Anna repoussa son ordinateur en soupirant. Cela faisait plus d'une heure qu'elle fixait l'écran immobile, ouvert sur une unique page blanche, dans l'espoir d'un miracle.
La plupart du temps, les mots lui venaient naturellement, enfin, aussi naturellement que lorsque l'on a soigneusement préparé un plan complet sur le déroulement de son histoire.
L'année précédente, en même temps que son travaille de graphiste qui le demandait quasiment tout son temps et son énergie, elle avait réussi à trouver la force d'écrire son premier roman. Sans beaucoup de certitudes, et sans en parler à personne, Anna avait soumis son petit manuscrit à de nombreuses maisons d'édition françaises. Et, contre toute attente, après de nombreux comités de lectures réticents à sa plume, considérée comme ayant un humour un peu trop noir pour de la jeunesse, Anna s'était finalement retrouvée contactée, signée et publiée en moins de temps qu'il fallait pour dire « best-seller ».
Car en effet, contre toute attente, son livre, une histoire de sorcier, de malédiction et d'une héroïne de treize ans qui se battait contre les forces du mal, avait percé dans le monde difficile de la littérature jeunesse, lui faisant remporter quelques prix prestigieux.
Depuis, la jeune fille avait quitté son quarante heures semaine en laissant sa tablette graphique de côté pour s'atteler à l'écriture du deuxième tome.
C'est ainsi qu'elle s'était retrouvé à la terrasse d'un petit café, en plein mois de d'août, sur l'île de Jersey, afin de se changer de l'air polluée de Paris où elle habitait un peu par dépit.
Anna observait en silence les vacanciers commencer à rentrer lentement de leur après-midi de baignade pour aller se préparer à enchaîner sur une soirée festive au restaurant, ou sur un énième pique-nique sur la plage, devant le couché de soleil.
Le cadre était parfait pour une belle romance dégoulinante de clichés, songea-t-elle en sirotant son jus d'abricot tiédit par des heures au soleil et détrempé par les vestiges de glaçons ayant tentés en vains de rafraichir sa boisson.
Anna n'était pas contre un bon livre de romance, remplis de trahison, de complots, de baisés volés et de tensions. D'ailleurs, sa liseuse était pleine au tiers de ce genre de lecture. Mais, depuis que son ex-copain l'avait quitté l'année précédente de la pire des manières (c'est-à-dire, en lui envoyant un long SMS lui disant de ne plus jamais la recontacter, la laissant pleurer toutes les larmes de son corps sur le tapis du salon de l'appartement qui avait été le leur pendant presque deux ans), la jeune fille se prenait à regarder les couples amoureux avec un profond dégout.
La grande romantique avait laissé peu à peu la place à une vieille femme aigrie, ne croyant plus en l'amour et encore moins aux hommes. Au moins, son personnage, une ado de treize ans, n'allait pas connaître ce genre de déboires. Hors de question que l'amour intervienne dans ses livres, même si, elle le savait, ses petits lecteurs n'attendaient que cela.
Bon, elle disait livres au pluriel, mais pour le moment, pas une seule ligne du tome suivant n'avait été couché sur quoique ce soit, pas même sur un post it ou une note perdue dans son téléphone. Pourtant, Anna connaissait la suite et même la fin de son histoire écrite avec ferveur l'année précédente. Cependant, à présent sur la petite île anglaise depuis une bonne semaine, elle n'avait passé son temps qu'à lire, se dorer la pilule, et se balader jusqu'à ce que ses jambes ne puissent plus la soutenir.
La jeune fille commençait à remettre clairement en question sa condition physique. Son ostéopathe avait peut-être raison après tout, son corps avait vraiment besoin de bouger plus que le court trajet de chez elle jusqu'au bureau de son agente, à quelques stations de métro de son appartement.
Encore une fois, Anna soupira. En parlant d'agente, cette dernière lui envoyait de timides mais insistants mails pour savoir où son étoile montante en était.
En plus d'avoir signé un contrat pour une trilogie, ainsi qu'une seconde sur l'un des personnages favoris de ses lecteurs, sa série était déjà ouverte aux enchères pour vendre ses droits auprès de l'étranger, et principalement d'un publique anglophone.
Anna posa d'un geste las ses lunettes de soleil qui ne lui servaient plus à grand-chose tant le soleil était bas dans le ciel et consulta le dernier message que sa tyrannique agente lui avait envoyé. Sans ouvrir la notification pour ne pas faire apparaître la petite mention « vu », ce qui avait le don d'agacer son interlocutrice, Anna parcouru d'un œil rapide le court message qui n'était pas plus original que les autres.
« Bonjour Anna, comment se passent tes vacances ? J'espère que tes petits neurones profitent de ce moment de calme pour carburer à fond sur la suite de ton roman, appelle moi quand tu veux, Ciri »
Cirilla Blackwater était une jeune femme blonde aux grands yeux bleus pétillants de malice et extrêmement dynamique. Anna l'appréciait, même si généralement, elle ressortait de leurs entretien avec une grande fatigue et un début de mal de tête.
La jeune fille le savait, Ciri et elle étaient les extrêmes opposés. Anna avait un bon fond, elle aimait sortir (raisonnablement) avec ses amies les plus proches, mais sa batterie sociale s'épuisait si vite qu'elle restait la plupart du temps chez elle à lire un livre tout en écoutant d'une oreille le live d'un de ses streamers préférés.
Ciri, quant à elle, était une personne particulièrement sociable, ce qui, il fallait l'admettre, était pratique lorsque l'on était agente littéraire. Elle adorait plus que tout assister à des soirées de lancements, rencontrer toujours plus de monde, et se démener pour que ses clients soient toujours gagnants. C'était ainsi que, pour la première fois de sa courte vie, Anna s'était retrouvée jetée dans la fosse aux lions des interviews, conférences et autres salons du livre, à la demande de sa pétillante agente qui avait ignoré ses nombreuses jérémiades.
Malgré cette année épuisante, Anna trouvait qu'elles formaient toutes les deux une fière équipe. Ciri la poussait à accomplir des choses qu'elle n'aurait jamais pu faire, et en même temps, elle la laissait dans sa grotte d'autrice, ou à sa terrasse de café, un petit matcha latte de bobo parisienne dans une main, sa liseuse dans une autre. C'était même cette dernière qui lui avait suggérer de prendre un peu de temps pour elle (pas trop hein, une grosse semaine c'était déjà pas mal), pour se remettre de ce qui avait semblé à Anna être un marathon, afin de reprendre du poil de la bête pour repartir de plus belle.
Anna s'était donc retrouvée à deux heure du matin à se réserver des billets de bateau, et un hôtel, sur la petit île de Jersey qu'elle aimait beaucoup. D'origine bretonne, Anna s'y était rendue plusieurs fois lorsqu'elle était plus jeune, et quoi de mieux pour avoir la paix qu'une île au large de la Manche ?
Anna s'était sentie fière de faire la démarche de partir seule en vacances. Mais ce qu'elle ne s'avouait pas, c'est surtout que ses deux meilleures copines, Lou et Gaëlle, n'avaient pas pu être disponibles à cette période de l'année, et qu'elle avait dû s'y rendre seule, avec sa page blanche comme seule compagnie, et son anxiété qui lui rongeait les tripes.
Anna aimait être seule, ce n'était pas ça le problème. Ce qui la terrorisait, c'était la solitude. Se retrouver face à ses interrogations et ses angoisses était quelque chose qui la terrifiait. Et avoir trop de temps libre signifiait avoir trop de temps pour cogiter. C'est pourquoi la jeune fille avait organisé son séjour de manière à ne pas avoir beaucoup de place pour les idées noires, jusqu'à ce jour, veille de son départ.
Anna paya les quelques livres sterling que coûtait son jus d'abricot tiède, referma son MacBook, le fourra dans son tote bag aux couleurs de son ancien travail, vestige de sa vie de graphiste, puis se leva lentement. Elle grimaça tandis que les muscles de ses jambes lui faisaient comprendre que rester en position assise aussi longtemps avait été une très mauvaise idée. Anna eut une nouvelle pensée pour son ostéopathe. Elle allait surement lui faire la morale lors de son prochain rendez-vous annuel.
Après quelques étirements faisant craquer le bas de son dos d'un son qu'elle jugea satisfaisant, Anna lança un dernier regard vers la mer qui étincelait doucement sous le soleil de cette fin d'après-midi. Elle soupira de contentement devant cette vue qui lui manquait à chacun de ses retours à Paris, puis se dirigea enfin d'un pas léger vers son hôtel pour se préparer à sa dernière soirée sur l'île.
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Le Second choix
ChickLitUne nuit d'été, un inconnu qu'elle ne pensait jamais revoir. Anna, jeune autrice de 27 ans, ne pensait pas être du genre à se contenter d'un "coup d'un soir". Et pourtant, lorsqu'elle rencontre Leon ce soir-là, elle décide de se laisser tenter. Aprè...