Sang-mêlé

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   Perché sur le toit, un marteau dans la main, Reim était contraint de réparer la toiture. Cela faisait bientôt une semaine qu'il tapait sur des tuiles enduites de colle sur une armature en bois mouillée couverte de pince-oreilles. Et avec une chance de bossu, Reim se faisait mordre à chaque fois.
   Si je croise Carlein, je le bute, fulminait-il.
   En plus, pour compléter le tableau, il neigeait sans discontinuer depuis trois jours. Reim avait les doigts frigorifiés et le moral dans les talons. A moins que ce soit l'estomac ?
   Qu'est ce qu'on s'en fout, grogna-t-il acerbe.
   Reim n'était ni spécialement grand, ni spécialement petit, il avait une énorme touffe auburn en bataille - et ça l'excédait car il avait beau essayer de les coiffer ils finissaient toujours comme si un oiseau avait fait son nid dedans - il n'était pas séduisant mais pas laid non plus, néanmoins il avait de jolis yeux vert forêt en amande. Ce qui achevait de l'agacer à propos de son apparence était qu'il portait des lunettes. Il était inexorablement et définitivement myope comme une taupe. Reim s'amusait à dire ça lui un air intellectuel mais au fond il se trouvait tout juste dans la moyenne. Et l'élément décisif de son identité était qu'il était un agent double.
   Pour les chasseurs de vampires et pour les vampires eux-mêmes.
   C'était la meilleure source de revenue de toute la région mais s'il se faisait prendre il était dans la merde jusqu'au cou. Malgré tout il ne s'en plaignait pas et par dessus le marché il était grassement payé.
   Il ne serait plus jamais à la rue. Plus jamais.
   Tais-toi moi intérieur ou je te force à coup de baïonnette, râla Reim. Il n'avait pas envie d'y penser.
   Les gens n'aiment pas ceux qui sont différents. Et pour être différent ça il l'était.
   Reim était un sang-mêlé. Le fils d'une vampire et d'un humain. C'était Carlein qui lui avait dit, le vicomte était en quelque sorte son mentor et un gros enfoiré. Reim le détestait il avait tué...
   Boucle la Reim Lee ou je t'étrangle, maugréa-t-il.
   En y pensant, il donna un grand coup dans la tuile qu'il venait de placer et la brisa en deux.
- Bon sang qu'elle journée pourrie, marmonna-t-il dans sa barbe.
- Eh détends-toi mon vieux !
   Reim lança un regard assassin à son "partenaire", Carter.
- Désolé je suis un peu tendu..., répondit-il avec un sourire forcé.
- On l'est tous, rétorqua Carter en positionnant une tuile sur l'armature.
   Reim se demandait vraiment comment la colle faisait pour ne pas gelée avec la température. Il ne devait pas faire plus de deux degrés. Le froid lui mordait la peau comme une armée de pince-oreilles.
   Ils se remirent au travail en silence.
   Le sang-mêlé plus si jeune que ça - il avait vingt-deux ans et pourtant il commençait déjà à trouver des cheveux blancs dans sa touffe, alors il se persuadait d'être un peu plus mature pour ne pas déprimer - n'avait jamais vraiment été doué pour sociabilisé, alors ça faisait une semaine qu'il se parlait à lui-même et crevait d'envie d'égorger Carlein.
   Comme il s'ennuyait ferme, il décida d'étudier Carter du regard.
   Il avait les cheveux caramel, une peau bronzée - alors que Reim peut importe ce qu'il faisait avait la peau tout juste dorée - et des yeux bruns chaleureux comme du café liquide. En plus, il était bien bâti, le sang-mêlé l'avait déjà croisé alors qu'il déambulait dans les rues du village. Il lui semblait qu'il travaillait dans le bâtiment. Il devait avoir l'habitude du travail qu'on leur demandait à l'heure actuelle. Carter avait des muscles bien dessinés qui ressortaient même dans leurs capes à fourrure qu'ils avaient enfilés pour contrer tant bien que mal le froid - elles étaient bleues glacier se qui les faisaient se fondre dans le décor entièrement blanc. C'était un peu l'archétype de l'homme canon ; caractère mis de côté.
   Reim était son opposé personnifié.
   Il ne pouvait s'empêcher d'être un peu envieux, ce qui ne l'aidait pas à engager la conversation.
   Quoi ? Ce n'était pas comme si être une taupe - dans les deux sens du terme si on comptait ses lunettes - l'empêchait d'avoir des amis. Ou du moins d'essayer.
   Reim s'apprêtait à dire quelque chose, mais en voulant se relever il trébucha sur une tuile et tomba de manière fort peu élégante sur Carter. Heureusement, le toit de ce coin du château était plat. Malheureusement, le village de Reim était à deux centimètres de celui de Carter. Et ils étaient dans une position des plus compromettantes.
   Seigneur achevez-moi s'il vous plaît, supplia Reim mort de honte.
   Le sang-mêlé n'était pas chrétien mais toutes les options étaient les bienvenues dans ce genre de situations. Lui et Carter se regardèrent tous deux comme des idiots, le visage rouge comme des tomates.
- Euh...ça va ? déglutit Carter.
   Reim éclata d'un rire rauque et vibrant,
- C'est la pire réplique que j'ai entendu de toute ma vie !
   Il roula sur le côté, mettant de la distance avec Carter en se tenant le ventre en pouffant.
   Au bout de quelques secondes Carter se mit à rire lui aussi. Puis lui et Reim se relevèrent d'un même mouvement.
- Ouais c'est vrai, reconnut-il, Au fait on a pas eu l'occasion de se présenter. Moi c'est Carter. Carter Xerx.
- Je connais ton nom, répondit Reim dans un dernier éclat de rire, ça peut sembler bizarre raconter comme ça, mais l'autre sangsue l'a dit avant de nous envoyer bosser comme des boeufs ! Moi c'est Reim. Enchanté.
   Carter lui adressa un sourire révélant deux fossettes. Ce gars-là devait briser des cœurs à la pelle.
   Mais attends à quoi je pense là ?! se reprit Reim.
   Le jeune homme plus si jeune que ça  se racla la gorge puis notifia,
- On devrait se remettre au travail.
- On peut bien discuter un peu, ça fait une semaine qu'on triment comme des forcenés. On a qu'à dire que c'est notre heure de pause, objecta Carter en ajustant les pans de sa cape. Reim détourna le regard.
- Pourquoi pas, accorda Reim avec une moue espiègle, Mais après reprenons vite le travail ou : de un, on va se congeler les miches, et de deux un vilain vampire va venir se cacher sous notre lit dans nos cauchemars.
- Marché conclut, ricana Carter.
   Le sang-mêlé et lui s'assirent en tailleur sur la surface mouillée du tout. A un endroit où ils avaient fini de remettre la toiture en état quelques mètres plus loin.
- Alors...
   Reim cherchait quelque chose à dire, sans résultat concluant. Son partenaire le devança.
- Quel âge as-tu mon petit Reim ?
- Oh tu m'apprécie déjà ? C'est mignon ! J'ai vingt-deux ans et toi ?
- Et oui c'est déjà le grand amour entre nous ! Le mariage est prévu vendredi, ça te va ?
   Reim éclata de rire,
- C'est parfait Carterounet ! Mais on ne réponds pas à une question par une autre question, c'est malpoli, il lui fit un clin d'œil - Reim le regretta aussitôt, il devait à coup sûr ressembler à un poisson mort essayant de faire du charme à une colombe.
   Carter rit doucement puis annonça,
- J'ai vingt-quatre ans.
- Mon Dieu ! Ma pauvre personne prude serait-elle en danger avec vous monsieur ?
- Arrête ça !
- Très bien, très bien Carterounet. Deuxième question : quel son tes passes-temps dans ta vie de vieillard ?
- Premièrement j'aime les légendes et la lecture et secondement, je ne suis pas vieux mes passes-temps non plus, c'est toi qui est trop jeune ! répliqua Carter en boudant.
   Reim afficha un grand sourire, puis eu une idée pour passer le temps,
- D'ailleurs, puisque tu aimes ça, tu veux entendre une légende sur les suceurs de sang ?
- Ouais on a rien d'autre à faire que de taper sur des tuiles alors...
- Je croyais que c'était notre pause ?
- Arrête de me faire remarquer mes incohérences.
- Et j'ai aussi l'impression que "ouais" est ton mot préféré, l'enquiquina Reim joueur. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas parlé à quiconque d'autre que ses employeurs ou son collègue Ren.
- En quelque sorte, répondit Carter en souriant, Alors tu me la racontes cette histoire ? Je suis tout ouïe.
- Bon, Reim prit une inspiration décidée puis endossa sa voix de conteur qu'il employait avant pour raconter des histoires à Eva, On raconte que chaque vampire serait lié à une fleur. Bien sûr, les femmes vampires accouche mais quand le bébé sort, une fleur l'accompagne. C'est comme l'animal totem pour les indiens mais en version floral. Cette fleur serait en quelque sorte leurs essences vitales et leurs origine. Le Roi Oswald n'y fait pas exception, il serait apparu d'une bourrache bleue qu'un astronaute aurait amené dans l'espace pour l'étudier. Il se serait coupé et aurait saigné sur les pétales dans une température polaire. Et après, on ne sait pas pourquoi, une intervention surnaturelle peut-être, Oswald est né. Il avait besoin de sang pour survivre alors qu'il était né d'une putain de bourrache ! Il a prit forme humaine s'inspirant de l'humain comme un peintre avec son modèle. Mais ses yeux étaient blancs et rouges justement pour rappeler qu'il ne l'était pas. De l'ADN floral et humain se trouvait dans son corps alors il a crée plusieurs dizaines de milliers de vampires rien qu'avec son sang. Et puis après comme ils avaient tous de l'ADN florain, ils ont juste copuler entre eux et nous on fait la Révolution Française façon vampires.
   Carter le regardait avec des yeux de merlan frit. Mais il l'écoutait avec beaucoup d'attention.
- Les vampires auraient encore deux caractéristiques, leur sang serait rouge-doré à cause du pollen présent dans leur corps et ils subiraient un événement spécial tout les ans : la floraison. Leur fleur-lié fanerait pour refleurir, cela durerait quatre heures et pendant se temps là ils souffriraient le martyr. Ce serait le moment de l'année où ils seraient les plus vulnérables, celui-ci serait divisé en quatre temps selon qu'elle saison de l'année ils seraient nés : le solstice d'été ou d'hiver et l'équinoxe de printemps ou d'automne. De cette façon, il aurait trois manières de tué un vampire : lui planté le classique pieu dans le cœur avec du bois béni, lui coupé la tête et brûler les morceaux ou détruire sa fleur-lié le jour de la floraison. Cependant cette dernière méthode est problématique puisqu'on ne sait jamais quand est la floraison de la cible, et généralement ils gardent leurs fleur-lié sous clé. Mais j'ai entendu dire que la fleur-lié de la Reine serait une anthurium verte et la princesse une aconit. La couleur des pétales de leurs fleurs serait la couleur de leurs cheveux sous forme humaine. Les sang-mêlés, les lèvres de Reim tremblèrent légèrement après avoir prononcé ces mots, car ça existe forcément Carter, auraient tous les cheveux d'une nuance de marron et leur plante correspondante serait la nigelle séchée. Cette plante quand elle est séchée devient justement marron, comme pourrie. Ce qui est drôle, lança Reim avec un rire sec, c'est qu'on raconte que le sang vampire empoisonné le sang humain quand ils sont mélangés. D'où la notion de pourri ou séché. Les sang-mêlés auraient plus de chance de mourrir jeune et ne subiraient pas la floraison car leur plante est déjà morte. Les vampires auraient même crée un poison à partir de sang de sang-mêlés : le sylvain. Voilà, qu'est ce que tu en a pensé ?
   Carter le regardait d'une façon étrange. Un éclair indéchiffrable traversa ses iris café.
   Pourtant tout ce qu'avait dit Reim était vrai. Il le tenait de différents informateurs dont Carlein, Ren - qui n'avait pas loin de trente-cinq cinq ans ce qui était extrêmement vieux pour un sang-mêlé - et même de Kcnow.
- C'était un cours d'histoire ou une légende ? Et d'où tu tiens tout ça ? demanda Carter à mis chemin entre la méfiance, l'admiration et la perplexité.
- Une...connaissance, répondit Reim avec un faux sourire.
   Carter n'était visiblement pas convaincu mais Reim détourna la regard. Il avait voulu discuter, et au final il n'avait fait que casser l'ambiance. Comme toujours. Il restait de jour avant le solstice d'hiver.
   Soudain dans la forêt enneigée, le sang-mêlé aperçu un drapeau rouge et noir de vengeance. Et il bougeait, se rapprochait, toujours plus vite.
   Alors Reim comprit.
   Oh non, se dit-il
   Et il hurla,
- CHASSEURS DE VAMPIRES !

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