11 - Nicole

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— Je... j'ai respecté le contrat.

Je suis dans les vapes d'un coup. Un contrat ? Je raccroche mal les wagons. Trop d'informations pour mon petit esprit secoué probablement.

À gauche, Natacha raccompagne les livreurs. Derrière moi, une dame m'interpelle d'un « Mademoiselle, vous en avez en vert bouteille ? ». Droit devant, un grand homme, typé méditerranéen, une peau bronzée avec de petites rides charmantes au coin des paupières, marche dans ma direction. Ses lèvres se pincent, puis s'entrouvrent et il m'adresse un regard capable de faucher un cœur, une âme, toute une intelligence, le temps d'un mot :

— Salut.

C'est étrange, mais la mémoire me revient enfin. Une sensation de déjà-vu, pareille à celle dont Natacha m'a fait part. Je l'ai vu cet homme, jeudi, vendredi ou peut-être samedi où il y avait une affluence inédite de clients masculins dans la boutique, je ne sais plus. 

J'ai le souvenir de quelqu'un qui m'a fait forte impression, je me suis sentie encore plus timide que je ne le suis d'habitude. Le sentiment d'être écrasé sans que cela soit tout à fait désagréable grâce à ses yeux caramel, ses cheveux en bataille. Il cherchait quelque chose pour sa... grand-mère.

— Nicole, c'est moi, Yanis, rappelle-t-il alors que je suis toujours étourdie.

— Oui, Yanis, bonjour. Vraiment, je ne pensais pas que tu viendrais.

— Je suis déjà passé, mais...

— Je sais.

Il me tend la main, je glisse la mienne entre ses doigts. Contrairement à hier soir, il ne porte pas de gants. La rugosité de sa peau caresse la mienne furtivement, il s'en échappe une légère chaleur à peine m'a-t-il effleuré la paume.

Avec affolement, j'entends Natacha verrouiller la porte.

— Qu'est-ce que tu fais ? Il est trop tôt pour fermer ! m'alarmé-je.

— Juste cinq minutes pour être tranquille et parler sérieusement, déclare-t-elle en roulant des mécaniques jusqu'à nous.

Elle tient une paire de ciseaux qu'elle pointe vers Yanis et annonce :

— Nicole m'a tout raconté. Je sais qui tu es, je sais ce que tu as fait. Alors pour qu'on soit quitte, je vais t'expliquer deux-trois choses. Plus jamais, tu m'entends ? Plus jamais tu ne mets les pieds dans cet immeuble sans y avoir été invité.

Prenant les devants, j'indique à Yanis :

— Voici Natacha, ma patronne.

— Son garde-du-corps... Je veille sur elle.

La voix de mon amie siffle comme un serpent venimeux.

— Et je ne veux aucun cœur brisé !

Notre cambrioleur du lundi soir se racle la gorge.

— Nat, je pense que Yanis n'a pas d'intentions aussi regrettables, tempéré-je.

— C'est vrai, je suis désolé, j'ai merdé une fois, mais pas deux. C'est un peu la philosophie qui guide ma vie d'ailleurs.

Les yeux rivés sur le sol, je le trouve craquant. Oui, pendant que sa jambe gigote et qu'il enfourne ses mains dans les poches de son blouson en rougissant, il ressemble davantage à un gamin pris en flagrant délit de vol de bonbons qu'à un méchant cambrioleur.

— Dans ce cas, si vous alliez visiter Monica ? me rappelle Natacha alors que j'ai dû m'évaporer entre deux pensées, comme d'habitude.

— Tu m'autorises à quitter la boutique ?

— Tu as fini depuis deux heures, ma belle, je ne sais pas ce que tu fais encore là !

— Les décos...

— Ça suffit avec tes guirlandes ! On s'en charge demain ou après-demain, il n'y a pas mort d'homme, pétard !

Yanis a relevé les yeux pour suivre cet échange avec amusement. Je me renfrogne à l'idée de me donner en spectacle et récupère mon manteau pour le guider sur le trottoir. De là, nous n'avons que deux mètres à parcourir pour franchir la porte cochère, je le devance et lui ouvre la voie. 

Quand il pénètre dans le corridor menant à la cour intérieure, un violent mistral siffle et fait claquer le battant. Sur la droite, l'interphone est en panne et le système électronique aussi, on entre dans cet immeuble comme dans un moulin. J'imagine que ça a dû lui faciliter la tâche hier soir.

Dès que nous sommes dans le hall, je l'interpelle à ce propos.

— Comment as-tu su que nous étions absentes de l'appartement ? Le fait que Monica et moi et d'autres dames du 17, on était en train de faire notre soirée sitcom  ?

— Ce... En fait, je vous espionnais depuis quelques jours.

— Tu es rentré ici pour contrôler nos allées et venues ? Nous espionner, vraiment ?

— Non, je ne suis pas entré. Bon, comme tu as pu le voir, je ne suis pas très performant en tant que voleur, je suis un amateur. J'ai juste remarqué qu'il y avait beaucoup de bruit au 2e, j'en ai profité pour aller au 3e, c'était un coup de bol.

Je n'y crois pas une seconde. Il me cache quelque chose. Si Yanis n'est pas un bon cambrioleur, il est aussi déplorable quand il ment. Son regard fuyant, sa façon de se balancer d'un pied sur l'autre, de maltraiter les poches de son blouson, tout indique qu'à l'intérieur de lui, c'est la panique pour trouver une bonne excuse.

— Tu es venu à la boutique, la semaine dernière ?

— Oui, répond-il sans hésiter. Samedi, j'ai parlé avec toi des box de Noël.

La mémoire me revient avec certitude, ses paroles autant que la forte impression qu'il a faite sur moi. Car j'ai beau me désintéresser des embrouilles amoureuses, j'ai encore du mal à dévier mon regard quand un homme si séduisant traverse mon champ de vision. Et Yanis est de cette catégorie, même si, à l'instant j'ai plus envie de le secouer que l'embrasser — au secours, je divague ! — je reconnais que Nat avait raison : le niveau de sexytude est plutôt élevé.

— Nicole, je te présente mes excuses, une nouvelle fois. Ce que j'ai fait est impardonnable, mais je suis dans la merde. Je dois du fric à droite et à gauche. J'ai divorcé il y a deux ans, j'ai plus de travail depuis un an et j'ai aussi perdu la garde alternée pour mon fils. Je ne le vois que de temps en temps.

Ces aveux me sidèrent. Je ne veux pas encore passer pour la bonne poire et j'ai peur qu'il me tienne ce discours misérabiliste pour m'attendrir. Mais avec ses épaules voûtées, sa façon de masser son front et la détresse que je lis dans ses yeux, il me convainc.

— Comment tu vas faire maintenant que tu n'as pas réussi ton coup ?

— Je vais continuer de galérer, m'avoue-t-il avec un sourire contrit.

— Monica pourrait peut-être...

Je m'aperçois de la mauvaise idée que je m'apprête à formuler. Bien sûr que Monica pourrait l'aider ! 

Mais ça fait dix ans qu'ils ne se parlent plus ! Elle ne va pas lui faire des chèques du jour au lendemain et pire que ça : lui pourrait tout à fait mettre en place une stratégie consistant à embobiner sa grand-mère pour lui soutirer de l'argent. 

Ma faute si je lui ai glissé cette idée stupide !

— Je viens juste lui dire bonjour, me rappelle-t-il. Je ne sais même pas si je dois lui parler de Marius.

— Marius ?

— Son arrière-petit-fils. Elle ne sait pas qu'il existe. Et lui non plus ne sait pas qui est son arrière-grand-mère.

Des aiguilles sous le sapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant