CHAPITRE 15|❛ Le visage du mort ❜

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Sage s'agenouilla et dévisagea le corps affaissé. Ses traits glissèrent, son nez s'épaissit. Elle vola au cadavre son manteau et se redressa.

Le capitaine frissonna. Comme toujours, l'illusion était parfaite.

-Je déteste ça, dit-il. Ça ne te fait rien de voler le visage des morts ?

Sage prit un air sombre.

-Rien de plus que de leur planter une épée dans le torse.

Elle s'éloigna. Thalion la suivit du regard notant sa démarche hésitante. Sage claudiquait légèrement ; du sang frais maculait sa jambe.

-Attend, l'interpella Thalion. Tu saignes.

Sage, se retourna, un sourire pâle aux lèvres.

-Je sais. J'en ai besoin pour mon déguisement.

La change-peau se fondit dans les ombres de la nuit. Thalion resta quelques instants, écoutant les bruits de la forêt autour de lui. Puis, il s'éloigna à son tour, laissant derrière lui les corps ensanglantés.

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A l'orée du bois, Sage examina sa jambe. La peau était recouverte de sang séché. La change-peau plongea ses ongles dans la blessure. Grimaçante, elle écarta les chairs jusqu'à ce que le sang coule à nouveau.

Puis elle se saisit de son épée et la jeta dans un buisson.

Sage arriva claudiquant au village. Un homme d'âge mûr la reconnut et s'approcha de la change-peau.

-Où sont les autres ?

-Morts, répondit Sage avec l'accent rocailleux du pêcheur. Les elfes nous ont tendu une embuscade.

L'homme blêmit et fit signe à d'autres villageois de s'approcher. Ils se regroupèrent autour d'elle.

-Nous avons besoin de plus de bras et d'armes, ajouta Sage. Ils sont dangereux.

Un homme d'apparence sévère lui prit le bras. Sage vacilla et s'agrippa à son épaule.

-Je m'en charge. Tu as besoin de soin. Reculez, ordonna-t-il aux badauds. Nous nous occupons de lui.

Les villageois s'écartèrent. L'homme, agrippa Sage par l'épaule et le guida dans une masure à proximité. La pièce sentait le renfermée et le poisson séché. Des gousses d'ails étaient suspendus au plafond. Sur une table, du pain recouvert par un torchon. Les mouches bourdonnaient dans une chaleur moite.

Une jeune femme attendait dans un coin. Elle fit s'allonger Sage sur un lit misérable. Puis prenant un linge, elle commença à nettoyer les blessures de la change-peau.

L'homme qui l'avait porté à l'intérieur se pressa à son chevet.

-Dis m'en plus Adan, l'incita l'homme. Tout ce que tu sais.

Sage nota mentalement son prénom d'emprunt : Adan.

-Ils savent se battre, répondit la change-peau en serrant les dents. Ce sont des soldats.

-Nous devons-nous débarrasser d'eux. Aldaric est en colère. S'il apprend que les elfes sont encore là, nous sommes morts.

Sage contint sa surprise. Ces hommes n'en voulaient donc pas à leur or ? Avant qu'elle ne puisse réfléchir à sa réponse, la jeune femme renversa de l'alcool sur la plaie. La change-peau rejeta la tête en arrière en hurlant de douleur.

-Arrête Gabrielle, dit l'homme à l'intention de la femme. Je veux qu'il reste conscient.

La change-peau perçut une note d'urgence dans la voix de son interlocuteur.

-J'ai presque finit, répondit la jeune femme.

Sage poussa un nouveau cri de douleur. Leur médecine était rudimentaire. Au moins les elfes l'avaient soignés convenablement.

-Dépêche-toi alors, ordonna l'homme. Je vais chercher Elric.

L'homme, après avoir jeté un coup d'œil aux bandages, sortit de la masure. Une fois seule avec Gabrielle, Sage laissa échapper un souffle tremblant.

Que signifiait tout cela ? Qui était Elric ? Et cet Aldaric, qui voulait leur mort ? Quel pouvoir exerçait-il sur ces villageois ?

Elle laissa Gabrielle lui appliquer en silence un bandage de fortune. Puis Gabrielle sortit à son tour. Aussitôt, Sage se releva. Elle savait qu'elle devait se dépêcher, avant que l'homme ne revienne avec du renfort. Mais elle s'était à peine levée, qu'une porte claqua. L'homme de tout à l'heure était revenu avec un autre individu, de taille haute, à la barbe blanche.

A la seconde où il l'aperçut, l'expression de l'homme changea si vite que Sage crut l'avoir rêvé. Pendant une seconde, il avait paru... surpris ?

Puis l'homme lui lança un regard de mépris. Sage le détesta aussitôt.

-C'est toi, le survivant ? dit-il en dévisageant Sage.

Son compagnon acquiesça avec déférence. A sa réaction, la change-peau supposa que le nouveau venu était un intendant ou un homme de stature similaire. Prenant en compte cette information, elle prit un air intimidé.

-Qu'il vienne, ordonna l'homme. Sieur Aldaric veut lui parler.

Sage, le suivit sans rien dire. Elle ne comprenait plus rien. Pourquoi les villageois s'inquiétaient tant du passage des elfes ?

Elric l'escorta à l'extérieur, jusqu'à une grande bâtisse, la plus grande du village en vérité. Ils traversèrent une série de couloir, puis l'intendant la fit entrer dans une petite pièce. Il claqua la porte et la verrouilla soigneusement. Enfin, il se retourna vers la change-peau.

Il la dévisagea longuement. Son expression changea, passant du mépris à la curiosité franche. Sage baissa les yeux, tenant son rôle de villageois apeuré.

-Tu n'es pas Adan, lâcha soudainement Elric. 

Elfes de la LothlorienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant