Chapitre 15

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Chase

« Répète-moi ça Henry ! Hurlé-je au pauvre homme face à moi.

Il se ratatine et répond d'une voix faible.

- Elle a passé la frontière à 5h, m'assurant qu'elle n'en avait que pour quelques minutes, mais elle n'est pas revenue.

Je hurle comme un enragé. Wakan a envie de déchiqueter la gorge du patrouilleur qui me fait face, bien qu'il ne soit pas responsable de la situation. Mes cris rameutent plusieurs gardes, et bientôt je vois aussi le grand loup d'Alpha Dan. Je trouve un instant curieux qu'elle soit sous forme de louve en plein jour, mais je suis trop préoccupé pour m'y intéresser. Elle se transforme et puise dans la pile de vêtements qu'on laisse au grade-frontière pour s'habiller, pendant que je confronte le pauvre Henry.

- Et pourquoi l'as-tu laissée partir en premier lieu ? Tu n'as pas compris le sens du mot confinement, pauvre idiot ?

Il recule d'un pas

- Si, bien sûr, mais il restait une heure. Elle devait juste retrouver quelqu'un au bout de la route, à un ou deux kilomètres.

- Qui ? Grondé-je de ma voix la plus terrifiante.

- Elle ne l'a pas dit, un petit-ami humain sans doute. Anna a vécu plusieurs années à Seattle, elle a pu se créer des attaches, et vouloir le voir quelques minutes avant de ne plus pouvoir pendant longtemps. Elle a ensuite sans doute perdue la notion du temps à s'envoyer en l'air, ou choisi de le suivre et ne pas rentrer...

Mes mains partent d'elles-mêmes se serrer autour de la gorge du guerrier. Il a le bon esprit de ne pas tenter de se défendre, sinon je le taillerai en pièces. Mes doigts commencent à se transformer, je sens mes dents s'allonger.

- Stop.

C'est la voix d'Alpha. Wakan est frustré mais il n'irait pas à l'encontre d'un ordre direct. Il m'incite à me calmer. Je relâche la pression et le jeune s'effondre en se massant le cou, toussant et inspirant fortement pour retrouver son souffle.

- Anna est ma compagne, me justifié-je. Que tu sous-entendes qu'elle soit avec un autre est une insulte envers ton Bêta. Elle n'a pas pu partir de son plein gré.

Même si je veux croire en ce que je dis, une part de moi ne peut pas m'empêcher de douter. Elle m'a pourtant avertie à plusieurs reprises que je ne la connaissais pas, et a laissé entendre que certaines parties d'elle ne me plairaient peut-être pas. Elle a une vision qui n'est pas la mienne du lien de partenaires. Mais hier soir elle a été claire : on a une relation exclusive.

Soudain, la vérité me frappe de plein fouet. Elle a un petit-ami. Quelqu'un qui compte pour elle et c'est pour cette raison qu'elle a freiné notre relation et m'a demandé d'attendre pour que l'on se marque. Après, il y a deux options : soit elle voulait le voir pour rompre en direct avant de me rejoindre, et quelque chose s'est passé, soit elle m'a fui et l'a choisi.

Je n'arrive pas à croire à la deuxième solution. Non, elle n'a pas pu me mentir à ce point. Elle a dû le quitter, et il ne l'a pas accepté, ils se sont disputés et elle n'a pas vu le temps passer. Mais il est 7h30, ça fait beaucoup de temps quand même. Même en retard, elle serait revenue s'expliquer aux gardes. Alors quoi ? Il a réussi à la convaincre de partir avec lui ? Je ne veux pas y croire. Il lui a fait du mal et l'a emmené ? Je ne veux pas espérer qu'elle soit blessée, mais d'un côté je préférerais avoir à la sauver que de savoir qu'elle m'a quitté pour un autre. Mais elle est bien plus puissante qu'un humain, alors quoi ? Pourquoi refuse-t-elle autant le lien ? Il y a quelqu'un d'autre, c'est sûr.

Je suis tellement en colère que je veux détruire tout sur mon passage.

- Elle n'était pas marquée, souligne Sihem, la femme à côté de Henry. Si on avait su, on lui aurait posé plus de questions.

Je la fusille du regard et elle se tait. Elle a raison, bien sûr, mais entendre le reproche dans sa voix me fait mal. Anna m'a demandé de ne rien dire à personne. Comme c'est pratique, comme ça elle avait davantage le choix de m'abandonner.

De rage je donne des coups de poing dans l'arbre le plus proche. Mes phalanges saignent presque instantanément mais je m'en moque. La douleur m'aide à me canaliser, et les coupures seront inexistantes en quelques minutes seulement grâce au pouvoir de guérison rapide.

- Arrête, me demande Daniela. Elle n'a pas déployée son aura mais je lui obéis tout de même.

Il y a plus de dix loups-garous qui me regardent, désolés. Depuis que j'ai dit que c'était ma compagne, tout le monde comprend ce que je ressens. Je ne veux pas de leur peine, encore moins de leur pitié.

- Personne n'a pitié de toi, assure Dan, même si je n'en crois pas un mot. Réfléchissons posément. Anna n'a pas donné la raison, elle a seulement dit qu'elle devait rejoindre quelqu'un, et pas longtemps. Pourquoi ne pas avoir fui hier, si telle était son intention ? Ce n'est pas logique. Pourquoi la personne ne s'est pas présentée à la frontière, vu que c'était encore possible ?

- Parce qu'elle ne voulait pas que les gardes voient ce type et me donne sa description. Elle savait très bien que je pourrai le tuer.

- Plus maintenant, et pas avant un moment, me contredit-elle. Le confinement s'applique à tout le monde, Bêta Chase.

- Mais...

- Non, Chase, je sais que c'est un dur sacrifice pour toi, mais je ne transigerais pas. Tu ne vas pas la chercher.

- C'est ma compagne, supplié-je.

Je me sentais comme un enfant face à son parent. Pourtant je sais qu'elle ne cédera pas, c'est peine perdue.

- Écoute-moi un instant, bon sang ! Je suis certaine qu'Anna n'a pas de petit copain humain. À mon avis, ce n'est pas qu'elle voulait cacher l'identité de la personne qu'elle allait voir, c'est plutôt l'inverse. »

Quoi ?

Sans donner plus d'explication, elle fait volte-face et se dirige à grands pas vers ma voiture, criant ses ordres au passage, comme quoi toutes les mesures doivent être suivies à la lettre.

« Ce n'est pas un hasard, me dit-elle plus tard dans l'intimité de l'habitacle. Tout ça est lié, j'en suis certaine.

- Je ne comprends rien, dis-moi ce que tu sais !

Je ne devrais pas parler ainsi à mon Alpha, mais mon état de nerfs m'empêche de raisonner calmement.

- La menace. Je savais qu'il préparait un mauvais coup. Les précautions sont arrivées trop tard. Il a réussi à mettre la main sur l'une d'entre nous. Je ne pense pas qu'il sait qu'elle est ta compagne, mais elle sera sa monnaie d'échange. J'aurai dû agir plus rapidement.

- De qui parle-tu ? Tu penses que quelqu'un a kidnappé Anna ?

- Je n'en suis pas sûre, mais je le crois, oui. Quand à savoir quoi, il s'agit bien évidemment de Douglas Grady.

- Ce débilos d'humain que tu me fais suivre depuis des mois ? Mais pourquoi ? Qui est-il à la fin ?

- C'est mon compagnon, avoue-t-elle de but en blanc, comme si c'était une information des plus anodines et logiques.


Fuir son âme-sœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant