Le Regard de la louve

Chapitre 8

Elle me lançait un regard étrange et me fixait intensément depuis plusieurs minutes. J'en fus presque submergé. Ses yeux bleus venaient de virer au doré. Je laissai échapper un hoquet de surprise mais je ne bougeai pas. Aussi étrange que cela puisse être, j'avais confiance en elle. Même lorsque son regard se réduit à deux fentes symétriques. Même quand ses oreilles glissèrent vers le haut de son crâne, quand son nez s'allongea, même quand une protubérance apparut à l'extrémité de son corps et que ce dernier se recouvrait de poils, je ne pris pas peur. J'avais confiance en elle, et je ne pouvais l'expliquer.

Un loup. J'étais face à un loup. Il n'était pas particulièrement grand mais plus qu'un husky ou qu'une race similaire. Sa fourrure grise était d'une beauté stupéfiante. Je n'avais jamais vu cela. Elle paraissait agréablement douce. Et ses yeux... Mon cœur bondit dans ma poitrine. Ils étaient redevenus bleus. Comment est-ce possible ?

Le spectacle qui se déroulait sous mes yeux était presque irréel. Je n'aurai jamais imaginé voir une quelconque personne se transformer en loup, encore moins une femme aussi belle... à part au plus profond de mes livres bien sûr. J'étais subjugué par elle. Elle me fascinait. Sous son apparence de louve, elle dégageait quelque chose de puissant, une aura douce et emplie de bienveillance. Ça me mettait en rage de penser que cette transformation était dûe à des expériences d'un fou... Ce n'était pas naturel d'effectuer ce genre de processus pour un animal ou un humain. Et pourtant le résultat est stupéfiant...

Kim ne m'avait pas lâchée du regard depuis sa transformation. J'avais l'impression qu'elle me demandait quelque chose. Pris d'une pulsion soudaine, je tendis ma main vers elle. La louve recula d'un pas surprise et gronda doucement. Je voulus aussitôt retirer ma main. Je ne voulais pas lui faire peur. Mais à ma grande surprise, elle approcha son front de ma main et entra en contact avec ma peau. Mes doigts s'enfouirent dans son délicieux pelage. Il était d'une douceur sans fin. Une envie de m'y blottir effleura mon esprit mais je me contenais. Ce n'était pas raisonnable. Même si elle restait Kim, elle était également un loup en ce moment-même. Je ne voulais pas la brusquer. D'autant plus qu'elle faisait preuve d'un sang froid extrême et paraissait être maître d'elle-même.

Soudain elle émit un bruit doux lorsque je me mis à caresser plus en profondeur son pelage. Elle ronronnait et soufflait du museau, comme un chien qu'on câlinait. Je ris doucement à son contact. La louve releva sa tête et posa sa truffe non loin de ma tête. Elle me regardait attentivement et semblait me dire quelque chose. Elle finit par s'allonger et me présenta son dos. Ne me dis pas que...? J'enroulais doucement ses poils entre mes doigts et m'approchais de son corps. D'abord hésitant, je levai les yeux vers elle. Cette dernière ne me lâchait pas du regard.

- Je peux ?

Elle souffla longuement. Je pris ça pour un oui, n'espérant pas me tromper. Je ne voulais pas la brusquer. Je saisis sa fourrure et tirai légèrement dessus pour m'aider à monter. Je n'étais pas vraiment rassuré. Certes, elle était plus grande qu'un loup classique et ce n'était pas un animal fait pour être monter. N'importe quel animal n'est fait pour être monter en soi... Je m'assis avec précaution sur son dos, les jambes de part en part de son abdomen. Je retins mon souffle.

Sans un bruit, elle commença à faire quelques pas. Je sentais ses os dorsaux bouger sous sa chair. Mais cela ne me gênait pas. J'étais incroyablement fasciné par ce que je vivais. Kim accéléra légèrement le rythme. Je dus aussitôt m'accrocher à sa fourrure pour ne pas tomber. Je tanguais dangereusement. Je comprends mieux pourquoi elle m'a demandé si j'avais le mal de mer, me dis-je en souriant. Je plaquais mon ventre contre son dos pour trouver une position confortable.

Lorsqu'elle accéléra à nouveau sa course, je fus assailli par de nombreuses sensations. Mon cœur battait la chamade. J'étais comme un gamin à la fête foraine. Je sentais le vent léger de la nuit frôler nos corps respectifs. Par moment, quelques branches venaient à la rencontre de mes bras. Kim faisait en sorte d'emprunter un itinéraire suffisamment dégagé pour ne pas nous blesser. Je sentis le sourire sur mon visage s'agrandir davantage et un rire de joie s'échappa de mes lèvres malgré moi, retentissant aux alentours. C'était magique. Tu es loin d'être un monstre, Kim. Crois-moi.

Après une dizaine de minutes de notre course affolante, la louve finit par ralentir le pas. Elle s'arrêta quelques instants après. Cette petite escapade touchait à sa fin. Inquiet, je baissais ma tête au niveau de la sienne.

- Tu veux que je descende ? murmurais-je à faible voix.

Seul un gémissement me répondit. Je me figeais. J'espère que je ne t'ai pas fait mal... Une pointe de remords m'envahit et je me dépêchai de descendre de ma monture. Elle leva alors les yeux vers moi et s'immobilisa en m'apercevant. Je levai aussi ma main de sa fourrure, craignant d'en avoir trop fait... Mais ces yeux se changèrent d'eux-même. Ils prirent une teinte dorée. Je vis alors le processus inverse s'effectuer. Ses poils se retirèrent de sa peau, laissant apparaître à nouveau ces vêtements. Son museau se raccourcit, ses oreilles basculèrent sur les côtés de sa tête et son corps entier retrouva son apparence humaine.

- Eh ! m'élançai-je en la voyant vaciller dangereusement.

Je l'attrapai contre moi. Elle papillonna des yeux. Ils étaient redevenus bleus.

- Tout va bien Kim ?

Elle fronça les sourcils lorsqu'elle était en train de réaliser ce qu'il s'était passé. Un sourire illumina son visage, qui était encore plus beau ainsi. Un sentiment de soulagement m'envahit. Elle allait bien. La jeune femme m'enlaça très rapidement avant de se détacher de moi.

- C'était trop bien ! s'extasia-t-elle en sautillant sur elle-même.

Je ne l'avais jamais vu comme ça depuis le début de la journée - qui me paraissait d'ailleurs interminable. Ses yeux pétillaient de joie. J'esquissais un petit sourire. Elle était heureuse.

- Quoi ? fit-elle en voyant que je la dévisageais d'un drôle d'air.

Je secouai doucement la tête alors que mon sourire s'agrandissait.

- Rien, rien... Ton corps de loup te va bien...? risquais-je en attendant sa réaction.

Elle baissa alors doucement les yeux. Merde, m'alarmais-je intérieurement. Ais-je dit quelque chose qui ne fallait pas ?

- Kim ?

Elle releva les yeux timidement vers moi. J'y vis alors une peur immense. Mon cœur serra immédiatement. La bulle d'insouciance qui s'était formée autour de nous venait d'éclater.

- Alex, il faut que je t'avoue quelque chose, murmura-t-elle enfin.

Elle se triturait les mains, mal à l'aise. Je les lui pris doucement pour l'encourager, enlaçant nos doigts. A l'intérieur, j'étais mort de trouille. Son air sérieux ne me disait rien qui vaille.

- La transformation est progressive et elle devient irréversible au bout d'un certain temps (elle fondit en larmes) c'est pour ça que le Professeur continue ses expériences...

Sa voix se brisa. J'étais anéanti.

- Tu veux dire que tu finiras par devenir loup éternellement ? je m'enquis doucement en prenant son visage dans mes mains.

Elle hocha doucement et renifla. Je l'enlaçai aussitôt. Je ne supportais pas de voir quelqu'un pleurer. J'avais besoin de la rassurer, je ne voulais pas qu'elle aie peur, je voulais qu'elle soit heureuse. Je resserrai mes bras autour de son corps tandis que les siens se posèrent sur mon dos. Elle me rendit mon étreinte.

- Je ne le laisserai pas faire Kim, affirmais-je d'une voix forte. Il doit forcément avoir un moyen de contrer la transformation.

Elle se détacha doucement de moi. D'un revers de main, elle enleva les larmes séchées imprimées sur son visage. Un air grave avait remplacé sa tristesse.

- C'est exact.