12 - Ennemis de la couronne

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La gifle fit valser la tête du prisonnier avec un craquement désagréable au niveau des cervicales. Les bagues de la tortionnaire laissèrent des écorchures ensanglantées sur les joues.

— Je n'ai aucune patience, alors gagnons du temps tous les deux et avoue tes crimes.

Le ton de la capitaine Calliope Huzang était tranchant et sans pitié, son visage fermé, son regard assassin. En face d'elle, ligoté sur une chaise, un homme aux boucles blondes respirait avec difficulté ; l'hématome sur son nez devait y être pour quelque chose. Les yeux bouffis, la lippe en sang et deux dents tombées sur son pantalon clair, il donnait tous les signes de la résignation.

— Je répète ma question, poursuivit l'intransigeante militaire qui tournait à la manière d'un prédateur autour du prisonnier. As-tu, oui ou non, eu accès aux appartements du conseiller Huzang la semaine précédant le couronnement ?

— Je n'ai fait que déposer les fleurs...

Ô comme l'excuse était aisée. Bien sûr, ce menteur travaillait pour le fleuriste de la cour – fleuriste qui avait lui-même résisté plusieurs jours avant de révéler le nom de tous ses employés. Livreur de fleurs, voilà une couverture idéale pour un traître de la pire espèce.

— Tu as volé des documents dans le bureau du conseiller.

— Des gardes m'accompagnaient, je n'aurais pas pu...

Une nouvelle gifle interrompit son plaidoyer. Les bagues lourdes et saillantes marquèrent le visage défait encore une fois.

— Avoue que tu as volé des plans du palais, gronda-t-elle entre ses dents serrées. Sinon je ferai interroger ta famille aussi.

Un sanglot irrépressible souleva la poitrine du malheureux.

— D'accord, céda-t-il. C'est moi, j'ai volé ce que vous voulez. Pitié, épargnez ma famille.

— Je veux les noms de ceux qui t'ont payé pour faire le sale boulot. Qui fait partie des Gargouilles ?

— Je l'ignore, je vous jure que je n'ai aucun lien avec l'attentat. J'ai toujours été fidèle à l'empire !

Le désespoir accablait le pauvre diable, bien conscient que sa vérité n'était pas celle que sa tourmenteuse voulait entendre. Il était condamné à n'être jamais cru, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, telle une malédiction inéluctable.

De dépit, Calliope lâcha un « tss » amer entre ses dents. Elle n'était pas prête à croire les excuses d'un lâche à la solde de l'ennemi, mais elle voyait bien que cet homme ne lui fournirait aucune nouvelle piste, pas aujourd'hui en tout cas.

— Je reviendrai t'interroger dans deux jours. Peut-être que tu seras un peu plus loquace après quarante-huit heures sans eau.

La capitaine quitta la cellule d'un pas décidé. Derrière la porte, son homologue Isidore l'attendait, les clés à la main. Elle lui transmit ses ordres concernant le prisonnier : ni nourriture, ni eau, ni lumière jusqu'à sa prochaine visite. La mine contrite de l'officier trahissait une forme de désapprobation.

— Tu ne crois pas qu'il aurait déjà parlé s'il était de mèche avec les Gargouilles ? osa-t-il en donnant deux tours de clé pour verrouiller la cellule.

— Tu ne crois pas que le drame du couronnement aurait pu être évité si mon père et les généraux en charge avaient été aussi méfiants que moi ? rétorqua-t-elle, tranchante.

— Si, sans doute...

Isidore baissa la tête. Calliope n'était plus la jeune recrue facétieuse et insouciante qui était devenue son amie. Depuis l'attentat, son caractère s'était durci. Finies les soirées au bistrot du coin à échanger des anecdotes amusantes, finies les parties de k'umari qui se terminent en fou rire à deux heures du matin, finies les confidences à l'aube naissant au sujet de leurs dernières conquêtes amoureuses. D'ailleurs, de conquêtes, il n'y en avait plus du tout. Les jeunes soldats qui avaient l'habitude de se disputer les faveurs de la jolie capitaine étaient désormais malheureux comme les pierres ; Calliope les ignorait royalement depuis que ses nouvelles fonctions accaparaient toute son attention. Faire de la cité impériale un bastion imprenable et écraser tout ce qui pouvait ressembler au frémissement d'une menace était devenu la priorité absolue.

Les Héritiers des ChimèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant