Chapitre 13 - mai 2027

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   Je suis assis sur le petit tabouret du piano en train de jouer mes propres compositions. Avant de monter j'ai demandé la permission à Sarai qui m'a tout de suite autorisé à monter jouer dès que je le veux.

   Je suis donc actuellement sur le tabouret en train de jouer au piano les airs de mon album préféré vu en classe. C'est la bande son d'un film français, Micmacs à tire-larigot. Mais plus précisément le morceau Larrons en Foire de Raphaël Beau. Bien qu'il n'y ait pas l'accordéon ni les effets différents, le morceau au piano reste beau. Je joue sans faire attention à ce qui m'entoure.

   Je ne sais depuis combien de temps je joue. Je repasse ces musiques en boucle. Je me prends pour un artiste en concert et entend les instruments manquants dans ma tête. Les notes m'enveloppent, je me sens dans la bulle que j'aime tant et pour laquelle j'ai commencé la musique.

   Je ne fais même pas attention aux bruits de pas derrière moi. Je les entends. Mais je les ignore, comme si une deuxième réalité nous séparait, comme si la personne ne pouvait me voir.


— C'est beau. C'est quoi ?


   Je lâche la dernière touche du clavier et me tourne vers William. Il s'est changé depuis ce matin. Il était bien habillé et est à présent en jogging débardeur. Ses cheveux sont remontés en un chignon mal fait. Mais il n'est pas laid. Au contraire. Ce look désordonné le rend magnifique, comme s'il n'avait pas peur du regard des gens.

   Je ne réponds pas et le regarde simplement prendre le petit tabouret qu'il pose à côté du mien. Son parfum se propage directement en moi. J'aspire discrètement et me tourne face au clavier. Les doigts de William se glissent alors sur les touches blanches et les bouts de ses bracelets traînent sur les noires. Je suis du regard sa main qui lâche le piano pour se poser contre sa propre joue. En m'en rendant compte, je détourne le regard.


— Vous jouiez quoi ? répète-t-il.

— La bande son d'un film que j'aime beaucoup. Je l'ai apprise en cours.


   William hoche la tête et sourit un peu.


— Je connais ce film, il avance.

— Vraiment ? je hausse un sourcil. C'est étonnant, il est pas super connu. Encore moins ici.

— En fait, j'ai déjà voyagé en France. Dans le Nord et, là bas, ils ont un véritable culte pour l'acteur principal... Hum... Bonnie Doun ?

— Dany Boon, je ricane.

— C'est ça, il me regarde d'un air amusé. Et je voyais des affiches de lui partout. Alors quand on est rentrés ici, j'ai regardé tous ses films.


   C'est génial ! Je souris pour de vrai et le regarde lorsqu'il me renvoie mon sourire. Je repose ensuite mes doigts sur les touches et commence une autre musique : Dernier Vol, du même interprète. William fredonne à côté de moi et wow, sa voix correspond à son visage d'ange.

   Il s'approche de moi et pose ses mains sur le dos des miennes sans arrêter de faire jouer sa voix. Je regarde ses doigts longer les miens et y prendre place. Je souris alors et accélère la cadence.

   Le rire de William remplace son chant. Mon corps est parcouru de frissons. Tout chez lui est doux.


— Vous allez trop vite, frimeur !


   Il continue de rire tandis que j'accélère encore mes doigts avec un petit sourire pour, certes, frimer, mais surtout pour l'amuser. Ce qui semble fonctionner.

   Je sais que je l'ai déjà dit mais, William est le genre de garçon attachant dont on a envie de prendre soin. Pas de tuer froidement. Non lui il est... Il est.


— Je ne peux plus suivre, j'abandonne, il pouffe de rire.


   En sentant ses mains s'éloigner des miennes, je lâche le clavier et les reprends. Il cligne des yeux tandis que je pose ses doigts directement sur les touches.


— Je vous dis où vous appuyez. D'accord ?

— D'accord...


   Je souris doucement et vérifie que ses doigts sont bien positionnés pour le début de la musique. Je pose mes pieds sur les pédales pour ne pas lui en demander trop dès le début.


— Vous êtes prêt ? je demande doucement.

— Oui...

— Bien, appuyez, j'hoche la tête quand il le fait. Gauche, droite, gauche, noire, gauche,...


   William s'exécute et la mélodie commence à prendre forme, à ressembler possiblement à quelque chose.


— Vous voulez me parler par rapport à ce matin ? j'arrête de le guider.


   Mon élève retire ses doigts du clavier et les pose sur ses cuisses. Je le regarde, m'attendant sincèrement à ce qu'il me parle. Il a l'air d'en avoir envie, presque besoin. Je le comprends. C'est long parfois de garder des choses pour soi.

   Mais non. Il ne fait rien de ça. Il se lève, lâche ses cheveux sur son épaule et me toise, ce qui me fait comprendre que je viens de tout gâcher, avant de presque cracher :


— Vous pouvez répéter à mon père que je ne vous ai rien dit.

— Hein ? je m'étonne. Mais ce n'est pas pour votre père que je demande...

— Pour qui alors ? Personne ne me demande ça de lui seul ! Vous êtes un espion !


   William me laisse abasourdi et quitte la pièce en claquant la porte. Mais après tout, s'il ne voulait pas que je le vois dans cet état, il n'avait qu'à pas revenir... Il est complètement illogique c'est tout.

   C'est un enfant de riche. Habitué, je suppose à voir le moindre de ses désirs réalisés mais aussi privé de tout le reste. Il a l'illusion d'être comblé, d'être soigné et chouchouté mais en réalité il ne possède rien de sentimental. Il n'a aucune confiance, en personne, il doit être trop habitué à être manipulé ou utilisé. Et en soi, je ne suis pas si différent de ces ordures : je le manipule lâchement, sèchement. 

The shadow in our eyesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant