4 - Nicole

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C'est la panique la plus totale qui m'assaille. L'inconnu est cagoulé, musclé, très grand et il m'attrape dans ses bras. Je me débats, il me fait pivoter. J'inspire une grande goulée d'air, prête à hurler quand sa main se plaque sur ma bouche.

Quand j'essaye de le mordre, nous vacillons.

Il porte des gants de cuir épais et même si je l'entends grogner, je sais que je ne lui ai pas fait mal. J'essaye un coup de pied, un coup de genou, mais il m'a positionnée de façon à ce que je ne puisse pas l'atteindre et de son bras libre, il m'emprisonne complètement. Ses doigts s'enfoncent dans ma joue. L'instinct me dicte de résister, me défendre, de lui coller un coup n'importe où. Je me tortille et n'arrive à rien.

— Putain ! Je te jure, reste tranquille, je vais pas te faire de mal !

Je tente une réponse, une insulte en réalité, un grondement s'échappe. Il m'empêche toujours de parler. Lorsque j'arrive enfin à frapper son pied d'un coup de talon, il râle et trébuche. Moi avec.

Nous nous effondrons sur le canapé. Le poids de son corps chutant sur le mien m'arrache un soupir de douleur. Je ne peux pas appeler à l'aide, il me muselle de sa main. Il se redresse, me surplombe de son corps massif et je panique.

Il a pris place entre mes jambes et la terreur déploie une tempête dans ma tête. Je me contorsionne sans succès, il est beaucoup trop fort.

— Hey, calme-toi ! Je... J'te jure, je vais pas te faire mal, je vais me casser, promis. Mais crie pas, bordel ! Crie pas. Je me barre.

Je m'arrête de bouger deux secondes. C'est normal qu'un cambrioleur réponde ça ? En fait, peut-être que ce n'est pas un cambrioleur, c'est un violeur ! Je recommence à m'agiter dans tous les sens. Il râle jusqu'à ce que mon genou heurte son entrejambe.

— Putain de merde ! grommelle-t-il alors que je peux enfin glisser par terre et ramper plus loin. Crie pas ! Crie pas, je t'en supplie ! Si les flics m'arrêtent, je suis dans la merde.

Il se tient les parties intimes et claudique vers la porte.

— Dégage !

— Je vais partir, je te jure, je pars, regarde, tu vois ? Je suis en train de partir.

Le type encagoulé lève les mains pour me montrer sa bonne volonté. Il recule vers la sortie sans me perdre du regard. Je suis à quatre pattes sur le tapis et je pense à mon téléphone : oublié chez Georgette. Je ne sais pas comment réagir.

— J'ai rien volé, vraiment, je m'en vais. C'était une connerie. Je suis... je ne suis pas un délinquant.

Pourtant il m'a tout l'air d'être un voleur avec une cagoule et un blouson de voyou ! Mais il est tout aussi paniqué que moi, surtout quand mes doigts rencontrent son smartphone tombé précédemment. Je m'en empare, ouvre la protection, vois la carte bancaire et sa pièce d'identité française qui dépasse. Il me suffit de lire le nom de famille pour que je comprenne : « Miller ». Mon cœur fait un bond. Miller, comme... Monica Miller.

— Rends-moi le tel, putain !

Il est d'un vulgaire ! Je m'abstiens de faire la moindre remarque sur son langage et fais glisser le mobile vers lui alors que je suis toujours à genou. Il le récupère et tourne les talons vers la sortie quand je le retiens d'un :

— Yanis ?

Il se fige, fait volte-face.

— Co... comment tu...

— La carte.

— OK, convient-il en frottant sa cagoule d'une main nerveuse. Merde. Merde. OK. Bon, je sais pas qui t'es, mais... tu... bordel, non je suis pas Yanis.

Peu de chance que je me trompe. Des Miller entre la trentaine et la quarantaine, il n'y en pas cinquante. Et cet accent du sud si marqué... Je suis sûre que c'est lui. Mais pourquoi ? Pourquoi fait-il ça ?

— Tu es Yanis. Le petit-fils de Monica.

Je crois bien que s'il n'avait pas sa cagoule, il serait en train de se décomposer. Pour moi, cela ne fait aucun doute : dans la chambre de mon amie, comme dans son salon, les photos de Yanis sont partout. Monica m'a toujours décrit son petit-fils ainsi : « il était le plus grand de la classe, aaah, tu le verrais, ma Nicole, il a de la carrure ! C'est un beau sportif. Enfin, je ne sais pas s'il fait encore du rugby, mais il était assez... »

— D'accord, d'accord, balbutie le soi-disant inconnu. Alors, tu... tu peux garder le silence ? Parce que... je vais avoir de sérieuses emmerdes. J'ai fait une énorme connerie en venant ici.

— Ça fait dix ans qu'elle ne t'a pas vu ! 

Je meremets debout. J'ai peut-être encore des palpitations cardiaques qui me rendent fébrile, mais je ne suis plus terrifiée. Monica ne disait-elle pas que « Yanis est un jeune homme adorable, il ne ferait pas de mal à une mouche. »

— J'avais besoin de fric, avoue-t-il. Mais j'ai rien pris. Si tu me dénonces, je peux... je pourrais perdre la garde de mon fils.

Je blêmis, mes jambes deviennent aussi molles que des bâtonnets en coton. Monica n'a jamais entendu parler de cet arrière-petit-fils, elle m'aurait raconté ! Qu'elle en ignore l'existence me mortifie. Lorsqu'elle le saura, ce sera très dur pour elle. Je devrais profiter de la situation. Une situation complètement dingue où son petit-fils fait un retour fracassant pour cambrioler sa grand-mère.

— Je...

Un jappement désespéré m'interrompt. C'est Brutus, toujours enfermé dans la salle de bains.

— Je suis désolé pour le caniche, je...

Il bégaye, soupire, frotte sa cagoule comme si elle le brûlait. Je pourrais me précipiter sur la porte, mais j'ai peur qu'il s'échappe si je détourne le regard. Or, je sens que j'ai sous la main l'occasion de faire quelque chose. Peut-être une bonne action ? Je n'aime pas le chantage, mais celui-là n'est pas trop méchant, alors...

— Reviens demain. Tu ne peux pas continuer d'ignorer ta grand-mère. Elle ne sait même pas que tu as un fils, osé-je avant de rougir de honte de mon propre aplomb.

Ça me perturbe : je ne vois rien de ses réactions. Impossible de le laisser partir sans savoir : pourquoi a-t-il besoin d'argent ? Pourquoi dévaliser sa grand-mère ? Il prétend n'avoir rien pris et en effet, il a les mains vides. Il doit être désespéré. Aurait-il basculé dans la délinquance ? Si Monica apprend ça, elle sera dévastée.

Des aiguilles sous le sapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant