Chapitre 11 - Pauvre carcasse

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Le silence est pesant. Tout semble étrangement figé, comme si le temps lui-même s'était arrêté à la mort de Leïla.

Une...deux...trois secondes oublient de passer.

Je suis assise devant ma coiffeuse, immobile, sous le regard accusateur de Vénus. L'ongle de mon index griffe le marbre du plateau. Le crissement que cela génère pourrait être désagréable, d'autant plus que la force que j'y applique plie mon ongle par moment. L'extrémité se retourne de temps à autre et j'appuie encore plus. Je sens à peine la douleur, cherchant à me raccrocher à la réalité. Le maquillage et les bijoux ne semblent que des accessoires étrangers sur mon corps, des parures qui ne parviennent pas à masquer la douleur intérieure. Mon reflet me renvoie une image qui n'est plus vraiment la mienne. Et cette robe trop serrée... Elle compresse ma poitrine. Je ne sais pas si c'est le calme artificiel des tranquillisants qui brouille mes pensées, ou si je suis réellement en train de me dissocier de ce corps. Je le vois bien dans ce reflet traite...oh que oui...on remarque ces puits sans fond, sans âme. Ternes et éteins. Mes prunelles reflètent les méandres de ma tristesse. Tout est flou, cotonneux, mais pas assez pour effacer Leïla. Je vois encore ses yeux, en superposition avec les miens. J'entend encore ses cris en écho avec les battements de mon cœur, aussi, j'espère qu'il cessera de battre, tout comme le sien. Une semaine. Une semaine qu'elle est morte.

Ma mère se tient derrière moi, ses gestes lents et précis. La brosse glisse dans mes cheveux, encore et encore. Le mouvement est doux, presque hypnotisant. Je me focalise là-dessus, sur le bruit des poils contre mes mèches, sur le léger tiraillement du cuir chevelu. Ça m'aide à ne pas penser, à ne pas m'effondrer.

Une semaine...

- Souris un peu, Psyché, elle souffle. Sa voix est douce, comme si elle essayait de percer l'épaisseur de la torpeur qui m'enveloppe. Ce soir est important. Il faut que tu fasses bonne impression.

Leïla est morte. Quelle impression autre que la porteuse de la mort pourrais-je donner ?

Je serre les dents. Bonne impression. Parce que c'est tout ce qui compte, n'est-ce pas ?

- Pourquoi faire...? Je chuchote.

Mon ongle appuie plus fort. Dans mon esprit, la scène se joue encore et encore. Un battement de cils et le couteau glissait. Une seconde et ses joues perdaient leur couleur rosée.

Les poils de mes bras se hérissent. Ça y est. L'ongle s'est cassé.

Je l'observe d'un air pensif alors que mon esprit s'est terré bien loin. Je penche la tête sur le côté comme si cela pouvait m'aider à saisir les informations de douleur qui parviennent à mon cerveau. Mais mes récepteurs sont brouillés par le Diazépam. Lorsque ce calmant agit, j'ai l'impression de flotter, en apesanteur au-dessus de ma peine, ne parvenant pas à saisir la cordelette de mes émotions. Il m'empêche de les vivre de pleins fouets et si je n'avais pas le meurtre de Leïla en souvenir, je pourrais presque penser que j'avais tout inventé.

- Pour mieux me vendre ? J'ajoute la voix rauque et cassante.

Une nouvelle partie de moi est morte il y a une semaine et je n'ai plus la force d'arrondir les angles. Je suis trop faible pour me rebeller, trop ébranlée et effrayée de risquer la vie d'un de mes proches une nouvelle fois. Pour l'instant je subis.

Pour l'instant...

Ma mère m'ignore. C'est ce qu'elle a fait aussi dès l'instant où le corps de Leïla a été emmené. Elle est simplement retournée à son quotidien et ce n'est que lorsque mes pleurs, se répercutant dans ce manoir bien trop grand, lui sont devenus insupportables, irritant ses oreilles délicates, qu'elle m'a mise sous calmant. M'anesthésiant pour qu'enfin je ne l'embête plus. Pour que celle, dont cette horreur n'est pas acceptable, ne fasse plus de vague.

Eros et PsychéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant