À dix heures, j'ouvre la boutique après un brin de ménage. La révélation de Monica continue de résonner dans ma tête. Elle m'a bouleversée et je crains que la suite des événements la chamboule encore plus.
La première demi-heure de ce mardi matin est tranquille : nous n'avons que trois visites. Je ne quitte le comptoir que pour accueillir et conseiller ces nouvelles venues. Nos clients masculins sont assez rares, quoique nous en avons eu quelques-uns, samedi dernier.
Avec Natacha, nous militons pourtant pour inciter les hommes à découvrir les joies du tricot et du crochet. Par exemple, nous avons lancé une campagne publicitaire, affiches à l'appui, pour présenter nos cours du dernier trimestre de l'année avec un modèle masculin — le séduisant Esteban. Ce bourreau des cœurs vit au 4e étage et il était enchanté de poser avec son sourire charmeur sur le poster placé en vitrine, aiguilles en main, pelote entre les cuisses.
On a osé la promo du siècle : un stage de tricot à moins 50 % pour ces messieurs. Malheureusement, ce ne sont pas ces combines qui changeront les mentalités, même si la jeune génération se montre plus ouverte sur cette activité.
Entre les ateliers d'initiation du mercredi et du jeudi après-midi, la communication de la boutique que je mène sur les réseaux et sur le site, les commandes, la tenue des comptes de l'entreprise et notre association caritative Les Aiguilles du Bonheur, nous sommes tout simplement noyées avec mon amie.
Nous n'en avons pas les moyens, mais il est évident qu'il nous faudrait une paire de bras supplémentaires pour gérer l'effervescence de cette fin novembre et du mois de décembre à venir.
*
Quand Natacha surgit en début d'après-midi, giga sac fuchsia sous le coude, écharpe XXL de coloris violacé autour du cou et pull fluo, je ne marmonne qu'un vague « bonjour ». Je suis en train de vérifier l'arrivage des stocks pour les box. Nous n'avons pas reçu certains écheveaux de laine et je me suis perdue dans les mails de relance. Je n'ai même pas eu le temps de commencer à mettre la déco de Noël, alors que nous avions convenu de le faire aujourd'hui. On devrait aussi recevoir le sapin.
— Rassure-moi, choupette, t'as mangé ? me demande Nat.
— Pas encore.
— Va te nourrir et lâche cet ordi.
Je grogne, réclame un délai supplémentaire.
— On a eu du monde ce matin ? s'enquiert-elle.
— Non, c'était tranquille. Sauf que je suis désolée, on est à la bourre sur la déco, alors que les autres commerces ont déjà commencé à...
— T'inquiète ! On a pas le feu aux fesses, on fera ça quand on aura le temps. Peut-être demain.
Juchée sur de fabuleuses bottes en daim à talons hauts, elle contourne le comptoir et jette son énorme sac au pied du tabouret sur lequel elle s'installe, à côté de moi.
— D'ailleurs, j'ai ramené des trucs en plus de mon appart. Regarde si c'est pas funky !
— Et girly, confirmé-je en tirant une guirlande argentée emmêlée dans une autre rose pétant.
Exactement son style, à l'image de cette jupe moulante aux motifs damassés clairs sur un fond prune. Natacha sait comment attirer l'œil et sa personnalité solaire renforce son charisme.
— Je m'occupe de tout ça. Va en pause pour manger. Tu vas encore perdre un kilo à bosser comme une dingue. Ordre de ta patronne.
Je repousse le clavier, soupire. Parfois j'oublie aussi que Natacha est ma cheffe, nous n'avons plus cette relation boss-employée depuis très longtemps. Je remarque un petit paquet de calissons qu'elle glisse sous mon nez.
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Des aiguilles sous le sapin
RomanceRien ne prédestinait Yanis, chômeur et père célibataire, à vendre des pelotes de laine. Il n'a pas eu le choix : c'était ça ou finir chez les flics. Ça lui apprendra à cambrioler sa grand-mère ! Il doit en plus suivre les ateliers tricot de Nicole...