18 - DU FOND À LA FORME, ENTRE ALTRUISME ET VANITÉ

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« Desires make slave out of kings and patience makes king out of slaves » Al Ghazali


Jade m'attendait patiemment dans la voiture. Elle me saluait, puis nous prîmes la route pour un petit chalet dans les Vosges...


"Tu verras c'est sympa comme tout. Trois jours de randonnée. Une sorte de retraite spirituelle 2.0 avec des trucs à manger et des gens cools".


L'idée ne m'avait au premier abord pas trop enchantée mais je me disais que je n'avais rien de mieux à faire. Les soirées Netflix à ressasser le passé étaient mon quotidien. Aussi je pensais qu'il serait peut-être intéressant de parfois me faire violence.


Comme je me l'étais imaginé, le trajet m'était tellement insupportable qu'il me fallait m'évader pour le supporter. Nous devions prendre trois correspondances pour nous rendre sur le lieu : un bus, un tram puis un train. Le triptyque d'enfer pour une crise d'angoisse. La proximité, les bruits des alarmes, les conversations, cette dysharmonie me mettait mal à l'aise. Lorsque c'était le cas, je touchais mes cheveux comme le ferait un parent.


Ce n'était cette fois-ci pas suffisant pour calmer cet arc-en-ciel émotionnel qui m'enserrait comme dans un étau. Encore quelques minutes et je me serais recroquevillée au sol, bras croisés autour des genoux.


Un message ! Ouf, fin du calvaire pensais-je. C'était Chams. Mon cœur battait la chamade.

"7 ans, 3 mois et 2 jours aujourd'hui. Une belle journée à toi strong lady".


"Excusez-nous Monsieur le bilingue", pensais-je amusée.


Je donnais l'image d'une femme forte, et il est vrai que peu de personnes connaissait mon côté vulnérable. À ses côtés, je me sentais protégée. Il parvenait, je ne sais trop comment, à lire en moi comme dans un livre. J'avais beau feindre d'aller bien, il sentait lorsqu'au fond quelque chose me tracassait. Il ne supportait pas de me voir faible ou trop sensible. Pour faire face à cette société je me devais d'être forte, de résister aux épreuves car "le monde est fait de forts qui abusent des faibles". Sur ce point, Jade et Chams s'entendaient à merveille et pouvaient des heures durant débattre des injustices et de la manière dont ils pourraient refaire le monde.

J'aimais la force et la confiance qu'il dégageait. Il avait cette propension à comprendre comment j'exprime ma timidité. De nature plutôt réservée et timide, mon entourage avait pourtant pour habitude de ne voir que la facette sociable que je manie avec certainement plus d'aisance.

Je me disais parfois que j'aurais aimé être plus frêle, cette pensée m'avait d'ailleurs tellement animée dans mon enfance que j'étais passée par une terrible phase d'anorexie. Un déchirement pour ma famille. Je me tuais à petit feu pour correspondre à l'image que je voulais donner de moi, mais que je n'étais pas en réalité.


J'avais aujourd'hui sans grand effort un corps "mésomorphe", pour reprendre les propos de mon coach sportif.


"T'es bien foutue et t'as même pas besoin de faire de sport", me répétait Jade.

Je passais d'une jeune adolescente plutôt bien en chair à une brindille asséchée. Aujourd'hui, Dieu merci, je me suis stabilisée. Mon corps semblait correspondre aux hommes, en tout cas c'est ce qu'expriment la majorité des regards qui me dévorent tel un lion assaillant sa proie. Plus jeune, cela ne me dérangeait pas de plaire, d'attirer l'attention. Aujourd'hui, les choses sont différentes.


Coquette pour moi-même, j'étais devenue plus renfermée et ne supportais pas qu'un regard s'attarde trop longtemps sur moi. Je supportais mal les compliments, préférant qu'on me laisse tranquille. Les multiples déceptions, idéalisations et faux semblants m'avaient fait perdre confiance en l'autre.


À vrai dire, le regard que je portais sur mon corps était plutôt déconnecté de ce qu'il semblait être aux yeux du monde. Cela m'avait valu à maintes reprises critiques en tout genre et jugements erronés. On me trouvait souvent incohérente.


"Tu t'habilles de manière moulante et te dis musulmane". "C'est étrange, tu t'intéresses à la spiritualité mais ta pratique ne suit pas, enfin tu pries, jeûnes, tu es humble, respectueuse... Mais pourquoi tu mets autant tes formes en avant ?"


Il faut croire que cette dualité était le propre de l'Homme. La plupart des hommes qui m'accostaient étaient comme moi des personnes axées spiritualité et religion, mais étaient a contrario les plus gros pervers jamais rencontrés.


" Oukthy, sur ta photo tu fais très provocatrice en débardeur. Je te conseille de la retirer inshaAllah."


Et voilà que, gênée, je préférais supprimer cette soi-disant source de désagrément.

Quelques jours plus tard, Akhy fi Lah, vaillant sur son cheval blanc, me demandait mon numéro et me proposait d'apprendre le tajwid chez lui. Ce scénario n'était hélas qu'un aperçu de ce que vivaient bien des femmes. J'avais fort heureusement connu des personnes plutôt stables, intéressées mais qui savaient s'en tenir aux limites que je fixais, aussi rigides soient-elles.


Mon corps à l'image d'un cintre n'était pour moi que le support permettant de mettre en lumière le vêtement. Je m'étais toujours habillée de manière sobre pour ne pas attirer le regard, mais il faut croire que ce n'était pas suffisant. Les tenues qui ornaient mes amies à merveille ne donnaient pas le même aspect sur moi. Quand elles paraissaient mignonnes dans une robe, j'avais l'air sexy et aguicheuse dans le même vêtement.


Enfin arrivée ! Fin du calvaire !

Quelle ne fût pas ma surprise lorsque j'aperçus au loin... Non. Je croyais rêver. Badr était là ! J'avais oublié à quel point il ressemblait à son frère.

"Eh, déballez le tapis rouge voilà les plus belles ! Ayna vient là que je te sers dans mes bras", cantonna-t-il tout sourire, les bras grands ouverts.Il nous accueillit de sa bonne humeur légendaire, nous nous installâmes. Il ne m'en fallu pas plus pour m'écrouler de sommeil tant la route avaut été longue.

Tribulations d'une zèbre musulmaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant