
Un sentiment mitigé m'accompagnait lorsque je traversai les jardins pour quitter le coven. D'un côté, nous savions que le collier se trouvait toujours à Portland – c'était déjà en soi un exploit. Ce périmètre réduisait grandement nos recherches, mais cela reviendrait tout de même à chercher une aiguille dans une meule de foin. D'un autre, un loup était mêlé à tout ceci, et Lilith serait bien trop heureuse de me présenter son rictus lorsqu'elle l'apprendrait.
Un écrin de verdure l'entoure, du blanc aussi. L'image des White Mountains s'était imprimée dans mon esprit dès que les mots étaient sortis de la bouche de la sorcière.
Enfin, puisqu'un loup était concerné, l'Alpha de la meute la plus proche serait irrévocablement interrogé. Avec l'entrain d'un condamné à mort, j'ouvris la lourde porte pour retrouver Mæve, très peu enthousiasmée à l'idée de lui annoncer qu'elle allait enfin rencontrer le mystérieux Dorian Morff.
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Entre ses griffes T2
ParanormaleSon séjour dans les White Mountains, Dalaena s'en serait bien passé - surtout la rencontre avec son Alpha, Dorian Morff, à vrai dire. Désormais de retour chez elle, loin de l'horripilante et séduisante bête, reprendre le cours de sa vie aurait dû ê...