3 - Le joyau de l'empire

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🐲 1309 – Année du griffon 🐲


Trois années avaient passé depuis le décès de l'empereur Rezza. C'était pourtant une bonne décennie supplémentaire qui pesait sur les traits du régent Li-Peng. Ayant occupé le poste de conseiller privilégié de l'empereur pendant la majeure partie de sa vie, il était rodé à l'art de gérer un territoire ; la première ligne se révélait toutefois être une position bien plus complexe, surtout lorsque l'on s'y trouvait propulsé sans le soutien d'un ami fidèle.

La salle du trône se parait de longues bandes de tissu fleuri que les serviteurs déroulaient depuis les poutres du haut plafond. Des échelles de bambou traînaient çà et là tandis que la décoration printanière se déployait tel un rite annuel parfaitement établi. L'hiver avait été long et le redoux réchauffait tous les cœurs.

Li-Peng donnait l'impression d'être le seul à ne pas ressentir cette effervescence joyeuse qui animait tout le personnel du palais. Il avait bien trop de choses à régler avant de pouvoir se réjouir du temps qu'il faisait. La météo, ça n'intéressait que les paysans, se disait-il.

La corvée qui attendait le régent finit par se présenter à lui sous la forme d'une colonne composée de huit représentants provinciaux, trois sénateurs et un général à la tenue alourdie par de nombreuses décorations. Ils avancèrent sur le tapis rouge menant au trône avant d'effectuer une révérence pour marquer leur respect au régent.

Enveloppé dans une tunique longue, de facture sobre, Li-Peng jeta un œil désapprobateur aux tenues luxueuses des hommes et des femmes qui se présentaient à lui. Il prit un malin plaisir à faire durer le silence ; nul ne s'aventurerait à parler avant qu'il ne les y ait invités. Les lèche-bottes échangèrent entre eux des regards embarrassés jusqu'à ce que leur souverain se décide enfin à mettre un terme au calvaire.

— Gouverneur Osaro, on me dit que les nouvelles de la province de Sumérie sont préoccupantes. Veuillez démarrer ce conseil par votre rapport.

Un petit homme aux fines moustaches osa un pas en avant. Ses collèges, alignés en retrait, le regardèrent lutter contre la robe trop longue dans laquelle ses pieds s'empêtraient.

— Monseigneur, je tiens avant tout à vous remercier pour l'immense honneur que vous m'avez fait en me nommant gouverneur. Je vous en suis très reconnaissant.

— Je possède déjà des serviteurs assignés au cirage de mes souliers, objecta Li-Peng, agacé. Alors faites le travail qui est le vôtre et répondez à mes questions sans détour, je suis un homme occupé.

— Oui, bien sûr monseigneur, pardonnez-moi... rougit l'homme en s'essuyant le front du revers de sa manche tombante. Je ne suis pas en poste depuis très longtemps, mais j'ai vite identifié les problèmes. La province sumérienne est un territoire encore sauvage. Ça ne fait que quinze ans qu'il a été annexé à l'empire et nombre de ses habitants restent obstinément attachés à l'idée du royaume indépendant qui fut le leur.

— Les nouvelles conquêtes ont toujours un peu de mal à se faire au changement, commenta une sénatrice à la chevelure piquée de violettes fraîches. Plus tard, ils remercieront l'empereur Rezza de les avoir tirés de la médiocrité pour les intégrer à la civilisation.

— Mais l'empereur Rezza n'est plus là pour les discipliner, contesta un homme aux lunettes rondes.

— Et c'est bien le problème, reprit Osaro. La régence effraie beaucoup moins le peuple, ils ont l'impression que cette période de transition est propice à la contestation.

Les Héritiers des ChimèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant