5 - Six princesses (2/2)

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La vue depuis les toits de la tour principale valait bien le risque que l'on prenait en y grimpant. A vingt mètres de hauteur, on surplombait l'enceinte du palais ainsi que les quartiers riches de la ville ; la perspective était saisissante. Le spectacle se révélait d'autant plus vibrant ce soir, alors que la cérémonie de fermeture des festivités démarrait tout juste.

Dans le crépuscule, des milliers de lampes en papier poinçonnaient l'océan citadin. La foule se massait dans la grande cour du palais pour essayer d'entrapercevoir au mieux le régent, accompagné de la future impératrice. Toutefois, les cinq premiers rangs n'étaient occupés que par des soldats en armure ; question de sécurité.

Li-Peng récitait un discours préparé de longue date. Il mettait tout son cœur à la tâche, désireux de renforcer l'attachement et l'allégeance du peuple envers la famille impériale et sa dernière descendante. Les mots résonnaient contre les murs sans atteindre clairement le sommet des toits.

Calliope observait l'évènement depuis son perchoir en altitude, assise à côté d'un ornement sous la forme d'un dragon au corps serpentin. La présence de la chimère décorative la rassurait, elle s'y accrochait quand le vertige la saisissait parfois. Il faisait frais à cette hauteur et les coups de vent pouvaient se révéler traîtres, mais la jeune fille n'aurait échangé sa place pour rien au monde. Son père lui avait interdit d'assister aux festivités de la journée, sans fournir d'explication valable à ses yeux, alors elle se réjouissait de lui désobéir en profitant d'une partie de l'évènement malgré tout.

Un bruit dans le dos de la resquilleuse attira son attention. Une silhouette dans le contre-jour de la lune l'avait rejointe sur les tuiles d'argile carminé.

— Tu as réussi à te libérer... observa-t-elle en redirigeant son attention sur la foule.

La silhouette s'avança à petits pas puis s'assit aux côtés de Calliope, trop près du bord, non sans lutter contre la longue robe et les pans du manteau qui l'enveloppait.

— Ils étaient trop occupés à pomponner Meï-Catastrophe pour remarquer que je me suis éclipsée.

La remarque de celle qui avait hérité du sobriquet de Meï-Nuage provoqua le rire de sa camarade. L'idée était venue de Meï-Renarde, aussi rusée que son animal totem. Afin de simplifier les conversations au quotidien, les six princesses avaient adjoint à leur prénom un second mot évocateur d'un trait de caractère propre à chacune. Meï-Nuage avait écopé de son surnom car elle présentait un naturel rêveur et se montrait souvent réservée, aussi discrète qu'un cumulonimbus flottant dans l'immensité du ciel. Sa présence sur le toit du palais avait quelque chose de poétique et de cohérent avec son tempérament.

— La journée a dû être longue, j'aurais aimé voir ta sortie en public, regretta Calliope.

— Tu n'as rien manqué. Je suis restée deux heures en plein soleil sur les marches pendant le défilé des troupes. C'était d'un ennui...

— Mais au moins tu étais au cœur des évènements. Mon père m'a encore une fois tenue à l'écart, s'apitoya la fille du régent.

— Ne te lamente pas, Calli, tu sais combien j'aimerais échanger ta place avec la mienne. J'ai beau avoir le titre de princesse, ce n'est qu'un rôle de figurante. Tu n'imagines pas à quel point on peut se sentir invisible en dépit de tous les regards braqués sur soi. Quand la vraie princesse sera couronnée impératrice, on se débarrassera de moi comme d'une vieille poupée de chiffon.

— Je crois que tu sous-estimes la paranoïa de mon père. Le connaissant, il conseillera à l'impératrice de garder ses doublures auprès d'elle. Il faut avouer que l'idée est plutôt ingénieuse pour compliquer la tâche aux ennemis de l'empire.

Les Héritiers des ChimèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant