Chapitre 4

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J'étais en sueur. Mon tee-shirt me collait la peau. J'avais les mains noircies de terre. Munis de branches nous avancions comme nous pouvions à travers la forêt qui ressemblait plus à une petite jungle qu'autre chose. Je lançai un coup d'œil par-dessus mon épaule. Mon frère fermait la marche. Maman et Emy se trouvaient entre nous deux. Notre but était très simple : retrouver papa. Puisque qu'on avait un ange gardien qui nous donnait de quoi survivre, on pouvait consacrer notre temps à le chercher. Le matin même, en me réveillant, j'avais pris la décision de ne pas parler de ce que j'avais vu la veille. Tout simplement parce que je n'étais pas très sûr si j'avais rêvé ou non et je préférais garder cette information pour moi pour l'instant.

- Alex ? On peut faire une pause ? Emy n'en peut plus, annonça ma mère en me tirant de mes pensées.

J'acquiesçais et en profitais pour boire un peu. Lorsque le liquide froid coula dans ma gorge desséchée, je me sentis revivre. Ça me faisait un bien fou.

- Ça va ? je m'enquis en me penchant vers ma petite sœur qui buvait à grandes goulées.

Cette dernière avait le visage rougi par l'effort et il était parsemé de petites traces de terre. Je sentis mon cœur se serrer. Elle n'était pas faite pour ce genre d'expédition. Malheureusement, on ne pouvait pas la laisser seule dans la grotte. La meilleure façon de garantir sa sécurité était de l'emmener avec nous.

- Oui ça va ! s'écria-t-elle avec un grand sourire.

Maman rangea la gourde dans son sac.

- Je vais prendre la tête, décida-t-elle. Ça permettra de te reposer un peu Alex.

- D'accord.

Je la laissai passer devant tandis que je prenais la place en deuxième position. Nous marchâmes ainsi, à travers la forêt dense, pendant plus d'une heure. Alors que j'étais perdu dans mes pensées, à imaginer qui pouvait être cette personne que j'avais aperçus l'autre soir, un bruit de pas précipités nous fîmes tous sursauter. Je jetai un coup d'œil autour de nous. Emy me lança un regard angoissé et son menton trembla. Chut, je fis silencieusement en mettant mon doigt sur ma bouche. Puis je pris ma sœur par la main pour la rassurer et je tendis l'oreille. Les pas s'éloignaient. Maman ne perdit pas de temps.

- Mathieu reste avec Emy à trois mètres de nous, ordonna-t-elle puis elle s'adressa à moi. Alex et moi passons devant.

Je hochai la tête et nous nous mîmes à courir en direction des bruits. Mon cœur battait à tout rompre. Les bruits de pas se rapprochaient, ils étaient plus distincts à présent, je perçus même des grognements. Mon cœur cognait violemment dans ma poitrine. Tout à coup, nous arrivâmes dans une vaste clairière et ce je vis me pétrifia. Mon père – car c'était bien lui – était sur le sol, immobilisé par un lynx. Ce dernier se rapprochait dangereusement de sa tête.

- Va-t-en sale bête ! hurla ma mère si brusquement que mon cœur rata un battement.

Sans hésiter, elle brandit une grosse branche et la frappa de toutes ses forces sur la tête du lynx. Malheureusement le lynx, qui avait perçu son geste, l'esquiva et la branche vint frapper le ventre de mon père. Loupé, songeais-je en grimaçant. Celui-ci se tordit immédiatement de douleur. Alors que je reprenais peu à peu mes esprits, ma mère s'écria à notre attention :

- Allez-vous cacher les enfants vite !

Je regardais autour de moi. Mathieu et Emy disparurent aussitôt dans la végétation mais moi je restai. Je ne pouvais pas laisser ma mère seule face à un lynx. Je ramassai aussitôt une branche sur le sol et rejoignis ma mère. Le lynx nous faisait face. Les babines retroussées, les yeux en forme de feintes, les muscles tendus, prêt à bondir, nous avions face à nous un lynx en furie.

- Qu'est-ce que tu fais encore là, Alex ? s'exclama mère en me jetant un regard mêlé d'inquiétude et de colère.

- Je reste avec toi. Je vais t'aider, répondis-je avec une voix assurée.

- Je t'avais dit de...

Ma mère n'eut pas le temps de finir sa phrase. Le lynx venait de bondir. Je brandis ma branche devant moi par réflexe. Mais le lynx l'attrapa dans sa gueule et l'éjecta dans les buissons. Je sentis une goutte de sueur couler le long de mon dos. J'étais tétanisé et regardai le lynx qui venait sur moi. Du coin de l'œil, j'aperçus ma mère qui était prête à le frapper. Mais où a-t-elle appris à réagir comme ça ? Puis je me rappelais qu'elle avait été militaire dans sa jeunesse avant de se réorienter. Ma mère n'eut pas le temps de terminer sa frappe. Le lynx venait de se détourner de moi. Il recula de plusieurs pas tandis que je le regardais stupéfait.

C'est alors que je la vis. Une femme de mon âge, la peau bronzée par le soleil, ses cheveux châtains clairs attachés en une queue de cheval et ses incroyables yeux bleus. J'étais bouche-bée. C'était elle, Kim. Une des adolescents disparus. Derrière un jeune homme métis aux yeux noirs comme l'encre l'accompagnait.

- Noa, ça suffit ! s'écria tout à coup Kim d'une voix dure.

Le lynx grogna en guise de réponse mais la jeune femme ne se laissa pas impressionner et fit quelques pas dans sa direction. Je voulus lui dire de faire attention mais mes paroles moururent dans ma gorge. Elle paraissait mieux s'y connaitre que nous, j'aurai eu l'air idiot.

Le lynx gronda lorsque Kim tendit sa main vers le museau du lynx.

- Noa, répéta Kim en plantant ses yeux dans ceux de l'animal. Reviens à toi, je t'en prie.

Je fronçai les yeux. Le lynx venait de s'asseoir sur le sol et son corps tout entier se mit à trembler. Je ne pus détacher mes yeux de la scène qui se déroulait devant moi. Ça me fascinait autant que ça me terrifiait. Le corps tacheté de l'animal perdu rapidement sa belle couleur pour laisser place à des vêtements et de la peau lisse. Son corps s'allongea et se redressa. Une masse de cheveux noirs apparurent sur sa tête. Une jeune femme asiatique aux cheveux coupés au carré venait de remplacer le lynx, qui s'y tenait quelques secondes auparavant. Je poussai un petit cri de surprise mêlé de peur. C'était aussi l'une des disparues.

Le Regard de la louveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant