Monica s'interrompt, avale un peu de son thé et repose sa tasse, ses doigts tremblent cette fois de façon évidente. Elle me file le bourdon. J'ai l'impression de la torturer tant elle pâlit.
— J'ai menti à mon mari, à mon amant, à ma famille, mes amis, à tout le monde. J'avais tellement honte. Mais tu sais comment était monsieur Miller.
Son défunt époux.
— Un monstre.
— Je n'irais pas jusque-là, me corrige-t-elle. Il était étouffant, oui, violent parfois. Je me suis habituée à ce quotidien difficile et je n'ai jamais manqué de rien. Je me suis donnée corps et âme pour éduquer James. Je savais qu'après mon accouchement désastreux, je ne pourrais avoir d'autres enfants, il était mon petit trésor. Et puis j'ai commencé à tricoter, crocheter, je voulais devenir la meilleure, la plus rapide, faire des chefs-d'œuvre de laine et de coton. C'était mon échappatoire.
Ses yeux brillent et sa voix est pleine d'engouement quand elle en parle. Cette passion ne l'a jamais quittée. Je trouve une boîte de mouchoirs et la lui tends alors qu'une larme roule sur sa joue. Monica semble éprouver le besoin de s'épancher, ce qui lui coûte encore quelques sanglots.
— La vérité a éclaté il y a dix ans, reprend-elle. Mon mari était mort deux ans auparavant d'une rupture d'anévrisme, et je recevais un message d'une inconnue précisant que son oncle était mourant. Elle disait qu'il voulait me voir une dernière fois. C'était mon ancien amant, ce prof de français qui m'avait aidé à me sentir chez moi dans mon nouveau pays. Je n'ai pas eu le courage d'aller le voir, mais j'ai craqué et tout raconté à James. Je lui ai dit qu'il n'était pas le fils de son père, que son père était mort sans savoir la vérité et que s'il voulait rencontrer son père naturel, il devait se dépêcher, car il allait disparaître à son tour.
Je conçois la violence que cette révélation a pu représenter pour James. Monica a fait des erreurs, elle a vécu des moments douloureux, elle s'est tu pendant des années sous l'emprise d'un mari qui la brimait. Toutefois, son fils a dû recevoir cette nouvelle comme une claque, je le comprends lui aussi. Mon amie n'est pas des plus délicates lorsqu'elle s'adresse aux autres. Elle lui a probablement asséné cette réalité sans prendre de pincettes.
— Il ne m'a jamais pardonné, conclut-elle. James a décidé de couper les ponts. D'autant plus que lorsqu'il est arrivé à l'hôpital, son père naturel venait tout juste de décéder.
Monica sèche ses larmes avec la serviette de table. Elle renifle quand je lui saisis le poignet pour le caresser. Je suis plus à l'aise pour les gestes de tendresse que pour trouver les mots adéquats.
Qui suis-je pour la juger ? Je ne pourrai jamais me mettre à sa place.
— Yanis a entendu le récit de son père. La colère de James à mon endroit était telle qu'il a clamé que j'étais désormais une étrangère, je n'étais plus... sa mère.
— James a souffert.
— Je sais, je le conçois, j'ai eu très mal aussi. Si tu m'avais vue... T'étais pas là, il y a dix ans, j'étais au fond du trou. Je voulais en finir. J'étais veuve avec un fils qui me rejetait, un petit-fils qui m'ignorait alors que je l'ai toujours considéré comme plus important que ma propre vie. Yanis n'a pas voulu décevoir son père, il a vu sa détresse donc il a suivi, mais je suis sûre que ça a été dur pour lui aussi. Nous étions si proches.
— J'en suis certaine, confirmé-je.
Monica s'effondre franchement cette fois. Elle sanglote quand je l'étreins dans mes bras. Ses larmes trempent mon épaule.
Peut-être que le destin m'a envoyé un signe ? Yanis est revenu dans sa vie, sans qu'elle le sache. Certes pour commettre un acte déplorable, mais j'ai la possibilité de les aider à se réconcilier, à se comprendre enfin.
Je ne peux pas laisser passer cette occasion. Il ne me reste plus qu'à espérer que son petit-fils respecte sa parole et vienne visiter sa grand-mère aujourd'hui, celle à qui il ne parle plus depuis dix ans.
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Des aiguilles sous le sapin
RomansaRien ne prédestinait Yanis, chômeur et père célibataire, à vendre des pelotes de laine. Il n'a pas eu le choix : c'était ça ou finir chez les flics. Ça lui apprendra à cambrioler sa grand-mère ! Il doit en plus suivre les ateliers tricot de Nicole...