L'ombre du doute

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Cela faisait déjà une semaine depuis cette nuit troublante où cet homme avait prononcé mon prénom. Je n'arrivais pas à comprendre comment il pouvait le connaître. Je n'en avais parlé à personne, pas même à Nadia ou Aymen. Ça me hantait, mais j'essayais de l'oublier, comme je le faisais avec tout le reste. Sauf que là, c'était différent. Chaque fois que je passais près du coin où je l'avais rencontré, mon cœur battait plus fort. Qui était-il ? Pourquoi m'avait-il abordée comme ça, et surtout, pourquoi connaissait-il mon prénom ?

Ce matin-là, je me réveillai en sursaut. Encore un cauchemar. Un de plus. Depuis aussi loin que je me souvienne, ils faisaient partie de moi. Ces ombres qui me poursuivaient dans mes rêves semblaient de plus en plus réelles. Je ne savais plus ce qui était pire : le souvenir de la douleur ou cette sensation de les revivre chaque nuit.

Je me levai rapidement, jetant un coup d'œil par la fenêtre. La lumière pâle du jour peinait à percer les nuages. Une nouvelle journée commençait. J'entendais déjà Azdin et Keziah se chamailler dans le salon, leurs cris habituels résonnant dans l'appartement exigu. J'inspirai profondément, tentant de ne pas m'énerver.

« Azdin, Keziah, c'est bon, calmez-vous, je vous entends ! » lançai-je d'une voix plus sèche que je ne l'aurais voulu.

Ils s'arrêtèrent un instant, puis Keziah reprit la parole, l'air boudeur : « Mais c'est lui qui a pris la dernière tartine ! »
Azdin éclata de rire. « Bah oui, t'es trop lent ! »

Je soupirai, lasse. « Vous aurez tout le temps de vous disputer au skate park, allez, filez ! » dis-je, essayant de garder mon calme.

Les deux filèrent dans la chambre pour enfiler leurs vêtements, me laissant enfin un moment de répit. Marwan, lui, traînait encore dans le couloir, l'air absent. Depuis qu'il traînait avec des gars plus âgés, il s'était refermé sur lui-même. Je m'inquiétais pour lui. Il n'avait que 14 ans, mais il semblait déjà vouloir s'éloigner du cocon familial, se forger une identité différente, presque rebelle. Pourtant, je voyais bien qu'il restait protecteur envers nous, même s'il ne le montrait pas toujours.

« Marwan, tu viens avec nous ? » demandai-je en essayant de cacher mon inquiétude.

Il haussa les épaules et répondit d'une voix traînante : « Ouais, j'arrive. »

Il enfila ses baskets, et nous sortîmes tous les quatre en direction du skate park. Une petite sortie comme celle-ci faisait partie de notre routine hebdomadaire, mais c'était aussi l'une des rares occasions où je pouvais passer du temps avec mes frères, loin des responsabilités du quotidien.

L'après-midi avançait, et après avoir déposé mes frères à la maison, je rejoignis Rahyana pour notre sortie habituelle au marché. C'était un rituel que nous avions depuis quelques mois, à chaque fois que les courses étaient faites et la maison en ordre. Rahyana était mon aînée, la fille de l'oncle paternel que je ne voyais presque jamais. Elle avait toujours été là, surtout depuis le départ de mon père, comme une sorte de grande sœur bienveillante. Mais elle avait aussi ce côté intransigeant, un peu moralisateur, que je ne savais pas toujours comment prendre.

Aujourd'hui, elle m'attendait comme toujours à l'entrée du marché, un sourire doux sur les lèvres, enveloppée dans une abaya noire sobre, mais élégante. Contrairement à moi, Rahyana portait toujours ses vêtements avec une certaine dignité, une aura de calme et de foi qui la distinguait. Moi, je me sentais souvent mal à l'aise à ses côtés, comme si je ne méritais pas ce qu'elle m'offrait, notamment l'argent qu'elle me donnait régulièrement.

Nous avançâmes entre les étals, discutant de tout et de rien, jusqu'à ce qu'elle sorte de son sac quelques billets, comme à chaque fois. « Tiens, prends ça. Je sais que c'est pas facile pour toi et ta mère en ce moment. »

Je baissai les yeux, un peu mal à l'aise. « Tu sais que j'aime pas ça, Rahyana. Je veux pas dépendre de l'argent de ton père. »

Elle fronça légèrement les sourcils. « C'est aussi ton oncle, Adila. Mon père fait ça pour toi. Tu fais déjà tellement pour ta famille... Laisse-nous t'aider. » Elle me tendit les billets avec insistance, et je finis par les prendre, à contre-cœur. « Merci... » murmurai-je en évitant son regard.

Nous continuâmes notre chemin entre les étals du marché, jusqu'à un stand d'abayas colorées. Rahyana en choisit une pour moi, d'un bleu profond. « Celle-là t'ira bien », dit-elle avec un sourire. « Elle te rappellera que l'élégance peut aussi passer par la simplicité. »

Je hochai la tête, prenant note de son commentaire. Rahyana était plus qu'une cousine pour moi, elle était une figure qui cherchait toujours à m'élever, surtout sur le plan spirituel. Son regard perçant semblait souvent voir au-delà de mes hésitations, de mes peurs.

« Tu sais, Adila, tu devrais vraiment penser à te rapprocher de la prière, » lança-t-elle doucement en ajustant son voile. « Je sais que c'est pas facile avec tout ce que tu vis, mais ça pourrait t'apaiser. »

Je la regardai, un peu gênée. « Je sais... Je vais essayer. » Mais au fond, je ne savais pas si j'étais prête. Pas encore.

Le soir venu, après avoir passé la journée à ranger l'appartement et préparer la semaine, je me glissai sous la douche, espérant que l'eau chaude m'apporterait un peu de répit. Comme à mon habitude, je pris le temps de me laver, de sentir l'eau effacer la fatigue qui pesait sur mes épaules. Une fois sortie, j'enroulai une serviette autour de moi et me glissai dans ma chambre, prête à m'abandonner au sommeil.

C'est alors que mon téléphone vibra sur la table de nuit.

Nadia : Viens me sauver, s'il te plaît.

Je clignai des yeux, relisant le message plusieurs fois. Nadia ne m'envoyait jamais ce genre de messages, surtout sans explication. Mon cœur accéléra, un mauvais pressentiment s'installant en moi.

Je lui répondis aussitôt, mais aucune réponse ne vint. Je tentai de l'appeler, une fois, deux fois... toujours rien. Sans réfléchir davantage, je sautai dans mes vêtements, attrapai mes clés et me précipitai hors de l'appartement, dévalant les escaliers de l'immeuble à toute vitesse.

Le froid de la nuit me frappa de plein fouet, mais je n'y prêtai pas attention. J'avais un mauvais pressentiment, et plus je pensais à Nadia, plus mon esprit s'emballait. Où pouvait-elle être ? Pourquoi ne répondait-elle pas ?

Adila - Entre Ombres et Lumière Où les histoires vivent. Découvrez maintenant