Les Givris

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Lau était à deux doigts d'exploser. Il se sentait comme un baril de poudre dans lequel on aurait jeté une allumette. Un bourdonnement sourd avait élu domicile dans ses oreilles. Il avait l'impression qu'une cascade avait remplacée son cerveau pour engloutir toutes sa matière grise et ses pensées. Le sol roc qui parvenait à se maintenir à la surface était sa rage. Il avait tout de même dit à la moitié du royaume vampirique - et à la reine par-dessus le marché - d'aller se faire voir. Et il ne le regrettait absolument pas.
Tout allait trop vite.
Et si on commençait par le début, lui proposa la part rationnelle de son esprit. Dans laquelle se cachait un petit garçon.
Tout d'abord sa mère, Navia, après avoir été bannie du palais, était retournée à Eden la citée clandestine des vampires renégats, bannis, rejetés, discrédités... Tout le linge sale de Nécropolis - c'était comme ça que les habitants d'Eden appelaient le château d'Oswald ; la capitale des plus belles pourritures de la planète et le centre du monde de ces fumiers appelés nobles - se retrouvaient là-bas. Navia en était originaire et y avait passé la moitié de sa vie, dans les quartiers pauvres.
Au final c'est pareil, se dit Lau, ce n'est pas parce que tous les reclus de la société se retrouvent à Eden que les classes sociales en sont effacées.
Restez bien sagement dans les petites cages qui vous servent de maisons...
Les anciens nobles de Nécropolis deviennent grands ducs au Conseil et les moins chanceux se retrouvent dans les bidonvilles.
Si vous êtes sages on vous donnera à manger.
Lau aussi avait grandi à Eden, maman lui avait dit que père - pas papa, père. Maman avait toujours insisté pour qu'il appelle son géniteur de cette façon ; Lau avait toujours trouvé ça étrange - était mort de la gale peu après ses quatre ans. Et Lau n'avait quasiment aucun souvenir de cette période de sa vie. Il lui revenait seulement des bribes de mémoires impliquant une ombre masculine et ces deux phrases : Restez bien sagement dans les petites cages qui vous servent de maisons. Si vous êtes sages on vous donnera à manger.
Avec du recul, Lau était presque sûr que cet homme, il le connaissait.
Peut-être cela avait-il été Oswald. Mais si cela avait été le cas, pourquoi n'avait-il pas rasé Eden ?
L'esprit de Lau revint vers sa mère.
Elle s'était enfuie d'Eden à l'âge de trois siècles, elle s'estimait destinée à mieux que de croupir dans les bas-fonds. Elle avait localisé le château - Navia possédait un don de pistage - et s'y était fait engager comme servante. Puis elle était tomber sous le charme - ou pas - du Roi et ils avaient eu une liaison.
Point quelque peu illogique, car Oswald était très centré sur le principe de pureté de la race et, par conséquent il ne se serait pas abaissé à coucher avec une servante. Alors pourquoi ?
Question pour un champion : le Roi se protégeait-il à ce moment là ? Non ? Bravo, vous avez gagné le jackpot !
Neuf mois plus tard, après avoir accouché, Navia avait été chassée du palais - Oswald avait visiblement très, très peu apprécié qu'ils aient un enfant. Hors mariage qui plus est. Avait-il voulu protéger Navia de la colère de Karin ? Lau avait d'énormes doutes sur la question.
Et après cela Navia, qui pourtant haïssait Eden, avait dû y retourner la queue entre les jambes.
Des années plus tard, la mère de Lau avait décidé de l'envoyer au château Icilyn pour son service militaire. Apparemment pas que pour ça, railla-t-il, sa mère avait su depuis le début qu'il était un bâtard et ne lui avait rien dit. Avant de l'envoyer droit à Nécropolis comme un porc qu'on mène à l'abattoir.
Lau se promit de lui en toucher deux mots la prochaine fois qu'il la verrait.
Cela faisait environ quatre-vingt ans qu'il était au château. De fil en aiguille il était devenu garde royal, puis avait noué des liens très fort avec Elliot...
Elliot.
Mais avait-il seulement été son ami ? Ou ce n'avait été qu'un espion chargé de la surveiller pour son cher paternel ? Elliot aurait intérêt à avoir une bonne explication, ou Lau allait craquer et le baril de poudre prendre feu.
Sa rage se mua en colère froide.
Lau marchait à vive allure dans les couloirs de Nécropolis - la cité des cadavres en latin, que c'était cocasse - avec un but précis en tête.
La serre dans l'aile gauche du quatrième étage.
Lau entendait des pas derrière lui, il savait d'avance qui c'était. Pas besoin d'essayer de le semer, il le rattraperait sans doute. Et ils devaient avoir cette conversation. Celle dont le décompte avait été enclenché dès que Lau avait quitté la fête. Il arriva enfin à la serre, l'aube encore vague illuminait la verrière au plafond et la douce lumière rouge-orangé baignait les plantes grasses et les arbres tropicaux. Ce lieu qui le calmait d'habitude, pour le moment, l'agaçait plus qu'autre chose, ça avait peut-être un lien avec la conversation à venir.
Elliot était derrière lui, essoufflé. Normal, Lau avait fini premier de sa promotion en course au service militaire, c'était un sport dans lequel il excellait.
- Lau, haleta Elliot, c'est pas ce que tu crois...
Bah bien sûr. Ce serait trop simple sinon.
- Ah oui, l'interrompit Lau avec un rire sec. Qu'on m'ai menti toute ma vie, même ma mère, même toi Elliot tu te rends compte de ça ? Ce n'est pas ce que je crois ?!
- Non. Si j'avais pu te le dire je l'aurais fait, rétorqua Elliot d'un ton dur.
Non mais c'était le pom-pom ! Qu'elle partie de sa phrase n'avait-il pas comprise ?
- Je reformule, riposta Lau de plus en plus en colère - Elliot avait rallumé la mèche de son baril de poudre avec ses réponses évasives et son air agacé, Pourquoi j'apprends que je suis un putain de bâtard de l'un des hommes que je déteste le plus au monde, au moment où il meurt, et devant tout le royaume vampirique ?!
Lau implosait, il détestait déjà le Roi pour tout les mauvais traitements qu'il avait infligé à Elliot, mais maintenant il l'exécrait de toute son âme et avec toute sa véhémence.
- Et pourquoi toi tu ne me l'as pas dit ! termina Lau, sa voix s'éteignit à la fin de sa phrase.
- Peut-être parce que je n'avais pas envie de me retrouver en prison avec la tête coupée de ta mère pour compagne ! Car Oswald l'aurait retrouvé Lau et tu le sais ! rugit Elliot. Est ce que ça réponds à ta question ?!
Lau s'arrêta d'un coup comme si on lui avait renversé un seau d'eau froide sur la tête. Comment ça ?
- Attends. Quoi ?
C'était la seule phrase à peu près cohérente qu'il pouvait répondre à Elliot.
- Notre cher Roi menaçait de tuer ta mère si je disais quoi que ce soit. Mes petits séjours en prison était dû à nos petits différents en la matière.
Lau avait le cerveau qui tournait au ralenti, ça faisait beaucoup à encaisser en un soir. Effectivement la menace avait été réelle. Mais Elliot avait eu tort sur un point : Sa mère était insaisissable, car Eden en lui même était insaisissable. Mais Elliot ne connaissait pas son existence et Lau n'était pas sûr de la lui révelée un jour. Il avait l'irrésistible envie de taper sur quelque chose. N'importe quoi.
Il attrapa un pot de crocus et le fracassa par terre.
Et ça faisait un bien fou...
Elliot s'étrangla de rire. Oups, il avait dû penser à voix haute. Lau réussit presque à sourire mais une question lui restait dans la tête et elle avait une valeur sentimentale : L'avait-il approché pour pouvoir l'espionner et se servir de lui ; leur amitié avait-elle été basée sur un vaste mensonge ?
Et si c'était - ou ça avait été le cas - Lau n'aurait pas dû être étonné au vu de la position hiérarchique d'Elliot. Mais se sentir blessé était une autre histoire.
Malgré tout Lau se força à plaisanté,
- Tu veux que ce soit ta tête à la place du pot ? menaça-t-il.
- Arrière démon, pouffait Elliot, tu es mon garde du corps je te rappelle.
- Euh, la perte de mémoire c'est quand on est vieux Elliot. FLASH INFO : je ne le suis plus.
- Grâce à ton cher paternel !
- Ah. Ah. Ah.
Bizarrement, ça faisait aussi du bien de plaisanter malgré la situation. Soudain, Lau réalisa quelque chose,
- Tu as conscience qu'on sera rivaux aux yeux des autres vampires, et même humain à partir de maintenant.
- Tu as conscience que le trône est très peu pour moi ? annonça calmement Elliot, Mon boulot à moi sera de te mettre toi au pouvoir.
Hein ?
- Elle est bien bonne Elliot, ricana Lau, C'est une blague pas vrai ?
- Je n'ai jamais été aussi sérieux.
Bon sang mais dans quel bourbier étaient-ils en train de s'embarquer ?
Et quel intérêt cela avait-il pour Elliot ?
Autant se tenir la main et faire une marelle en souriant avant de se jeter dans les entrailles d'un volcan en éruption. Et pourtant ça pourrait marcher, car il était inconcevable que Wendji soit la reine absolue des vampires. Cela reviendrait à lancer sur l'humanité une épidémie de choléra et une fringale dévorante sur les vampires. Lau n'avait pas le choix, et il respectait bien trop Elliot pour le forcer à porter une couronne dont il ne voulait pas toute sa vie. Lau n'en avait pas très envie non plus mais il le supporterait déjà mieux.
C'est drôle, se dit-il, comme les choses peuvent changer autant en l'espace d'une fête et d'une annonce à deux balles.
- Très bien esclave, finit-il par répondre, Mais fais ton boulot correctement !
- Mes modestes manigances et complots sont à vous Seigneur, marcha Elliot en faisant une révérence grotesque.
- Allez viens, soupira Lau, Il ne faudrait pas que Wendji nous double.
Elliot et Lau sortirent de la serre en se poussant en riant comme des enfants. Il ne faudrait pas que Wendji les doubles, c'était sans compter Yohan caché derrière un massif.

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