Plus qu'une semaine avant les rites de Nineath.
On m'a informé que la liste des prétendantes pour passer quelques minutes avec moi (je ne vois vraiment pas comment ça pourrait être plus) ne cesse de grossir, et que mon « calendrier de saillies » (non mais quelle horreur) est plein jusqu'à l'année prochaine. Trois périodes de lune rouge, donc. D'après ce farceur sinistre de Lennalon, lorsque la « fête » aura commencé, je n'aurais même plus une minute pour manger.
— Ces femelles en chaleur vont te presser comme un citron, Altesse, raille-t-il. On va essayer de bien te nourrir avant. Que tu tiennes la distance et ne t'humilies pas trop en public. Rien de plus féroce qu'une elleth éconduite : celle devant laquelle tu faibliras t'en voudra toute sa vie.
— Je vais tenir le coup, lui réponds-je, excédé par ses moqueries. Et je vais engrosser ta sœur !
— Bien essayé, prince. Mais je n'ai pas de sœur. Je suis fils unique.
— Ta mère, alors, bougre de con !
— Tss. Quelle vulgarité... je vais finir par croire que tu es vraiment un perædhel des rues, tu sais. Et non un glorieux fils de roi caché parmi nous, le noble héritier des plus grandes vertus ædhel qui récite de la poésie classique en langue ancienne et bat nos meilleurs círdani au lugdanaan.
Il a retenu les paroles de la mère d'Aloïsha. Et s'en sert contre moi, pour mieux m'humilier. L'enfoiré...
— Va te faire foutre, Lennalon. Va te faire mettre bien profond !
Son visage austère est secoué par un petit rire sombre, et il me jette un bout de steak à la volée, comme à un chien. Je ne sais pas où il a obtenu ça, mais je m'empresse de le dévorer, toute dignité envolée.
Voilà à quoi ils m'ont réduit. Ces maudits alchimistes de la Maison des Guérisseurs... des psychopathes, oui, plus sadiques que les bourreaux d'Ymmaril.
Je suis au désespoir. Finalement, Assurya n'est pas venue, probablement empêchée par son père ultra-protecteur. Se compromettre avec un perædhel, alors qu'on est la fille du Haut Régent... impensable. Je sais de source sûre qu'Assurya se tape un sidhe du temple de temps en temps, entre deux colonnes, mais son père, lui, n'est pas au courant.
— Une visite pour le perædhel ! entends-je clamer dans le couloir.
Je me couvre de mon drap, résigné. Les ellith défilent à ma porte pour me mater, tous les jours. L'attraction locale, on m'a dit... Il y en a même une qui a demandé à tâter mes muscles ! ce qu'on lui a interdit pour l'instant. Les chaleurs commencent à monter, chez les femelles. Bientôt, elles deviendront aussi incontrôlables que les mâles.
Mais ce n'est pas une femelle cette fois. C'est un ældien mâle, qui s'avance dans ma cellule avec un air à la fois hautain et éthéré, comme s'il était étonné d'être là, dans cette fange, parmi les petites gens.
Cependant, le soulagement détend mon cœur lorsque je le reconnais.
Je lève un regard admiratif sur la haute silhouette du frère aîné de Caël, Nínim, descendu du firmament pour me tirer des limbes. L'ældien parfait, avec son visage de statue, ses longs cheveux d'or blanc qui bouclent juste un petit peu au bout, la tunique impeccable couleur crème, le shynawil rouge bien plié en toge par-dessus. Une véritable incarnation d'Anwë, le sældar phénix. Il pose ses yeux gris-or, une teinte impossible à décrire, sur moi.
— C'est bon, je le prends en charge, annonce-t-il de sa voix parfaitement calme. Merci pour votre diligence, ard-hendal.
Le praticien aux cheveux gris apparait dans son dos, flanqué d'Anduil.
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Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)
Science FictionKael, Cyann et Lalaith, trois cousins de la même génération, cachent un lourd secret. Ils sont « perædhil » : à moitié ældiens, cette terrible race de prédateurs qui chassaient les humains pour le sport, aujourd'hui quasiment éteinte. Leurs parents...