15 - Nicole

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La preuve. Le soir venu, Monica est intarissable sur Yanis. Tandis que je prépare une bolognaise et touille avec régularité la sauce dans la casserole, mon amie est assise à table et trie un album photo. Brutus me réclame un morceau de viande que je lui donne en toute discrétion. Il s'en va dans le salon en remuant la queue et revient un instant plus tard pour en quémander un nouveau, pendant que :

— Là, il devait avoir douze ou treize ans. Il était le plus rapide de sa classe. Je me souviens de sa joie quand il m'a annoncé avoir remporté le sprint au 100 mètres.

J'avise la photo d'un Yanis adolescent, en dossard vert fluo, boucles en pagaille sur le front, suant. Son sourire lui mange la moitié du visage. Est-il vraiment capable de sourire comme ça encore aujourd'hui ? Je m'étonne d'espérer le découvrir si heureux, un jour. En versant un peu de sel dans la bolognaise, je songe à ce Yanis plus sombre, tourmenté, si peu confiant que je viens de rencontrer. J'ai d'abord cru que c'était le fait d'avoir été surpris la main dans le sac, mais maintenant, je me rends compte qu'il est souvent ainsi : balbutiant, ne sachant comment placer ses bras, hésitant.

— Ça, c'était le jour où il a eu son bac, on a fait un superbe repas dans le jardin de James. Feryel était là.

Sa mère. Monica m'a déjà parlé de sa belle-fille. Une Tunisienne dont la beauté est presque devenue légendaire, un fort caractère aussi. J'imagine qu'il y a dû y avoir quelques éclairs entre elle et Monica, deux femmes à poigne qui ne sont pas dans la demi-mesure.

— Cette Charlotte, commence mon amie. Je savais que ce ne serait pas une fille pour mon Yanis. Elle a juste été éblouie par son charme. Un beau mec, sportif, typé comme lui... Quand il a eu ses embrouilles avec l'autre crétin pour la salle de sport, elle a dû le larguer.

— Ils étaient ensemble depuis longtemps ?

— Depuis la première année de fac, il y a onze ans.

— Tu sais, ce n'est pas toujours aussi simple que ce que l'on croit, nuancé-je. Il te manque certainement des paramètres pour bien comprendre ce qui les a poussés à la rupture.

Monica me jette un regard colérique qui s'adoucit aussitôt, comme si elle se rappelait que je suis son amie. Certainement, sa meilleure amie.

— Je viens de mettre les pâtes. Dans dix minutes, c'est prêt, indiqué-je pour changer de sujet.

Elle range les photos et referme l'album tout en me fixant. Je sens qu'elle s'apprête à me transmettre une information de la plus haute importance.

— Avec tous ces événements, et comme tu travaillais aujourd'hui, j'ai oublié de t'informer d'un problème qui m'embête beaucoup.

— Hum, j'espère que je n'ai pas fait de boulette.

— Pétard, non ! Tu es parfaite, ma chatoune. Je ne te reprocherai pas non plus la pitance que tu donnes à ce Brutus en cachette.

Je me racle la gorge, un peu décontenancée qu'elle m'ait prise en flagrant délit là-dessus. Je pensais avoir été discrète.

— Non. C'est plus grave. Je crois que nous avons été cambriolées.

Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines, je chauffe et me refroidis instantanément. J'avais pourtant tout rangé ! J'ai même maudit Yanis d'être parti sans m'aider.

— C'est de ma faute, prétend-elle. Le verrou de la porte est défectueux depuis quinze jours et j'ai laissé traîner. J'ai téléphoné à un serrurier pour qu'il vienne la remplacer. Mais entre-temps, si le voleur a su être discret, j'ai quand même remarqué qu'il me manquait un collier et un bracelet.

Rebelote. Je suis sur le point de défaillir. Je porte mon attention sur les aiguilles de l'horloge, le plafonnier, Brutus qui rôde sans but précis dans la pièce. Le glouglou de l'eau dans la casserole. Le paquet de fusili.

Merde.

Est-ce que Yanis m'a menti ? Est-ce qu'il a vraiment volé des bijoux, hier soir ? Il serait reparti avec en prétextant n'avoir rien pris ? Et il n'a eu aucun remords à venir aujourd'hui ? Si je ne l'avais pas vu les larmes aux yeux, je l'aurais aussitôt accusé de l'avoir fait dans le seul but de me dissuader d'appeler la police.

— Nicole, ça ne va pas ? Tu es toute pâlichonne, s'inquiète Monica. Toi aussi on t'a volé quelque chose ?

— Non. Je ne pense pas.

Je n'ai rien de très précieux dans mes affaires et le fait que Yanis soit reparti sans mon soutien-gorge ou mes strings que je ne mets jamais — cadeau de Natacha — m'assure que si c'est un voyou, au moins, ce n'est pas un obsédé.

— Je n'ai malheureusement aucun recours, se lamente-t-elle. Je n'ai jamais voulu avoir un coffre-fort, je suis ici incognito ! Personne ne sait que la fameuse Monica Hudson vit à Marseille.

Son parcours n'a pas fait d'elle une célébrité dont tout le monde connaît le nom au point de la traquer pour obtenir un autographe, mais je me garderai de le remarquer à voix haute. La frustration de Monica, concernant sa carrière d'actrice avortée, est un sujet sensible.

— Ce bracelet. Tu sais qui me l'avait offert ?

Je secoue la tête.

— Cary Grant en personne, miss. His Girl Friday, To Catch a Thief. Aaaah, tous ces grands classiques ! J'étais figurante dans le film qu'il a tourné avec Charles Walters et il me draguait, je présume. C'était en 66.

— Mince, Monica, je suis désolée que tu aies perdu ce bracelet. Il valait beaucoup ?

— De loin on dirait une breloque, mais c'est bien de l'or et des saphirs. Il s'est pas foutu de moi, Cary. Et je ne l'ai pas perdu, on me l'a volé.

J'enclenche vite sur la question suivante :

— Et le collier ?

— Oh, je ne sais plus qui me l'a donné celui-ci. Des bijoux, j'en ai d'autres, mais je reste scandalisée qu'on soit entré chez nous !

Ses bijoux ne sont pas assurés et cachés un peu partout dans l'appartement dans des endroits insoupçonnables. Je me souviens avoir trouvé une paire de boucles d'oreilles dans le carton des décos de Noël, il y a trois ans. L'année dernière, Monica avait dissimulé son bracelet dans la cuisine, entre les rouleaux d'essuie-tout et le papier aluminium. J'ai souvent râlé de crainte de les jeter ou les perdre par mégarde quand je fais le ménage chez elle, je pensais qu'elle avait arrêté ces combines. Elle est persuadée depuis des années que cette façon de faire est la plus efficace pour se prémunir des vols, visiblement elle s'est trompée.

— Ils étaient où cette fois ?

— Dans mon chevet.

Je soulève la casserole, égoutte les pâtes et inspire la bonne odeur salée et épicée de la bolognaise. Monica a pris son tricot. Elle continue de ronchonner.

— Je te le dis, les bijoux, je m'en fiche ! Ce qui m'insupporte, c'est de me dire qu'un enfoiré de voleur est entré dans notre chez nous pour en ressortir sans se faire voir.

Je prends un temps infini pour secouer les pâtes, pétrifiée à l'idée qu'elle me soupçonne du vol. Une chose est sûre : Yanis ne doit pas faire partie de sa liste de suspects.

Des aiguilles sous le sapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant