18 - Nicole

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J'ai attendu samedi avec impatience.

Il faut absolument que Yanis ramène le collier et le bracelet ou au moins qu'il avoue qu'il est à l'origine du vol sinon Monica va me rendre folle. Ces quatre derniers jours, elle a passé son temps à soupçonner tout l'immeuble. Contrairement à ses habitudes, consistant à tricoter sur son canapé devant les actualités ou une série romantique, elle a traîné dans les escaliers du bâtiment. Elle m'a raconté avoir croisé Esteban qui l'a toisée en lui demandant ce qu'elle faisait là alors qu'elle montait chaque marche avec la rapidité d'un escargot.

— C'est le kiné qui m'a conseillé cet exercice plusieurs fois par jour. Pour les articulations. Pour l'arthrose.

Dans le carnet où elle note le nombre de rangs de ses tricots, j'ai découvert un tableau qui m'a fait froid dans le dos avec les prénoms de tout le monde. Heureusement, je n'étais pas dedans. Yanis non plus d'ailleurs. Mais il y avait ceux qui fréquentent souvent les lieux, bien qu'ils n'y vivent pas : Natacha, Annie, Gaël... et devant chaque prénom : des croix, des ronds, des points. Celui qui avait le plus de gribouillis hier soir n'était autre que Francis, soupçonné depuis plusieurs mois d'être un criminel, à cause de la paranoïa de Natacha à son égard.

— Monica, cet homme est inoffensif, lui ai-je opposé hier soir alors qu'à vingt-trois heures elle revenait de son petit tour de garde.

— Eh bien, tu vas être surprise, mais j'ai entendu des cris derrière sa porte.

— Quel genre de cris ? Ceux qu'on entend chez Esteban ?

Notre voisin du quatrième produit des sons langoureux et détonants, de nuit.

— Ça ressemblait un peu, mais en plus étouffé, me précise mon amie en saisissant Brutus dans ses bras.

Probable que le son provienne de la télé.

— Quand tu regardes un thriller, on entend bien à un moment ou à un autre quelqu'un dire « Tuez-le », est-ce que ça fait de toi un serial killer ? me suis-je agacée.

J'ai commencé à perdre patience de devoir démonter un à un ses arguments. Non, Annie et Georgette ne sont pas à la tête d'une espèce de mafia au 17, rue de la République ! Sérieux...

— Là ça criait des « Prends-le, oui, vas-y, plus fort ».

Je m'éclaircis la gorge. À quatre-vingt-sept balais, ma colocataire est encore capable d'être d'une naïveté désarmante.

— C'est un peu flou.

Bref. Ces derniers jours n'ont pas été de tout repos.

Et en ce samedi matin, j'ai donc confirmé à Monica qu'elle aurait la visite de Yanis. Elle est dans un état de joie...

— Tu remontes pour faire un brunch avec nous ?

— Je ne sais pas. C'est ton petit-fils, je ne devrais pas me mêler de votre histoire.

Je m'en suis déjà bien mêlée en réalité.

— Il sera très déçu si tu n'es pas là, me nargue-t-elle, menton relevé.

Yanis n'a pas répondu après ma question : « Est-ce que je peux te faire confiance ? » Je ne sais pas, je ne le sens pas. Il a intérêt à ne pas rendre Monica malheureuse !

S'il me ramène les bijoux, je peux m'arranger pour les cacher et elle n'y verra que du feu. Je ne le ferais pas pour lui, mais pour que mon amie ne soit pas dévastée en apprenant que son petit-fils l'a volée.

Alors que j'installe les dernières décorations de Noël dans l'appartement — nous n'avons pas encore terminé dans la boutique — je reçois des nouvelles :

[Je viens d'expliquer à Marius que nous allions voir son arrière-grand-mère. Il a hâte. J'y suis dans une heure. À très vite.]

En attendant, j'aurais pu descendre en avance à Fil Harmonie pour aider Natacha, mais je suis trop stressée pour faire autre chose qu'un petit ouvrage en crochet. Toujours ce zèbre que je réserve aux enfants de l'hôpital pour les colis. Je me désespère de ne pas avancer suffisamment vite. Monica, elle, n'a pas la tête à tricoter, elle est encore plus tendue que moi, je la sens vraiment à cran. Elle a revêtu un pantalon de laine beige et un chemisier recouvert d'un gilet en mohair vert clair. Et bien sûr, elle est bardée de bijoux, maquillée, coquette jusqu'au bout de ses ongles manucurés par mes soins. Elle feuillette son album et renifle par intermittence.

L'appartement est absolument nickel, tout est rangé à sa place. Un sapin artificiel de taille moyenne est décoré de guirlandes et de boules bleues et dorées. Une girandole lumineuse lui offre un éclat hypnotique. Elle clignote dans l'angle de mon champ de vision alors que je suis toute à mon décompte de mailles pour éviter de me noyer dans mon angoisse.

Soudain, on tambourine à la porte. La sonnette est en panne. Comment a-t-il fait pour monter jusqu'ici ? Yanis aurait-il croisé un habitant ? Ou l'interphone est encore défectueux ? 

Je bondis. Monica aussi.

Mais elle me fait signe d'y aller, la main plaquée sur sa poitrine pour calmer son cœur.

Je lis dans ses pensées : « je n'ai pas la force » et file ouvrir. Yanis est sur le perron. À côté de lui, un petit bonhomme roux et haut comme trois pommes, les joues rosies, a retiré son manteau.

Il est tiré à quatre épingles, vêtu d'un pull étroit de ceux que portent les vieux garçons, avec col à carreaux qui dépassent et pantalon de velours bleu marine. Ce garçonnet est la version miniature de Yanis, la ressemblance est impressionnante : la même bouille en plus joufflue. Un vrai piège à bisous.

Dans sa main potelée, il tient une rose rouge enroulée dans un papier moiré.

— Tiens, c'est pour toi !

Je croise le regard de Yanis. Il est pâle comme la mort. Avec un temps de retard, il retient son fils.

— C'est pour Mamie Mo, lui rappelle-t-il.

Je les invite à entrer dans l'appartement. Marius, curieux, observe l'intérieur en faisant la moue à l'approche de Brutus. Le caniche renifle le môme avec méfiance. Une seconde plus tard, il grogne devant Yanis, mais ne se jette pas sur lui.

— Elle est dans le salon, glissé-je en soulevant le chien avant qu'il se décide à mordre le nouveau venu. Laissez-moi vos manteaux.

Je range le tout pendant que Yanis expire bruyamment en traînant son fils par la main en direction du salon. Là, quelques balbutiements et sanglots me parviennent. Je caresse Brutus et demeure statique. Encore une fois, ce moment ne m'appartient pas vraiment alors je les laisse à leurs retrouvailles et file préparer un café et du thé dans la cuisine.

— Reste tranquille, toi ! Ou je t'enferme dans ma chambre ! m'agacé-je contre Brutus.

Il sautille quand je lui jette sa friandise qu'il attrape en plein vol. Un bon quart d'heure plus tard, le plateau est garni de gâteaux, bonbons, tasses et théière. Je me déplace avec prudence vers le salon, calculant mes pas. Un pied posé devant l'autre, je m'efforce de maintenir un équilibre précaire.

À mon arrivée, je me fige. Monica est radieuse.

Non, plus que ça : il n'existe aucun mot assez fort pour décrire le bonheur qui marque son visage.

— T'es trop belle, Mamie Mo, s'enthousiasme le petit avec un accent similaire à celui de son père. C'est vrai, t'es célèbre ?

Ses joues sont humides et Marius agite son pouce sur sa peau claire, il remonte jusqu'aux rides au coin des yeux de son arrière-grand-mère. Un sourire s'esquisse sur ses lèvres quand le môme monte sur ses genoux.

— Pourquoi tu pleures ? T'es pas contente que j'suis là ?

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Des aiguilles sous le sapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant