Quand le signal d'alarme retentit, un vent de panique souleva les cuisines avec la force d'un typhon.
Les employés se mirent à courir partout comme s'ils avaient le Diable aux trousses.
Rufus, lui, avait les idées parfaitement claires. Les employés quittaient leurs postes et le feu des fours grandissait à vue d'œil. Si cela continuait le château allait partir en fumée. Rufus croisa le regard de la nouvelle au cheveux flamboyant, Scarlett. Sa chemise grise pleine de tâches de graisses marquait ses traits et accentuait ses cheveux roux. Mais en se moment tout ce qu'il remarquait était ses yeux écarquillés d'incompréhension. Elle était arrivée deux semaines auparavant. Deux semaines. Elle n'avait aucune idée de ce qui se passait, et autour d'elle, elle voyait les gens se ruer sur les portes comme s'ils venaient de gagner la damnation éternelle en jouant aux cartes avec la Mort.
Rufus lança d'une voix glaciale,
- Eh !
Tout le monde s'arrêta d'un coup. Les employés connaissaient cette voix, c'était celle qu'il prenait lorsque les choses dégénéraient. Officiellement c'était Sophie qui dirigeait les cuisines, mais dans les coulisses, c'était Rufus le chef du bâteau de sauvetage.
- Vous voulez foutre le feu au château ?! rugit-il.
Personne ne répondit.
- C'est bien ce que je pensais. Alors vous allez tous m'écouter attentivement. Retournez à vos postes maintenant et maîtrisez-moi ces fours. Ou sinon, je vais vous rabattre le caquet tellement fort que celui qui va vous tuer ce sera moi et pas ces chimpanzés hystériques assoiffés de sang là dehors. Est ce que c'est bien clair ?!
On aurait dit que quelqu'un avait proféré un sort de statufiction et jeté l'antidote au fond de l'océan.
- Vous l'avez entendu ? A vos postes ! aboya Sophie.
Les employés accoururent devant leurs fourneaux et Rufus sourit à s'en fendre le visage.
- On va servir à ces illuminés un repas digne des tréfonds de l'enfer. Faîtes chauffer l'huile.
Sa sœur se tourna vers lui. Elle avait l'air toute petite dans son tablier avec son expression inquiète, elle lui dit quelque chose et il lut sur ses lèvres à travers le bruit : Merci.
Rufus ne voyait pas pourquoi elle le remerciait, mais néanmoins il sourit.
Soudain les gonds de la porte braillèrent. Un garde vampire armé d'une baïonnette et d'une dague attachée à la ceinture entra dans les cuisines, arme au poing, démarche précipitée.
Rufus sut à l'avance de quoi il s'agissait et ce n'était pas bon. Pas bon du tout.
La cavalerie est là, songea-t-il la mine grave. Cependant à l'intérieur de lui, tout au fond, sous les couches de chair et d'os, il était impatient de prendre par à la fête.
- Sire Feyran, haletait le garde. On a besoin de vous. Les chasseurs de vampires sont sur le point de pénétrer dans l'enceinte.
Sophie le regardait d'un air horrifié, la nouvelle comprit ce qui se déroulait depuis déjà dix bonnes minutes.
C'est partit, se dit Rufus. La part sanguinaire en lui exultant déjà de bonheur.
Il se dirigea vers le fond des cuisines, de derrière un conduit, il sortit une épée à peu près aussi longue qu'une lance avec un pommeau gravé rouge cardinal ; un rubis en son centre.
Scarlett le regarda comme s'il avait le mot "anormal" tatoué sur le front. Les autres continuaient de travailler, ils avaient l'habitude de cette scénette. Mais au fond, Scarlett n'avait pas tout à fait tord, ni tout à fait raison. Tout le monde connaissait Feyran, le Cracheur de Feu. Un guerrier célèbre pour ses différentes médaille au combat.
Rufus Stefan Feyran.
Ce même vampire qui, en temps de paix, n'était rien de plus qu'un charbonnier dans les cuisines du deuxième étage. Il plaisantait souvent sur le sujet en disant qu'il avait une identité secrète "comme les espions".
- Allons-y, assura-t-il décidé.
Le garde et lui se précipitèrent dans le couloir et filèrent dans l'escalier menant au premier, puis ils actionnèrent le mécanisme de la porte en bois qui montait jusqu'au plafond pour finir par accéder à la cour et aux remparts du palais. Ils montèrent sur les remparts. Les Archers étaient en place, des soldats attendaient, silencieux, oreilles tendues dans la cour en contrebas. Le silence était pesant, trop pesant. Et l'air empestait les fleurs. Comme si un parfumeur avait ajouté trop de senteurs dans son mélange pour ne laisser qu'une fragrance douce-amère mêlée.
Tout le reste de ce bâtiment à la noix sent aussi cette horreur, remarqua Rufus écœuré. On aurait pû deviner que c'était une propriété de vampire rien qu'à l'odeur tellement ça sentait fort. C'était un désavantage stratégique bien sûr, non seulement les chasseurs de vampires connaissaient l'emplacement du château - difficile de le louper - mais de plus il se repéraient à l'odeur
Les vampires exudaient comme sueur et comme larmes cette espèce de parfum raté. Alors les chasseurs de vampires avaient un avantage certain pour les repérer. S'ils sentaient cette odeur ils se transformaient en canidé, s'armaient d'un pieu et partaient pour la chasse aux sorcières. Mais la version officielle dans les villages était simplement que les sangsues adoraient les fleurs. La bonne blague.
Oui Rufus pensait vraiment à des choses extrêmement importantes alors que des chasseurs de vampires s'apprêtait à essayer de l'envoyer six pieds sous terre.
Il n'arrivait toujours pas à distinguer où était les humains, il savait qu'ils étaient là, il le sentait, mais il ne voyait rien. Les Bataillons Vampiriques les attendaient de pied ferme. Et Rufus aussi.
A travers le couvert des arbres, on n'entrevoyait toujours rien ; ceux-ci étant vieux et denses, la végétation arrivait presque aux créneaux. Le ciel était noir d'orage, de gros cumulonimbus obscursiçaient les rares touches de bleu qu'on pouvait apercevoir au château. Mais pour une fois depuis trois jours, il s'était arrêté de neiger. Malgré tout, les vampires portaient tous leurs combinaisons de combat en cuir et en fourrure d'hiver. Rufus l'avait toujours sur lui, même si ça le faisait crevé de chaud quand il travaillait devant le poêle. En général ça allait. Le feu était son élément.
Le mur d'enceinte vola en éclats.
Rufus fût éjecté, le souffle de l'explosion le projeta sur le sol de la cour.
Respirer lui était difficile, il s'était probablement fêlé une côte durant l'impact.
Il se redressa et les gardes autour de lui firent de même en gémissant de douleur. La moindre inspiration le faisait souffrir, il crispa la mâchoire et saisit vivement son épée. Son esprit était passé en mode survie, tout son être bouillonnait. A travers la poussière, Rufus aperçut les rangs de ses adversaires. Ces chiens s'étaient dégottés de la poudre à canon ! Un d'entre eux s'avança.
Tiens donc ! Le dirigeant des chasseurs de vampires en personne s'était déplacé pour l'occasion.
Ce cher Kcnow, pensa Rufus mordant.
- Mon cher, ça fait longtemps, annonça Kcnow avec une expression condescendante particulièrement pénible sur le visage.
Avec ses cheveux ébènes et ses yeux bleu clair, Kcnow était charmant et sa barbe de trois jours lui donnait un air charismatique. Enfin pour ceux qui aime les hommes nerveux, colériques et meneurs de rébellions qui font presque l'effet d'une secte. Il portait une tunique pourpre recouverte d'un plastron en cuir, un pantalon noir avec des genouillères en métal et un fourreau bosselé étrange. Apparemment il s'était préparé. Il ne resterait pas sur le côté en buvant du brandy pendant que ses hommes se ferait massacrer.
- Tu m'as manqué à moi aussi chérie, rétorqua Rufus d'un ton narquois. Si tu savais comme j'ai souffert de ton absence. Mais ce qui m'a le plus manqué c'est le fait de te mettre une raclée.
Rufus savais exactement ce qu'il faisait. Plus on provoque l'ennemi, plus il agit sous impulsion, plus il est manipulable. Kcnow ne se laisserait pas avoir, mais au moins cela mettrait bien ses gentils petits soldats en rogne.
- Le sentiment est partagé, déclara une voix avançant dans la direction de Rufus.
Le caporal-chef était toujours discret, il se déplaçait sans produire un seul mouvement d'air.
- Caporal.
Elliot lui fit un signe de tête voulant dire : Tiens-toi prêt.
Les troupes des chasseurs en profitèrent pour lancer l'assaut, dégainant leurs pieux et leurs poignards. Au milieu de la mêlée, Kcnow sortit une épée dentelée du fourreau à sa cuisse. Elle était en bois béni, ça se voyait à l'aspect huileux de la lame, ça sentait mauvais, très mauvais.
Rufus laissa la chaleur accumulé en lui sortir. Ses yeux s'enflammèrent, des flammes jaillirent sur la lame de sa propre épée. Une humaine essaya de l'attaquer par derrière en sautant, poignard en l'air. Rufus para puis glissa sous son bras, s'abaissant en un coup de pied circulaire et lui trancha la carotide dans sa chute. Jaillissant de son cou, une fontaine de sang éclaboussa le visage de Rufus, rien qu'à l'odeur la faim lui déchiquetait la gorge.
Plus loin, Kcnow s'en donnait à cœur joie et riait à gorge déployée en échangeant des coups avec Elliot. Parade, attaque, blocage, toujours plus vite, toujours plus fort. Tout en continuant de se battre, Rufus invoqua un mur de flammes dans la brèche du mur d'enceinte pour empêcher d'autre mortels d'entrer. Ceux qui avaient réussi essayait d'escalader les remparts pour neutraliser les archers qui éliminaient les humains restant à l'extérieur. On pouvait localiser les chasseurs grâce à l'explosion qui avait rasé les arbres à plusieurs lieues à la ronde. Rufus allongea son barrage de fuel pour brûler les grimpeurs alors qu'il décapitait un nouvel assaillant.
Un chasseur fonça sur lui, pieu en premier, Rufus évita le coup puis enfonça son épée dans le ventre de son adversaire qui hurla de douleur. Rufus tourna sa lame et atteint les organes. L'homme s'écroula dans un râle étouffé par l'hémoglobine remontée jusqu'à sa bouche. Il était mort avant de toucher le sol.
Soudain un rugissement bestial retentit, Rufus tourna la tête et vit Kcnow plaqué à terre par quatre pointes de vent condensées sur ses bras et ses jambes, réduisant sa chair en charpie. Des bouts de muscle et de peau tournoyaient dans les airs sur la cadence des pics de vents. Il avait réussi à attraper son épée et à la planter dans la jambe d'Elliot qui mugissait pour maintenir son sort en place, ainsi que la bulle de tornade autour de lui et de Kcnow pour que personne ne vienne s'en mêler. Kcnow appliqua encore plus de force dans son épée, Elliot lâcha prise.
Kcnow parvint à se relever malgré ses cuisses détruites dans le chaos ambiant, son regard déversant un flot de haine exubérant.
Elliot s'écrasa par terre en haletant.
- Toi ! hurla Kcnow à un mortel. Aide moi à tenir debout !
Le garçon le regarda, effrayé, il ne devait pas avoir plus de seize ans. Il était jeune, trop jeune et Rufus se demanda comment Kcnow lui avait lavé le cerveau à celui-là pour le faire participer au combat.
Il para une nouvelle attaque et trancha les chevilles de son agresseur avant de lui planté son épée dans le cœur. Dans un combat, c'était chacun pour soi. Et la part sanguinaire de Rufus adorait ça.
- On se replie ! vociféra Kcnow.
Les rares survivants se ruèrent vers la brèche et finirent brûlés vifs, d'autres arrivèrent à s'arrêter à temps.
Kcnow toisa Rufus, visiblement hors de lui,
- Enlève-moi ça, cracha-t-il.
- Et pourquoi donc ?
Kcnow sourit d'un air machiavélique, Rufus évita au dernier moment.
Il ressentir une douleur atroce à l'épaule, il avait un pieu de la taille d'un poing planté dedans. Il agrippa plus fort son épée, se retourna et trancha le cou de l'humain, aggravant l'état de son épaule.
Sous le coup de l'adrénaline, il avait négliger son mur de feu, du coin de l'oeil il vit Kcnow et le jeune homme en profiter pour filer. Elliot empala les humains restant sur le mur d'enceinte, toujours à terre à cause de sa jambe. Il respirait fort et réussit à se traîner jusqu'à un corps sur le sable de la cour. Elliot planta ses crocs dans le cou du cadavre, buvant frénétiquement. La blessure à vif de sa jambe se referma petit à petit et Rufus fit de même avec un corps sur le mur. La douleur de son épaule s'atténua aussitôt et il sentit sa côte se réparer.
La tradition vampirique voulait qu'après chaque bataille gagnée, pour soigner les blessures des soldats, on se nourrisse des cadavres. Et les soldats ne se firent pas prier. Rufus se laissa retomber sur le sol et regarda le ciel chargé de nuages comme toujours. Il se mit à pleuvoir.
Ils avaient gagné.
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Games of Blood
FantasyTout commence avec un mystérieux incident dans l'espace. Dans un monde où les humains ont presque été éradiqué et où désormais les vampires dominent, tous le monde lutte pour trouver sa place ; même les membres de l'espèce conquérante. Ils ont prit...