Chapitre 3 - juin 2027

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   Une fois que ma porte est refermée, je me jette sur mon lit la tête la première. Je ne sais pas quoi faire de ce que j'ai entendu. M'en servir contre lui ou au contraire, agir pour lui, essayer de l'aider ? Parce que finalement, je peux aussi rendre l'argent à Bel, rester travailler ici et aimer William comme s'il était mon petit frère.

   En fait, comme il n'a rien fait de si grave à part vivre, je ne peux et ne veux pas le priver de sa vie. Encore moins l'abattre sèchement, non. Il doit au moins pouvoir faire ses adieux même si c'est la chose la plus impossible du possible.

   J'aimerai qu'avant de mourir il trouve l'amour ou l'amitié saine. Il a l'air de pas mal en baver, ce gosse, et je ne peux pas le priver de tout comprendre, de se comprendre. Un jour, j'ai lu dans un livre "Je parie qu'on trouve tous les mystères de l'univers dans la main de quelqu'un" et je voudrais sincèrement que William en ait l'occasion. Qu'il se sente aimé un jour. Ne serait-ce que par moi. Je ne sais pas si je serai un très bon copain. Mais je sais que je pourrai essayer.

   Alors que j'éteignais la lumière pour enfin trouver la paix dans mon sommeil, des bruits de pas dans le couloir troublent ma concentration. Je me redresse dans mon lit mais ne bouge pas : ce n'est pas ma maison donc je n'ai pas besoin de tout surveiller en permanence. Mais les bruits de pas ne sont pas les seuls sons audibles. En effet, ils sont accompagnés de reniflement. Et ceux-ci n'appartiennent qu'à William.

   Je me lève et couvre mon corps nu dans un peignoir avant d'allumer ma lampe torche sur le téléphone et de sortir de ma chambre. Je ne sais pas si je vais lui dire la vérité qui peut, ma foi, l'effrayer : Eh salut, je t'ai entendu renifler alors j'ai quitté ma chambre à deux heures du matin pour savoir ce que tu fais ! Non, je vais plutôt opter pour quelque chose de simple.

   J'arrive sur le palier mais il n'y a personne. Je n'ai pourtant pas inventé ça ?.. L'escalier grince alors, confirmant que non, je n'ai rien inventé. Je pose mon pied sur la première marche de bois froide mais je sursaute en voyant le reflet d'une lumière qui s'allume dans la fenêtre de la porte face à l'escalier. Mon cœur semble avoir frôlé l'arrêt. Je pose une main tremblante sur ma poitrine secouée en me rassurant mentalement et reprends ma descente de l'escalier. Dès que mon pied gauche touche le carrelage blanc du hall, je sens un poids s'enlever de ma poitrine. C'était comme si j'avais peur que quelqu'un ait compris mes mauvaises actions. Comme si quelqu'un savait que je pouvais tuer William en bas, cette nuit.


Idiot, tu n'y avais même pas pensé... Tout ce que à quoi tu as songé c'était te dire que tu allais prendre de ses nouvelles. On ne prend pas de nouvelles d'un presque mort !


   Je suis la lumière dans le couloir et voit qu'elle provient de la cuisine. J'y rentre rapidement, sans traîner et fais semblant de bailler lorsque je remarque William (je ne m'étais donc pas trompé) assis sur le plan de travail. Je mime un sursaut et ricane :


— Vous m'avez fait peur !

— Je vous retourne la critique...


   Il descend du plan et se met dos à moi. Ses mains montent vers son visage ou c'est en tout cas ce que je crois deviner grâce à l'orientation de ses coudes. Il reprend sa respiration qui n'est pourtant pas complète. Elle ressemble encore un peu à celle qu'il avait plus tôt en pleurant dans sa chambre. J'ouvre la bouche pour parler mais il me coupe dans mon élan et demande d'un ton glacial :


— Que faites-vous ici en pleine nuit ?

— J'avais... Euh... je baille pour le distraire du mensonge que j'invente rapidement. Je suis venu récupérer mon téléphone que j'avais oublié après mon service !


   En disant ceci, je fais semblant de le reprendre d'à côté de l'évier en souriant. William ne se tourne pas, il m'ignore. Sincèrement, il me fait de la peine... Je m'approche de lui et demande d'une voix douce :


— Avez-vous mal quelque part ? Voulez-vous que je prévienne vos parents ?

— Pas mes parents, non ! répond-il précipitamment.

— Vous ne voulez pas leur parler ? je hausse un sourcil. Je comprends, ce n'est pas toujours simple de se confier à ses parents. C'est même compliqué.

— Vous voulez que je vous confie un secret ?


   Cette question m'a surpris. Je papillonne des yeux et croise les bras avant de répondre :


— Bien sûr.

— J'adore mes parents.


   Sa réflexion me fait sourire. De surprise mais aussi d'émotion. Personne n'avait jamais dit ça avant ce petit ange blond qui se tient droit face à moi, un sourire aux lèvres mais les larmes aux yeux. En fait, personne n'adore ses parents. Sauf William. Et ça prouve qu'il a vraiment une âme pure.


— J'adore mes parents, il reprend en s'asseyant à nouveau sur le plan de travail. Mais parfois, il ne vaut rien leur dire. Pas parce que c'est difficile, non. Parce que je leur en dit beaucoup et je ne veux pas les effrayer.

— Oh, je vois.

— Non, vous ne voyez pas.


   William tourne sa tête vers moi et me regarde droit dans les yeux. Il est, certes, charmant, mais parfois ses remarques froides et tranchantes crées un blanc. Il se redresse, pose les mains derrière lui pour se pencher en arrière et il murmure :


— Vous ne voyez pas parce que vous n'aimez pas vos parents comme je le fais.

— Il me semble que vous n'en savez rien, je réponds un peu piqué au vif.

— C'est évident, un sourire s'étend sur ses lèvres. Vous ne parlez jamais d'eux, ne les voyez jamais ou vous n'êtes jamais au téléphone avec eux. De plus, lorsque j'ai dit aimer les miens, vous avez tiqué.


   Je recule, légèrement agacé par ses capacités de devin. William se lève et avance vers moi. Je le regarde, ne sachant ni quoi faire ni quoi répondre. En fait, je pense que ce type m'agace. Sérieux... William ressemble à un ange et j'ai envie de lui claquer mon poings dans la gueule. Je m'énerve seul. Il me souffle alors en s'approchant encore un peu :


— Je vais bien. N'ai-je pas l'air d'aller bien ?

— Vous souriez. Mais vos yeux pleuvent. Et ça ne peut tromper personne.


   Cette fois, c'est lui qui recule avec un air consterné. Je lui souris vraiment et propose gentiment :


— Vous pouvez vous confier si vous en avez envie.

— Bonne nuit, Ayden.


   William me pousse légèrement pour passer et sort de la salle, me laissant planter ici. Il n'a rien évoqué de particulier en m'adressant cette phrase. Il semblait vide. Quelques secondes plus tard, j'entends le grincement familier des escaliers puis sa porte. Et je reste planté là, fixant le vide et ressassant cette leçon de vie qu'il vient de me faire. 

The shadow in our eyesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant