5 - Yanis

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Si je ne m'y étais pas pris comme un manche dans cette affaire, j'en serais pas là. Je n'ai plus vraiment le choix, je dois assumer ma bêtise et peut-être que cette proposition pourrait me sortir du pétrin.

— Oui, d'accord, je veux bien, mais en échange, tu peux me promettre de ne rien dire pour... ma visite ?

Je songe aux tiroirs ouverts dans les chambres, les strings, culottes, contenus divers et variés jetés au pied des lits et je crois que quand elle verra l'étendue du désastre, elle me maudira. Mais je ne sais pas, je sens quelque chose de bon chez cette fille. Elle n'est pas vindicative ni agressive, je dirais même qu'elle cherche à être gentille avec moi. Ce qui est plutôt perturbant.

Elle n'a sans doute pas conscience que je suis un enfoiré qui vient de voler un bracelet et un collier chez sa grand-mère. Ils sont au fond de ma poche et je lui mens franchement en disant que j'ai rien pris. Je ne suis pas un menteur d'ordinaire, sauf que là, je n'ai pas le choix et je ne vais pas lui raconter ma vie non plus. Je dois me carapater de cet immeuble le plus vite possible. Le chien retrouve de l'énergie et ses aboiements vont alerter tous les habitants, même les sourdes oreilles hypnotisées par leur série.

— Donc demain, tu reviens pour visiter Monica. Je ne te demande rien de plus, ça lui fera plaisir et moi, en échange, je serai muette comme une tombe. Je n'irai pas porter plainte alors que tu m'as...

— Désolé, vraiment, je... j'ai été brutal, je ne voulais pas te faire du mal...

Je cherche son prénom. Évidemment, j'en sais rien. Je ne sais même pas d'où elle sort.

— Tu vis ici ?

— Oui, depuis six ans.

Six ans qu'elle vit avec Mamie et je ne le savais pas. Je suis un minable.

— Je m'appelle Nicole.

Elle me tend la main.

Je regarde ses petits doigts fins écartés en ma direction, j'ose à peine les enfermer dans ma poigne de rustre. Pourtant je glisse ma main gantée dans la sienne, serre légèrement, la retire. Je retiens un « Enchanté, Yanis ». Après tout, deux minutes avant, nous étions en train de nous battre sur un canapé.

Nicole.

J'ai commencé à rôder autour du 17, rue de la République, il y a deux jours. Samedi, je me suis posé sur la terrasse du café en face de l'immeuble et j'ai fait semblant de jouer avec mon téléphone en faisant du repérage. Ma grand-mère ne sort pas souvent apparemment, mais j'ai vu pas de mal de vieilles personnes, un mec très baraqué, genre beau gosse, et une fille typée cagole, pendue à son bras.

Surtout, j'ai remarqué Nicole, sans connaître son prénom. Difficile de passer à côté de cette petite brune aux longues boucles attachées en queue de cheval. Elle courait partout entre la boutique de laine où elle travaillait et l'entrée de l'immeuble. Je me doutais qu'elle vivait ici, par contre, je ne savais pas qu'elle logeait chez ma grand-mère. J'ai poussé la surveillance un peu plus loin encore en entrant dans le commerce Fil Harmonie au rez-de-chaussée : un cocon multicolore où les pelotes de laine forment des arcs-en-ciel sur les présentoirs, une sorte de caverne d'Ali Baba sous l'apparence d'une mercerie cosy pour ne pas dire, surchargée d'articles en tout genre.

J'avais envie de revoir cette fille pleine d'énergie, mais je suis tombée sur la patronne.

Celle-ci était avenante, quoique dans un tout autre style. Cheveux courts, mèche colorée en rose, piercing sur la langue, pull crop-top et un immense tatouage, de lierres et de branches épineuses, ornait sa main droite. Son look de trentenaire sexy m'a interpellé, je l'ai trouvée très sympathique.

— Je voudrais faire un cadeau pour... ma grand-mère, je...

Bon, en réalité, j'étais juste venu pour espionner. C'est alors qu'une étincelle brune a surgi sur ma gauche. Elle a relevé deux yeux gris clair sur moi et j'ai ressenti un truc.

Je ne sais pas, comme si je la côtoyais depuis toujours. Pourtant, je ne la connais pas, je l'avais juste vue une heure avant qui filait dans un sens et dans un autre sur le trottoir. Mais là, de près...

Ses petites joues rosies par l'effort, ses lèvres pulpeuses légèrement entrouvertes et ses paupières excitées comme des papillons, ça m'a secoué les tripes. Ça faisait longtemps que je n'avais pas ressenti ça : du désir.

— Salut, je...

Elle a tué mon sourire de client en pleine tentative de séduction d'un :

— Revenez dans dix jours, nous aurons les box de Noël à proposer ! Je suis certaine que votre grand-mère va adorer ! Chaque coffret correspond à une couleur. D'ici là, demandez-lui laquelle elle préfère.

— Moi j'adore le camel, a rétorqué la patronne d'une voix rauque matinée d'un accent... allemand ?

J'ai eu un clin d'œil en promo.

— Oui, laine, confiseries et petits gadgets de tricoteuses associés : marqueurs, compte-maille, aiguille à laine, le tout assorti, a poursuivi la jolie vendeuse avec passion.

Je la couvais du regard quand je me suis rappelé que j'étais dans cette boutique de laine pour faire du repérage. Le but : cambrioler ma grand-mère afin de rembourser le fric que m'a prêté ce connard de Ratel.

Alors je suis sorti sans rien acheter. Parce qu'il est bien là le problème : je suis à payolle, j'ai plus un rond. Plutôt que de faire un cadeau à Mamie, je vais lui dérober ses bijoux.

On aurait voulu inventer l'abruti de Noël qu'on n'aurait pas trouvé mieux.

Le lendemain, dimanche, je suis revenu. J'ai bu un café et éprouvé un terrible sentiment de vide. Probablement parce qu'il y avait degun en terrasse hormis moi, le couillon du jour.

En plus, la boutique d'en face était fermée. Deux vieilles sont sorties avec leur caddie à roulettes et ce n'est que lorsque j'allais lever le camp que Nicole a déboulé sur le trottoir, un bouquet dans les bras. Elle revenait de promenade sûrement. Sous son bonnet de laine rose, elle affichait un immense sourire. J'ai pensé que c'était peut-être son amoureux qui lui avait offert ces tulipes rouges, alors je me suis senti plus triste que d'habitude et je me suis barré.

À présent, je sais comment elle s'appelle. Et là, devant moi, elle est toujours aussi belle, bien que décoiffée, furieuse et effrayée.

— Comprends-moi bien, Yanis : demain, tu te présentes à Fil Harmonie, la boutique du rez-de-chaussée, avant dix-huit heures dernier délai. J'y serai, je t'y attendrai. Si tu ne viens pas, j'irai voir les flics.

— Euh... je... oui, Nicole, j'ai compris.

Elle serre les lèvres, me toise, les bras croisés.

— Va-t'en maintenant.

J'aurais bien proposé de ranger l'appartement, mais je crois qu'il serait mieux que je force pas trop ma chance. Je fais donc volte-face et me précipite vers l'escalier. 

Des aiguilles sous le sapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant