𝟗 - 𝐋𝐞 𝐛𝐢𝐥𝐚𝐧

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🎶Heavenly - Velvet Horizon🎶

"C'ÉTAIT un de mes rares jours de repos.
Enfin, si l'on considérait que recevoir des messages et des e-mails de la part de toute mon équipe depuis ce matin était une forme de repos

Mais je ne prêtais, à vrai dire, pas grande attention à ce qu'ils m'envoyaient.
Car je savais ô combien l'idée de travailler pouvait me faire remontrer l'angoisse, tapie au plus profond de moi.
J'étais bien décidé à prendre, pour une fois, un jour de repos véritable, sans me préoccuper de la sonnerie incessante de mon téléphone portable.

La réception d'Emmanuel Macron me paraissait bien lointaine désormais. Je ne semblais pas en garder beaucoup de souvenirs, si ce n'est la cigarette électronique flambant neuve que je m'étais achetée le lendemain, petit rappel discret de l'incident qui s'y était produit.

Bien qu'en y réfléchissant plus longuement, j'avais bel et bien gardé un autre souvenir matériel de cette sorte de fête.

Je me suis levé de la chaise de mon bureau, sur laquelle je reposais depuis plusieurs minutes, pour me diriger vers le petit porte-manteau accroché au mur de ma chambre. Sur celui-ci, se trouvait la veste que j'avais portée ce soir-là.

Je fouillai dans la poche gauche jusqu'à en sortir deux petits tubes de tabac, ainsi qu'un briquet, légèrement usé mais toujours utilisable.

Avant que je ne parte, et juste après que je l'ai remercié, Jordan Bardella m'avait interpellé pour me donner deux cigarettes et son briquet. Il s'était justifié en ajoutant :

"-  Les cigarettes de secours, si jamais un nouvel individu d'une arrogance folle venait à briser la nouvelle vapoteuse que vous allez vous acheter.

- Et pourquoi le briquet ?" Avais-je demandé, curieux, tout en acceptant son geste.

" - Ça ? Eh bien, vous m'avez dit ne pas avoir touché à une cigarette depuis des années. J'en ai fait la conclusion que vous n'aviez plus de briquet fonctionnel chez vous. Je me trompe ? "

Effectivement, il avait vu juste.

J'aimais à penser que c'était sa façon de s'excuser pour avoir cassé quelque chose qui m'appartenait.

Peut-être que, en un sens, cette soirée à l'Élysée avait un bilan bien meilleur que ce à quoi je m'attendais.

J'avais réussi à apaiser ma haine vis-à-vis de Bardella, à le voir sous un autre angle.
Bien sûr, je ne pouvais pas affirmer le connaître sur le bout des doigts après avoir conversé seulement quelques heures tout au plus, et je n'étais même pas certain de vouloir réitérer l'expérience.
Cependant, j'y avais vu une toute autre facette de l'homme.

Évidemment, incapable de changer sa vraie nature, il avait gardé son air désespérément malicieux et insolent sur le visage.
Mais le fait est que j'avais pu voir autre chose qu'un adversaire, le temps d'une soirée.

Et que, j'oserai même dire, qu'il avait été ma plus agréable discussion.

Mais je ne comptai toujours pas m'en faire un ami. Je gardais de vue, sans jamais l'oublier, qu'il était un concurrent.
Un ennemi puissant, si j'en crois sa côte de popularité sur les réseaux sociaux...

En pensant aux réseaux sociaux, cela me rappelait que j'avais passé des jours sans avoir eu de discussions avec l'inconnu du forum.

Enfin, bien sûr, nous avions échangé de rapides banalités, juste de quoi garder contact. Mais rien de plus.
Alors aujourd'hui, ce dimanche après-midi, je me plaisais à penser que nous pourrions discuter, si, je l'espère, il n'avait pas mieux à faire.

De retour sur ma chaise de bureau, j'ai ouvert le forum et ai tapé les premiers mots sur le clavier.
Le dernier message qui s'affichait dans nos messages privés datait d'il y a trois jours.

Je m'en rappelle.
J'étais en train de me préparer et d'enfiler mon costume pour aller à l'Élysée. Soirée dont je lui avais, vaguement, fait part.

Évidemment, je ne lui avais pas mentionné aller dans un lieu si prestigieux que le siège du Président de la République.
J'avais alors inventé une sorte d'excuse, quelque chose qui disait que mon patron avait organisé une sorte de grande réunion festive avec des membres d'autres boîtes.

Car si parler avec cet inconnu depuis des jours m'avait bel et bien appris quelque chose, c'était le grand art de transformer la vérité.

Pas de mentir, mais simplement d'arranger les conversations pour continuer à faire vivre le mythe de l'identité que je m'étais créé. Celle d'un cadre dans une entreprise lambda.

Et alors que lui parlais du dîner organisé par le Président, il m'avait répondu :

" - Je te souhaite un bon courage pour ta soirée. Si tu trouves personne à qui parler, tu pourras toujours rester dans ton coin avec un verre de champagne. Ça marche toujours, cette astuce. Et n'oublie pas de me raconter, je voudrais au moins savoir si ça s'est bien terminé."

Sa remarque sur le champagne m'avait fait rire, mais j'étais stressé et un peu en retard, alors je ne lui avais répondu que par un petit smiley.

Mais je pense que, maintenant, il était venu le temps de lui raconter.

Après tout, je n'avais rien de mieux à faire.

" - Bonjour, désolé de ne pas avoir répondu plus tôt à ton message. J'étais occupé."

Comme à son habitude, il ne me fit pas attendre longtemps pour une réponse.

" - Je m'en suis douté, ne t'en fait pas. Tu as un vrai agenda de ministre, alors ça ne me surprend pas plus que ça !"

Je riais jaune derrière mon écran.
Un agenda de ministre ? Le mot était définitivement approprié.

" - C'est le moins qu'on puisse dire oui." Je tentai rapidement de dériver le sujet de la conversation. " Au fait, je ne t'avais pas raconté comment s'était passé la réception donnée par mon patron.

- Celle d'il y a trois jours ? Je serais curieux de savoir comment ça s'est fini.

- Au final, plus de peur que de mal." Avais-je écrit pour le rassuré.

Il est vrai que je lui ai fait part de ma grande inquiétude.
J'étais dans un tel état d'angoisse après avoir reçu l'e-mail d'Emmanuel, que je n'avais rien trouvé de mieux à faire que de tout lui expliquer.

" - J'ai passé la première partie de la soirée à parler avec une collègue avec qui je m'entends plutôt bien, et la seconde partie de la soirée avec un homme d'une autre entreprise. On s'est reculé de la fête principale pour être un peu plus isolés.
Il semblait ne pas aimer ce genre d'attroupements, lui aussi, au moins autant que moi !  Finalement, on est resté ensemble une majeure partie du temps. Il était déjà l'heure de partir quand nous sommes revenus parmi la foule.

- En voilà un qui a eu de la chance."

Sa réponse me laissait légèrement interrogé.

J'attendais qu'il m'éclaire sur ce qu'il venait de dire, mais au bout de quelques minutes, sans précisions supplémentaires, je décidai que je devais les demander moi-même.

" - De la chance ? Pourquoi ?

- Parce qu'il a réussi à t'avoir pour lui tout seul pendant plusieurs heures, sans personne autour. Rien que vous deux. "

Cette phrase me fit écarquiller les yeux en grand. Peut-être était-ce simplement une impression infondée, mais je ne pouvais pas m'empêcher de voir le caractère tendancieux – presque intime – caché derrière ce message.
À mes oreilles, cela sonnait comme s'il avait voulu être à la place de cet homme, et m'avoir, lui aussi, rien que pour lui pendant plusieurs heures, sans personnes autour.

Il est assez clair que ce mystérieux inconnu et moi nous entendons plutôt bien, et malgré la manière peu conforme de souligner la chose, je comprenais où il voulait en venir.

L'anonymat avait ses avantages, mais aussi beaucoup d'inconvénients.

Ne pas avoir plus d'informations qu'un pseudonyme sur un écran, ne pas pouvoir mettre de visage sur des messages, toutes ces choses étaient frustrantes.

Il m'était arrivé, à plusieurs reprises, de me demander à quoi ressembleraient nos échanges si nous nous rencontrions dans la vraie vie.

Que se passerait-il ? Nos langues seraient elles si facilement déliées, ou étions-nous simplement poussés par nos fausses identités ? Serais-je autant capable de me confier ?

Elles étaient toutes des questions auxquelles je n'aurai jamais de réponse.

Évidemment, il m'était formellement interdit de divulguer qui j'étais.
Je n'oserais à peine imaginer les gros titres dans les journaux :

" Gabriel Attal : ce réseau social qu'il utilise en secret !"

Ou bien encore...

" Le pseudonyme caché du Premier ministre !"

Je ne souhaitai pas cela.
Tout, sauf cela.

Je me tuais depuis bien trop longtemps à la tâche pour éviter les esclandres.
Je limitai chacun de mes propos, toutes mes prises de parole. Mes discours étaient tous méticuleusement scrutés, pour renvoyer l'image la plus lisse possible.

Il n'était pas temps pour les scandales.

Je connaissais, mieux que quiconque, les ravages des journalistes, et à quel point il leur était facile... de déformer la réalité.

Mes années en politique m'avaient enseigné qu'il valait mieux être passif et ne pas faire de vague, que d'être présent dans les médias, pour les mauvaises raisons.

Le son d'une notification me sortit de mes pensées.

Il m'avait renvoyé un message.

" - Au fait, je ne te l'ai jamais demandé, mais quel est ton prénom ?"

Je me suis posé la question à moi-même.
Quel était mon prénom ?
Ou plutôt, quel était mon prénom sur cette plateforme ?

Je restais de marbre un instant.
Je réfléchissais aux raisons qui me pousseraient à changer mon vrai nom, pour un fabriqué de toute pièce.

Mais je me rendis à l'évidence.
J'étais Gabriel, et personne d'autre.
Sur ce blog, comme à Matignon...
j'étais, je suis, et je resterai Gabriel.

Alors je tapa sur les touches de mon clavier :

" - Gabriel, et toi ?

- Moi, c'est Stéphane."

Au delà du réel [ BARDATTAL ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant