Soraya

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Au centre du tumulte du village, blottie dans l'intimité de ma tente, je m'étais évadée dans les pages d'un livre sur le Royaume Etoilé qui me fascine. Fille unique, j'avais toujours trouvé mon bonheur dans la solitude, préférant la compagnie des livres que les autres enfants, souvent trop bruyants. Mon père, Corvus, du nom de la constellation du Corbeau, était souvent absent, accaparé par ses obligations de chef de notre royaume, l'Eclipse. Ses cheveux noirs comme la nuit et ses yeux ardents comme le phénix reflétaient la passion qu'il mettait à défendre notre peuple. Hélas, une ombre assombrissait notre existence : la Grande Bataille, livrée il y a trois mois contre les royaumes du Soleil et des Nuages, avait décimé notre population et nous avait contraints à l'exil. Absorbée par ma lecture, je ne prêtai pas attention aux bruits étouffés qui parvenaient de l'extérieur. Soudain, un éclat de rire familier me tira de ma rêverie. Ajou, mon fidèle ami, surgit sa tête par l'ouverture de tissu de ma tente, un large sourire illuminant son visage aux cheveux bruns rehaussés de reflets roux par le soleil :

- Salut Soraya ! Tu veux venir jouer avec nous aux lames ? lança t-il , pétillant d'énergie

Soraya, c'est mon prénom. Il signifie "beauté des étoiles". Dans la famille royale de l'Eclipse, chaque personne possède un nom en rapport avec une constellation ou la nuit. Ma mère s'appelle Lyra en référence à la constellation de la Lyre.

Un voile de tristesse assombrit mon regard à l'évocation d'Alya, mon amie d'enfance disparue. Un poids s'installa sur ma poitrine, un souvenir douloureux que je m'efforçais de refouler. Alya, intrépide et curieuse, rêvait elle aussi de devenir une guerrière accomplie. Mais la Grande Bataille lui avait volé ses rêves, laissant un vide immense dans mon cœur.

Je forçai un sourire à Ajou :

- Salut ! Encore un entraînement acharné aujourd'hui ? dis-je en refermant mon livre avec regret.

- On ne devient pas un guerrier hors pair en flânant sous la tente, Soraya ! répliqua-t-il en gonflant son torse avec fierté, malgré sa petite taille.

Je me levai et je constatai avec un pincement au cœur que mes lames habituelles n'étaient plus à ma ceinture :

- J'ai juste un petit problème, commençai-je, mes épées sont chez le forgeron pour réparation. Tu aurais des lames d'entraînement à me prêter ?

- Forcément ! s'exclama Ajou, déjà parti comme une flèche vers sa tente.

Je le suivis à distance, observant le village en reconstruction. Des tentes rapiécées s'alignaient en désordre, témoignant de la précarité de leur existence. Un sentiment d'urgence me tenaillait. Il fallait que je comprenne comment la tribu Etoilée avait réussi à bâtir sa légende, comment ils avaient perfectionné leur art du combat. Peut-être trouverais-je dans leurs techniques la force nécessaire pour reconquérir notre royaume et honorer la mémoire d'Alya.

Alors qu'Ajou disparaissait dans sa tente, un pressentiment glacial me parcourut l'échine. Un silence inhabituel s'était abattu sur le campement. Plus aucun murmure ne filtrait à travers la toile. Je me figeai, l'oreille tendue. Soudain, un bruit sourd, étouffé, me parvint de l'intérieur de la tente d'Ajou. C'était... un gémissement ?

Sans réfléchir, je me précipitai à l'entrée et l'écartai d'un geste brusque. Une odeur métallique et âcre me frappa de plein fouet. Au centre de la pièce, gisait la mère d'Ajou, étendue sur un matelas souillé. Son visage d'habitude si doux et serein était maintenant livide, ses yeux clos, un râle saccadé s'échappant de ses lèvres entrouvertes. Le sang, d'un rouge vif et inquiétant, s'étalait sur le sol, formant une mare macabre autour de son corps inerte.

La joie d'Ajou s'était envolée, remplacée par une terreur indicible. Agenouillé à côté de sa mère, il serrait sa main dans la sienne, ses yeux grands ouverts reflétant l'horreur de la scène.

L'horreur me cloua sur place pendant un long moment. Le sang, d'un rouge vif et gluant, me glaçait le sang. Je n'avais jamais rien vu de tel. Mes jambes tremblaient, refusant de m'obéir. Pourtant, une voix intérieure me hurlait d'agir.

Je me précipitai vers Ajou, bousculant ma peur instinctive :

- Nisha ! haletai-je, posant une main tremblante sur son front brûlant. Nisha, qu'est-ce qui s'est passé ?

Elle ne répondit pas, son regard vide fixé sur un point invisible du plafond. La panique monta en moi, emprisonnant ma voix dans ma gorge.

- Ajou, dis-je en secouant doucement son bras, il faut appeler le guérisseur, vite !

Il sursauta comme si je l'avais tiré d'un mauvais rêve. Ses yeux, remplis de terreur et de confusion, se posèrent sur moi. - Maman ? appela-t-il d'une voix brisée, un sanglot montant dans sa gorge.

Je n'avais jamais vu Ajou aussi vulnérable. D'habitude si plein de vie et d'énergie, il ressemblait maintenant à un petit animal blessé.

- Je vais aller chercher le guérisseur, promis-je en me relevant. Reste ici avec ta mère.

Mais avant que je puisse faire un pas, il m'attrapa le bras, son poing serré si fort que ses jointures blanchirent :

- Non, implora-t-il, sa voix à peine audible. Ne me laisse pas seul.

Je ne pouvais pas le laisser seul face à une telle tragédie. Pourtant, chaque seconde comptait pour sa mère. Un dilemme déchirant me paralysait.

Soudain, une idée me traversa l'esprit :

- Je vais chercher quelqu'un pour t'aider, dis-je en posant doucement ma main sur la sienne. Je reviens tout de suite.

Il acquiesça faiblement, ses yeux ne quittant pas le visage de sa mère.

Je me précipitai hors de la tente, le cœur battant la chamade. Il fallait trouver quelqu'un, n'importe qui, pour l'aider. Mes pensées se bousculaient dans ma tête. Qui était le plus proche ? Qui pourrait venir vite ?

En courant à travers le campement, je passai devant des visages inquiets attirés par le bruit. Je leur criai d'aller chercher le guérisseur, ma voix brisée par l'urgence.

Finalement, je vis Lyra, ma mère, en train de parler avec une autre femme près de la tente du chef. Je me précipitai vers elle, ignorant les regards surpris posés sur moi.

- Mère, haletai-je, c'est Nisha... elle est blessée... Ajou...

Je n'eus pas besoin d'en dire plus. Le regard de ma mère se durcit, et sans un mot, elle me suivit en direction de la tente d'Ajou.

Les héritiers du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant