Chapitre 1

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Rokia a toujours admiré son père. Sa passion pour les pierres précieuses la fascine. Il se donne corps et âme à son métier, passant souvent des nuits entières à chercher les origines d'un « caillou », comme sa tendre fille aime bien le dire pour l'embêter. Dans la famille Touré, l'approche de la rentrée crée une certaine appréhension, surtout chez Sadio, le père de famille.

« Papa, tu devrais te reposer ! » lui suggère Rokia.

« Tu sais, mon fils, la gemmologie est la chose la plus importante à mes yeux. Tu ne peux pas comprendre ! »

« A ye tiɲɛ fɔ, n terikɛ. Yala i b'a dɔn ko i tun ka kan k'o kɛ i ka baarakɛyɔrɔ la wa ? » répond Sadio en bambara, défiant la sagesse de sa femme.

« Il a raison, chéri. Tu te rends compte que tu devrais faire ça au travail ? » lui lance Mariam, la maman, avant de se préparer pour son travail.

Malgré ses efforts pour raisonner son mari, Mariam sait qu'après vingt-sept ans, son discours ressemble à une homélie. Elle garde l'espoir qu'un jour, il changera. Elle l'embrasse tendrement avant de s'éloigner vers sa voiture.

Rokia observe le visage fatigué de sa mère. Travailler dans le monde médical est un défi, et même si elle commence plus tard aujourd'hui, les heures s'allongent souvent au-delà du raisonnable. La jeune fille aurait aimé devenir médecin généraliste comme sa mère, mais elle a finalement opté pour des études en sciences, se tournant vers l'étude de la vie et de la terre.

« Profite bien de tes derniers jours de vacances. La rentrée approche ! » rappelle Mariam en s'éloignant.

Les taquineries de ses frères, Alassane et Thierno, jumeaux de cinq ans son aîné, ne manquent pas de la faire sourire. Leur complicité est souvent source de moqueries.

La journée s'étire lentement, Rokia s'ennuie. Dehors, la pluie tambourine sur les vitres, et elle se perd dans la contemplation des gouttes qui glissent le long de la vitre brisée. Il pleut à torrents, alors qu'il faisait si beau il y a à peine deux heures. La soirée approche à grands pas.

« Rokia, tu ne veux pas qu'on aille voir l'étang ? Peut-être qu'il se passera quelque chose ce soir ? » propose Thierno.

Les jumeaux parlent de la montée des eaux, un phénomène étrange qui se produit parfois quand il pleut : l'eau prend des teintes multicolores, inexplicables pour les habitants de la ville.

Après un long moment d'attente sous la pluie, Rokia et ses frères se précipitent vers l'étang, impatients de vivre ce moment tant attendu.

« Tu peux te dépêcher, Rokia ? » demande Alassane.

Bien qu'elle fasse de son mieux, Rokia n'a pas eu le temps de se préparer comme elle le souhaitait. Elle, qui aime habituellement se mettre en valeur, saura se rattraper la prochaine fois.

« On revient, Papa ! » crie-t-elle en s'éloignant.

L'étang n'est pas très loin, et ils y parviennent rapidement. Peu de personnes sont venues assister à ce spectacle rare, laissant entendre que la magie de la nature ne suscite plus d'émerveillement. Seuls quelques initiés sont là, assis à même le sol, sous un ciel étoilé.

« Je commence à sortir mon téléphone au cas où ! » annonce Thierno, prêt à immortaliser l'instant.

Ils attendent une trentaine de minutes, impatients, mais le froid commence à se faire sentir.

« Je n'ai plus d'espoir, ça commence à être long ! » soupire Alassane.

Les rares curieux commencent à quitter les lieux, mais Rokia reste là, convaincue qu'un événement se prépare.

« On ne va pas tarder à rentrer, allez, petite sœur ! » l'encourage Thierno.

À contrecœur, elle se lève, mais soudain, la marée commence à s'agiter. Un tourbillon se forme avant que tout ne s'arrête. Ils se regardent, intrigués, puis reprennent place face au point d'eau.

Quelques minutes passent, et des poissons commencent à apparaître à la surface. Ils nagent paisiblement avant de se mettre à sauter dans tous les sens. Rokia et ses frères sont captivés.

« Heureusement qu'on n'est pas partis ! Ils s'illuminent, c'est un véritable bijou visuel ! » s'exclame Rokia, émerveillée.

Ce soir-là, l'eau n'est pas multicolore, mais le spectacle des poissons aux teintes éclatantes, vertes et violettes, est tout aussi fascinant. La nuit fait ressortir leurs couleurs de manière époustouflante. Les trois jeunes restent là, à admirer cette représentation unique. Malheureusement, toutes les belles choses ont une fin, et bientôt, les poissons retournent dans les profondeurs.

« Au moins, nous n'avons pas fait le déplacement pour rien. J'ai tout filmé pour garder ce souvenir magnifique ! » se réjouit Alassane.

Ils rentrent finalement chez eux, ne voulant pas trop tarder. Rokia a encore les yeux illuminés par les images de la soirée, un sourire aux lèvres.

À leur arrivée, ils se précipitent vers leur père, qui peine à croire ses oreilles en entendant leur récit. Ils tentent aussi de raconter à leur mère, mais elle est déjà plongée dans le sommeil, épuisée par sa journée. Sadio, le père, se dirige vers sa salle secrète, son sanctuaire.

« Bon, ce n'est pas tout, je retourne à mes occupations. » annonce-t-il.

« Tu vas faire quoi ? » s'enquiert Rokia, curieuse.

« Je vais faire des recherches sur mes cailloux, comme tu dis. »

Il lui sourit, réalisant peu à peu l'importance des mots qu'elle a prononcés.

« Tu ne peux vraiment pas t'en passer, Papa. Tu es en vacances. »

« Ça va, j'ai passé toute la journée sans rien toucher, Thierno. J'ai fait un effort aujourd'hui. »

« Rokia, viens, je vais te montrer quelque chose. »

Lorsqu'il l'invite dans sa salle spéciale pour étudier la gemmologie, l'excitation envahit Rokia. L'atmosphère est apaisante, avec des lumières tamisées qui créent une ambiance presque magique. Elle se dépêche de monter, impatiente de découvrir ce que son père a à lui montrer. En entrant dans la pièce, elle voit son père l'attendre, un sourire aux lèvres.

« Min bɛ ne bolo, aw k'o lajɛ. »

« Regarde ce que j'ai entre les mains. » dit-il en lui montrant une améthyste d'une couleur éclatante, presque éblouissante. De taille moyenne et avec des piques délicates, elle capte immédiatement son attention.

« Elle est altérable. À ton tour de la toucher. »

Rokia hésite un instant, intriguée par la texture douce de la gemme. « Tu es sûr que c'est une pierre ? Ce n'est pas censé être rigide ? »

« C'est étonnant, n'est-ce pas ? C'est une découverte récente. La gemmologie avance sans cesse. Regarde bien ce que je vais faire. »

Son père se lève, remplit un verre d'eau et y plonge la gemme. C'est la première fois qu'elle voit un objet si précieux traité de cette manière. Elle observe, fascinée, sans dire un mot, tandis qu'il agit avec confiance.

« Qu'est-ce qui va se passer ? » demande-t-elle, impatiente.

« Attends quelques secondes. »

Il compte jusqu'à sept, et après un moment de flottement, la pierre commence à tourner sur elle-même avant de se dissoudre dans l'eau. Celle-ci se met à scintiller, des éclats de lumière jaillissant dans le verre.

Opales des AbyssesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant