Dix-Sept

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« Pourquoi tu ne manges pas ? Tu n'as pas faim ? »

Gabriel tripotait du bout de sa fourchette la purée qui était encore intacte dans son assiette. Il déjeunait au côté de Stéphane, sur une petite table en bois dans un des jardins du Quai D'orsay, là où se dernier travaillait.

« Non, j'ai bien mangé ce matin... » menti le premier ministre.

Deux jours s'étaient écoulés depuis sa rencontre avec le président. Il avait décidé de laisser couler l'affaire et de ne pas se prononcer au sujet des photos qui continuaient de se diffuser sur Internet. Il évitait de regarder ses réseaux sociaux, sachant pertinemment que ça l'enfoncerai juste davantage.

« Arrête de dire ça, tu n'as déjà pas mangé hier ! » fit remarquer Stéphane.

C'était vrai, Gabriel avait totalement perdu l'appétit, et demeurer sans nouvelle de Jordan, n'arrangeait rien. En effet, le président du RN et lui ne s'étaient pas envoyé le moindre message. Pourtant, ils avaient besoin de discuter de la situation ensemble, ils étaient tous les deux dans le même bateau, après tout !

« Je sais qu'il y a quelque chose qui te tracasses... » continua l'homme aux lunettes avec le même ton rassurant que d'habitude. « Tu peux me parler, je ne te jugerais pas. »

Gabriel releva les yeux de son assiette et regarda l'homme à côté de lui. Il savait que, s'il devait se confier à quelqu'un, c'était lui qu'il choisirait.

Ça tombait bien, il avait vraiment besoin d'extérioriser...

Alors qu'il allait enfin ouvrir la bouche, Stéphane reprit.

« Comment il gère la situation, lui ? Je veux dire... Jordan Bardella ? »

À l'entente de ce nom, Gabriel sentit son cœur lâcher. Il pris sa tête entre ses mains tremblantes.

« Je... je n'en sais rien... ça me tue de ne pas savoir... » balbutia le premier ministre, sentant ses yeux s'embuer de larmes.

Ses genoux sautillaient tous seuls. Il était entrain de perdre ses moyens. Ne supportant pas de voir son ami dans cet état, Stéphane prit Gabriel dans ses bras.

« J'aurais pensé qu'il m'enverrai un message... » continua d'une voix brisé le plus jeune. « J'aurais pensé qu'on affronterait cette épreuve ensemble... »

Cette fois-ci, il ne pu empêcher ses larmes de couler.

« Je pensais qu'il m'aimait... » avoua t-il dans un murmure à peine audible.

Le silence s'installa. Même les oiseaux, qui étaient d'habitude chanteurs, s'étaient tus. Même le vent, qui faisait frémir les arbres il y a quelques instants, avait disparu. La terre semblait s'être arrêté de tourner.

« Il t'aime. » déclara enfin Stéphane, d'un air assuré.

Gabriel s'écarta un peu pour observer l'expression de son ami. Il avait un sourire chaleureux sur le visage.

« J'avais deviné bien avant les photos. » reprit-il. « Il suffit de voir comment il te regardes. Ses yeux pétillent à chaque fois que tu prends la parole. Gabriel, il t'aime, je peux te l'assurer. »

Le premier ministre ne répondit rien, buvant les paroles de son ami. Et si il avait raison ? Soudain, il eu envi de tout lui raconter : comment Jordan et lui s'étaient rapprochés de manière inattendue, comment Jordan l'aidait à chaque fois qu'il se sentait mal, comment Jordan le faisait rire même quand ça n'allait pas, et comment ils étaient peu à peu tombé amoureux...

Et c'est ce qu'il fit. Il confia tout à Stéphane, qui l'écoutait avec tendresse et encouragement. Il raconta tout ce qu'il avait gardé en lui pendant ses dernières semaines. Et cela lui fit un bien fou.

Jordan avait la tête qui tournait. Dans quelques instants, il arriverait à l'Assemblée Nationale et il s'apprêterait à faire la pire action de sa vie.

Il faillit tomber en descendant de sa voiture, tellement le stress prenait une place importante dans son corps en ce moment. Les mains moites, il passa la porte du bâtiment et s'engouffra dans l'hémicycle. Il marchait la tête baissée, par peur de croiser le regard de Gabriel, qui ne devait pas se trouver bien loin.

Quelques minutes plus tard, la séance plénière débuta. Marine était assise à côté de Jordan, elle le regarda un court instant, une lueur diabolique dans ses yeux.

Jordan balaya la salle du regard. Le premier ministre était là, tout devant, à sa place habituelle. Son cœur s'emballa en le voyant.

Il ne détacha pas ses yeux de lui jusqu'à ce qu'il sente du mouvement à sa droite. Marine s'était levé, elle avait prit le micro devant elle. Avant de commencer à parler, elle lança un regard à Jordan en hochant discrètement la tête. C'était le moment.

« Je voudrais parler de fait que le nombres d'homosexuels en France ne cesse d'augmenter... »

Rapidement, de nombreuses protestations fusèrent de tous les coins de la pièce avant qu'elle ne puisse finir sa phrase. Évidemment.

À présent, c'était au tour de Jordan. Il attrapa son micro. Bien qu'il n'ait jamais été aussi angoissé de toute sa vie, il ne laissa rien paraître. Il se tenait droit, portait son regard au loin et avait les sourcils légèrement froncés pour se donner un air strict et sûre de lui.

Sans vaciller, il expliqua que, pour ne pas laisser cette « mode » se multiplier, l'État devrait mettre de nombreuses mesures en place, comme l'interdiction du mariage pour tous et de la PMA pour les couples homosexuels, haussant de plus en plus la voix pour surpasser les contestations et les désapprobations des autres personnes présentes.

Après avoir déclenché une vague de révolte dans l'hémicycle, il se rassit en reposant brusquement le micro et en croisant les bras.

Ça y est, il se détestait.

Gabriel n'en revenait pas. Il était désemparé. Il profita du chaos qui régnait dans la pièce pour se prendre une nouvelle fois la tête dans les mains. Elle semblait lourde, beaucoup plus que d'habitude. Il se pinçait l'intérieur de la joue jusqu'au sang pour empêcher ses larmes de sortir.

Comment avait-il pu aimer un homme avec de tel propos ? Comment pouvait-il aimer un homme avec des propos aussi injurieux et diffamatoires ?

Tout se bousculait dans son esprit. Il ne faisait plus du tout attention à ce que les autres pouvaient dire autour de lui. Il se sentait pris de nausées et de vertiges.

Cet homme, dont il était fou amoureux il y a quelques jours, le répugnait. Il voulait lui hurler au visage toutes les insultes possibles et inimaginables, tellement que sa haine était grande.

Mais il ne pouvait pas se douter que Jordan agissait sous les ordres de Marine...

Sentant que ses membres allaient le lâcher, il quitta discrètement la pièce, essayant de se fondre parmi les multiples injures et l'anarchie qui y régnait.

Mais, même loin du tumulte, il sentait un bourdonnement incessant dans ses oreilles. Il ne marchait pas droit et devait s'accouder aux murs s'il ne voulait pas tomber. Il réussit malgré tout à se rendre jusqu'aux toilettes, sa vision se brouillant de plus en plus.

Il était sur le point de faire un malaise, il le savait. Mais cette fois-ci, Jordan ne serait pas là pour le récupérer...

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Quand la politique s'efface... (bardella x attal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant