Leon

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Leon Astor était un homme qui pouvait se vanter de ne manquer de rien. Issu d'une famille de classe moyenne, son parcours pour devenir l'homme qu'il était avait été fait de grandes écoles internationales, d'investissements et d'un peu de chance.

Ajoutez à cela qu'il était parfaitement au courant de son physique avantageux et de son sens de l'humour irrésistible, le jeune homme de trente-deux ans vivait ce qu'il estimait être la belle vie.

Après une année fructueuse pour son entreprise, mais néanmoins épuisante, il s'était dit qu'après tout, rejoindre son meilleur ami quelques jours sur l'île de Jersey n'était pas une si mauvaise idée que ça.

Fidèle à lui-même, il avait passé le plus clair de son temps à dormir, faire la fête, se baigner, et répondre aux messages de son associée restée à Londres pour continuer à faire tourner leur boîte.

Leon avait décidé de rester encore quelques jours de plus lorsqu'il se rendit au pub du centre de Saint-Hélier, pour profiter avec son ami de l'ambiance du match qui se jouait ce soir-là.

Quelle n'avait pas été sa déception quand Mike, à peine arrivé, lui avait dit qu'il ne pouvait pas rester car il devait absolument régler une urgence de boulot. Leon s'était donc retrouvé seul devant son whiskey, à fixer bêtement les groupes d'amis qui avaient hurlé de rage lorsque la France avaient enfin marqué leur premier but.

S'il y avait bien quelque chose que Leon détestait, c'était s'ennuyer. Depuis qu'il était en âge de boire (et même avant), la vie sociale de Leon avait été particulièrement riche. Cela lui avait permis de rencontrer beaucoup de monde, et la plupart de ses conquêtes d'un soir provenaient de ses nombreuses virées nocturnes.

Comment allait-il occuper cette soirée aux promesses festives, alors que son meilleur ami , sensé lui tenir compagnie, serait pendu à son téléphone toute la nuit ?

Perdu dans ses sombres pensées, le jeune homme eut soudain une petite illumination. Et pourquoi ne pas inviter la jeune fille de tout à l'heure à boire un verre avec lui ? Sous ses airs timides, il n'avait pas oublié sa réaction étonnante lors de leur unique discussion.

Un autre jour, avec d'autres personnes, dans un autre contexte, Leon n'aurait jamais remarqué cette fille un peu quelconque. Mais son intuition lui laissait penser que sa soirée pouvait prendre un tout autre tournant.

Leon sourit. Décidé, il s'était levé de sa chaise et s'était dirigé à l'étage où se tenait la petite rousse qui bataillait avec les glaçons de son verre.

- Voilà le deal, lui avait proposé le jeune homme qui se tenait devant elle, un verre de whiskey à moitié vide à la main. À chaque but de la France, je bois, à chaque but de l'Angleterre, vous buvez.

Anna avait levé un sourcil perplexe devant la proposition. Cela faisait à peine dix minutes qu'elle l'avait rejoint à sa table, devant l'écran géant et la horde de fan en délire. Ils avaient à peine eut le temps de se présenter, et Anna n'avait appris que son nom, son prénom, et la raison de sa présence à Jersey (il était en vacances, comme quasiment tout le monde dans ce pub). Le verre de jus avait vite été remplacé par un Sex on the Beach un peu trop chargé en vodka.

Anna ne buvait jamais d'alcool lorsqu'elle était seule, elle trouvait ça profondément déprimant. Mais l'euphorie de la fête l'avait finalement fait céder.

Anna s'était laissée le temps de la réflexion avant de répondre au jeune homme. Elle n'y connaissait rien en foot, mais après tout, la France avait une très bonne équipe. Enfin, c'est ce qu'elle avait entendu dire.

Elle avait accepté. Après tout, elle était en vacances, elle pouvait bien s'amuser un peu.

- Mais à une condition, avait-t-elle déclaré, malicieusement. L'Angleterre a deux buts, il serait donc logique que vous buviez deux fois. Pour démarrer.

Le prénommé Leon lui avait rendu son sourire, faisant apparaître de nouveau de légères pattes d'oies aux coin de ses yeux.

- Ça me semble juste. Mais vous devez boire également. Après tout, la France a réussi à comprendre qu'il fallait mettre le ballon dans les buts pour gagner.

Anna lui avait lancé un regard faussement offusqué, puis, sans quitter son regard, avait avalé une grande gorgée de son cocktail, définitivement trop chargé. Leon avait levé son verre comme pour trinquer à sa santé, et avait bu à son tour.

Ils continuèrent ainsi toute la soirée, se lançant mutuellement des piques sur leur pays adverse. Anna devait se l'avouer, elle s'amusait comme une folle. L'ambiance était électrique, les deux équipes aux coudes à coudes. L'odeur de la fête agressait les narines de la jeune fille, un mélange subtile de bière tiède, de sueur, de fritures et des embruns de la mer.

Anna ne savait plus tellement combien de gorgée elle avait pu boire, et n'avait pas compté celles de son partenaire pour la soirée. Tout au long du match, ils avaient rajoutés des règles, toutes plus saugrenues les unes que les autres comme : si un joueur se roule sur le sol alors que personne ne l'a touché, une gorgée. Si la caméra faisait un gros plan sur un fan en extase, une gorgée. Ils s'étaient arrêtés avant de prendre une gorgée à chaque fois que l'arbitre sifflait.

Elle se sentait complètement détendue, si détendue qu'elle en avait totalement oublié son histoire de manuscrit. Elle s'amusait, avec cet inconnu qu'elle trouvait de plus en plus séduisant.

Les joues rougies par la chaleur et les oreilles bourdonnantes à cause du bruit constant de la pièce, Anna sentait malgré son euphorie qu'elle aurait besoin rapidement de sortir respirer de l'air frais.

Heureusement, le match se termina sur un tir au but, que l'Angleterre remporta. Comme un seul homme, les supporters hurlèrent leur joie. Anna grommela avec un peu de mauvaise foi que l'arbitre n'était clairement pas du côté des français.

Leon avait éclaté de rire devant le déni dans lequel la jeune fille s'était murée et, après avoir posé quelques billets sur la table, il se leva en lui tendant la main.

- Et si on allait prendre l'air ? Je n'ai pas très envie de vous voir vous évanouir sur le sol.

Anna toucha ses joues du bout de ses doigts, se rendant compte qu'elles étaient brûlantes. Elle se leva un peu en titubant, refusant la main qu'on lui tendait.

- Les femmes modernes n'ont pas besoin d'hommes pour les aider, déclara-t-elle d'une voix faussement guindée en chancelant un peu.

La jeune femme n'était pas saoule, mais elle aimait bien cet état d'ivresse qui lui faisait apprécier l'instant présent.

- Ne venez pas vous plaindre si vous tombez la tête la première dans les fleurs du voisin dans ce cas, lui répondit Leon, moqueur.

Le Second choixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant