Monica ne veut pas relancer les hostilités.
Dans la vie de tous les jours, un tel comportement la ferait sortir de ses gonds. Elle est capable de s'offusquer pour des broutilles : un courrier qui atterrit dans la mauvaise boîte aux lettres, une poubelle oubliée dans le hall de l'immeuble... Avec elle, on déclencherait une guerre pour pas grand-chose, ce n'est pas un tempérament facile.
Pourtant là, alors qu'elle fait face à un terrible affront, la preuve qu'elle a été mise de côté et dénigrée, elle ne réagit pas. Elle prend sur elle pour esquisser un sourire forcé.
— C'est du passé tout ça, marmonne-t-elle.
— Je suis désolé, soupire Yanis en se prenant la tête entre ses mains. Pardonne-moi.
Monica se laisse aller à un sanglot durant une bonne minute. Je ne sais plus où me mettre, je me sens de trop dans cette pièce.
Brutus commence d'ailleurs à japper derrière la porte de ma chambre. J'y vois l'occasion de m'échapper.
Monica annonce soudain :
— Je t'interdis de t'excuser, mon garçon, la seule qui a fait une effroyable erreur ici, c'est moi.
Yanis bafouille, il se confond en excuses et finit par se lever alors que leur discussion devient de plus en plus incohérente.
— Tu ne restes pas ? s'inquiète Monica. Tu pourrais manger avec nous.
— Non, excuse-moi. Pas ce soir. Je...
Yanis me consulte du regard, je ferme doucement les paupières, les ouvre à nouveau, il comprend. Ça vaut mieux qu'on s'arrête là pour aujourd'hui. Le retour de son petit-fils a déjà profondément ébranlé Monica.
— Repose-toi de ces émotions, mamie.
— Promets-moi que tu reviendras, pleure-t-elle.
— Promis.
Elle se met debout avec son aide, puis finit de nouveau étreinte entre ses bras. Ces quinze minutes m'ont paru durer une heure. Monica se rassoit, hoche la tête dans ma direction et sanglote seule. Je raccompagne Yanis à la porte. À peine a-t-il franchi le seuil qu'il se tourne vers moi, les yeux remplis de larmes.
— Merci, Nicole. J'aurais dû le faire plus tôt. Je me rends compte que j'ai pas eu le courage.
— Tu te diras peut-être la même chose si tu reviens avec Marius.
Je vais trop loin, je vois bien qu'il est déjà au bout du rouleau. Alors que je cherche un moyen de calmer la tempête dans laquelle il est balloté, je fais un pas vers lui, me dresse sur la pointe des pieds et dépose une bise sur sa joue. La rapidité de mon geste le surprend. Ses doigts frôlent l'endroit précis de l'impact, une fois que je m'éloigne. Il ne sourit pas, il est stupéfait.
— Pardon, je...
— T'excuse pas. C'est moi le con dans cette histoire.
Nous nous jaugeons sans rien dire. Ses yeux dérivent sur mes lèvres, une brûlure naît dans mon ventre. J'ai l'impression que je ne respire plus aussi bien depuis qu'il s'est approché sans que je m'en aperçoive.
— Je te tiens au courant pour une prochaine visite.
— Quand est-ce que tu revois ton fils ?
— Dans quatre jours.
— Quatre jours de réflexion, résumé-je.
Je ne veux pas lui mettre la pression, le sujet est délicat, mais je détiens toujours son secret. Ce dont il se rappelle soudain.
— Tu... tu ne diras rien pour...
Le cambriolage raté.
— Promis.
Rassuré, il s'en va par l'escalier. Sa descente est lente, comme s'il était alourdi par le poids de toutes les émotions qu'il vient de vivre. Je me demande un instant si j'ai vraiment bien fait de provoquer le destin. Est-ce que je n'ai pas plutôt remué le couteau dans la plaie ? N'ai-je pas deux âmes blessées à présent ? Monica est dévastée, lui est chamboulé. Et moi je suis la grande responsable de ce remue-ménage. Une petite voix désagréable me murmure que j'aurais dû me mêler de mes affaires.
— Nicole ?
L'appel de Monica me ramène à la réalité, je clos la porte et la rejoins dans le salon. La tristesse s'est échappée, elle s'illumine en me découvrant.
— Viens ici, dans mes bras, ma petite fleur, je viens de vivre un moment merveilleux grâce à toi !
— Je n'ai pas fait grand-chose, prétexté-je en me lovant contre elle.
— Tu as fait revenir ce garçon fantastique dans ma vie.
Je prends soudain conscience qu'elle le met sur un piédestal. Elle n'en a jamais dit du mal, ne lui trouve que des qualités. Pourtant, sa vie semble tourner au désastre, et il s'est rendu coupable d'un terrible mensonge, sans compter qu'il a tenté de voler les bijoux de sa grand-mère pour se faire de l'argent. Yanis n'est pas aussi parfait que Monica veut bien le croire. Mais le moment est mal choisi pour tempérer son enthousiasme.
— Comment tu le trouves ? me demande-t-elle alors que ma gorge se bloque.
Je cherche les mots justes.
— Il est bel homme, hein ? Il te plaît ?
— Monica !
— J'ai bien vu tous ces petits regards que vous avez échangés. Et je ne parle même pas du fait que tu es présentement rouge comme une tomate. Si je n'étais pas sa grand-mère et que j'avais cinqua...
— Écoute, ces regards n'ont qu'une seule signification : j'avais très peur de ta réaction, expliqué-je. Que ce soit trop dur pour toi. Alors je l'ai prévenu : si tu prenais mal son retour, il devrait partir. Je lui aurais fait signe.
— Bien sûr.
Elle plisse néanmoins les yeux avec suspicion et hausse un sourcil.
— J'ai bien cru que mon cœur allait lâcher, m'avoue-t-elle. Mais tu ne pouvais pas me rendre plus heureuse. Enfin, si, il y a peut-être quelque chose qui ferait de moi la femme la plus chanceuse du monde entier ! Vous voir former un couple tous les deux. Il ne fait aucun doute que vous êtes faits l'un pour l'autre et que vous vous plaisez.
Que je m'étouffe devant ses certitudes ne lui fait ni chaud ni froid. Lorsque Monica se met une idée en tête, il devient très difficile de la faire changer d'avis.
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Des aiguilles sous le sapin
RomanceRien ne prédestinait Yanis, chômeur et père célibataire, à vendre des pelotes de laine. Il n'a pas eu le choix : c'était ça ou finir chez les flics. Ça lui apprendra à cambrioler sa grand-mère ! Il doit en plus suivre les ateliers tricot de Nicole...