Les Forgeurs de Monde: T1 L'Eau et le Fer

Chapitre 13

Le chantier a bien démarré, les hommes engagés par Vigo sont déjà sur place, creusant des tranchés, apportant le matériel nécessaire. Je suis là, sur le sommet d'une dune, et je regarde mon projet prendre vie sous mes yeux, bien qu'il n'en soit qu'aux balbutiements. C'est tellement grisant, je n'arrive toujours pas à réaliser que ça y est, nous y sommes.

J'enfile mes lunettes de protection et remonte mon foulard sur mon nez. Le vent souffle fort, mais pas encore assez pour former une tempête. Rose me rejoint, avec également ses lunettes et son foulard. Elle passe son bras sous le mien et contemple avec moi le commencement d'un nouveau monde. Nous n'avons même pas besoin de nous parler pour nous comprendre. Nous jubilons en silence. Diego est présent également, avec un autre ranger et nous observe au loin, sur son cheval. Le Maire a demandé au Shérif de poster des hommes pour surveiller le chantier jour et nuit, afin que rien ni personne ne puisse interférer avec sa construction. Je croise son regard, et une boule se dessine dans mes entrailles. Lui et moi avons été tellement occupés ces derniers temps que nous n'avons pas encore eu le temps de discuter de notre relation, et en toute sincérité, ne pas savoir où nous en sommes, est le cadet de mes soucis. Je ne sais de toute façon pas que quel pied danser avec lui.

— Ce sont bien des tuyaux en cuivre j'espère ! dit Rose en regardant les tuyaux que rapportent les ouvriers, les supportant sur leurs épaules.

— On dirait, ça y ressemble en tout cas, je tente de confirmer en plissant mes yeux pour mieux voir.

— Bouge pas, je vais aller voir ça de plus près.

Rose me lâche le bras, descend la dune d'un pas nonchalant, et commence à discuter avec les hommes, les sourcils froncés en les écoutant. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent, mais elle finit par lever son pouce vers moi pour me signaler que tout va bien. Elle salue l'ouvrier puis remonte dans ma direction.

— C'est bien du cuivre, m'informe-t-elle, essoufflée après avoir remonté la pente. Je lui tends la main pour l'aider à revenir vers moi.

— Tant mieux... Je pose à nouveau mon regard sur Diego, qui scrute les environs avec une réelle concentration.

— Je te laisse, Dean m'attend au labo, je dois aussi surveiller ce chantier-là, me dit alors la petite blonde.

Les travaux pour le laboratoire de Rose ont débuté une semaine avant ceux de la pompe, et Dean s'est chargé de recruter des hommes avec l'aide de son oncle, Phil. La clientèle de ce dernier est souvent composés d'ouvrier et d'artisans, en plus des mineurs. Lasse d'être debout, je m'assoie sur le sable, et pose mes bras sur mes genoux, ne sachant que faire à part regarder mon œuvre se construire. J'ai envie de participer à sa construction, de souder, d'huiler, mais Vigo souhaite que je m'en tienne à la supervision et que je contrôle juste le travail des ouvriers, et celui du chef de chantier.

Un homme arrive à ma hauteur. De prime abord, je n'en vois que le pantalon de linceul blanc et les chaussures en cuir vernis noir. Cela me contraint à lever la tête, et je suis éblouie par le soleil. C'est un des hommes de Vigo, qui se tient droit à côté de moi. Je râle à voix-basse et me relève alors en époussetant son pantalon.

— Monsieur vous fait savoir qu'il aimerait que vous passiez le voir dès que vous aurez un moment.

C'était le jeune homme qui nous a emmené dans le bureau de Vigo quand nous étions à la tour, un prénommé Gus.

— D'accord, dites-lui que je viendrai.

Il fait claquer ses chaussures, du moins tente-t-il, ne faisant que déplacer du sable, et tourne les talons, droit comme un piquet. Je me demande ce que peut bien me vouloir l'investisseur. Sans doute souhaite-t-il discuter de l'avancée des travaux et des délais à prévoir. Je commence à repartir vers le cœur du village, mais une voix familière m'interpelle. Je me paralyse et mon cœur s'emballe, le nœud dans mon estomac se resserre. Je n'ai pas vu Diego se rapproché autant de moi. Maudit soleil, et maudit sable qui camoufle le son des sabots.