Chp 21 - Lalaith : le vieux de 5000 ans

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「Ne me rejette pas. Donne-moi l'occasion d'apprendre à te connaître.」

Je reste interdite devant le message qui s'affiche dans ma boîte. Ialiel. Il a m'a contacté via un nouveau compte...

「Laisse tomber. Et arrête de me harceler. Je ne veux pas te connaître.」

Sa réponse fuse une minute après.

「Moi, je le veux. Quel âge as-tu ?」

Je me prends au jeu. Et je lui réponds :

「Ça dépend où on se place. En temps relatif, temps solarien, temps ældien...」

「Temps ældien.」

Tiens...ça va le calmer direct, ça.

「Je suis une hënnelleth de moins de douze cycles. Et toi ?」

Cette fois, il met du temps pour me répondre.

「Âge humain ou âge ældien ?」

「Âge humain.」

「J'ai 4556 ans.」

Un sourire vainqueur crépite sur mon visage.

「T'es un vieux. Adieu, Ialiel. N'essaie plus de me contacter.」

Je me lève et descend au salon. Lathelennil discute avec mère et Premier-Père autour d'un apéritif, la télé en sourdine sur CosmoNews. Je passe à côté d'eux et pique une tartelette sur une plaque sortie du four.

— ... Oui, je repars explorer cette zone. Avec de nouveaux chasseurs. Je vais prospecter parmi les gladiateurs professionnels d'Ymmaril... y en a de très capables, explique Second-Père à Premier-Père.

— De quoi vous parlez ?

Lathelennil passe son bras autour de ma taille, me tirant contre lui. Je me retrouve sur ses genoux.

— De la prochaine expédition que je vais monter dans les mondes recrachés par le trou noir de Sibalba. Tu veux venir avec moi, ma puce ?

Je secoue la tête, tout en croquant une nouvelle pincée de gâteaux. Second-Père passe la majeure partie de son temps dans l'espace, avec sa flotte.

— Tu vas faire quoi là-bas ?

— Ramener des cristaux.

— Pour les revendre à Ymmaril ?

Lathelennil relève ses yeux noirs sur Second-Père, qui nous écoute attentivement.

— Pour les ramener à Silivren, afin qu'il les vide des âmes qu'ils contiennent dans la bibliothèque secrète de la Cour Exilée, et que ces braves gens puissent se réincarner quand il y aura plus d'ældiens... murmure-t-il avec un sourire en coin. Il va nous falloir plus d'enfants, ma belle. On compte sur vous, la nouvelle génération. Tu t'es trouvé un petit ami ?

— Non. Et si c'était le cas, je ne t'en parlerais pas.

— Pourquoi pas Cyann Niśven ? C'est le plus beau mâle de sa génération.

— C'est mon cousin. Inutile de me le présenter comme « Cyann Niśven, cet illustre inconnu » : je sais parfaitement qui c'est, parce qu'on se parle toutes les semaines.

Lathelennil me regarde d'un air pensif, et pose sa tête sur mon épaule. Je le chasse en lui tirant l'oreille.

— T'as eu des nouvelles de lui, dernièrement ? Ses parents s'inquiètent de l'avoir laissé tout seul sur le Mebd.

Ma mère fronce les sourcils.

— Sa mère ne l'a pas ramené avec elle à Ymmaril ?

— Apparemment, il n'a pas voulu y aller. Il voulait attendre l'arrivée de son cousin Caël.

Maman soupire, excédée.

— Tout de même... laisser un enfant qui est régulièrement l'objet de tentatives d'assassinat sans protection !

Elle a toujours eu un faible pour Cyann, depuis qu'elle s'est occupée de lui alors qu'il était tout petit, et séparé de ses parents. De toute façon, tout le monde craque sur mon cousin, le « plus beau mâle de sa génération » (je trouve pas, mais bon). Il est très charmeur, et manipulateur, comme tous les mâles Niśven.

— Edegil le protège, répond Lathelennil en avalant une tartelette.

— Edegil n'est pas un guerrier, coupe Premier-Père. Et il est vrai que ce jeune est une cible.

— Tamyan pense que passer ses premières fièvres tout seul dans une Cour hostile va l'endurcir.

— Tamyan pense ci, Tamyan pense ça... ! s'énerve maman. Est-ce que quelqu'un s'inquiète de ce que pense et ressent ce gamin ?

Premier-Père enroule son panache sur le dos de ma mère en un geste apaisant.

— Tamyan est l'ard-æl suprême, le roi des ældiens et le commandant de nos armées, lui rappelle-t-il. Il est normal qu'il décide pour son fils, son héritier.

— Désolée, mais Tamyan ne vaut pas mieux que son prédécesseur, grogne ma mère. Il ne s'occupe pas de son fils...

— Tamyan est un dirigeant visionnaire qui a sauvé notre peuple en réunifiant les Cours restantes, tempère Premier-Père. Ne sois pas trop sévère dans ton jugement.

— Il est comme les autres dorśari : cruel, tyrannique, calculateur. Et macho.

— Macho ?

— Il force sa femme à se dissimuler sous un voile noir, tout en l'exhibant à moitié nue pendant les fêtes, en essayant de faire saliver tous ses vassaux...

— C'est la coutume, coupe Lathelennil. La Haute Reine et le Haut Roi ne peuvent montrer leurs visages à la piétaille, sauf lors des fêtes importantes, lorsqu'ils accomplissent le Rite du Renouveau.

— C'est archaïque et barbare, comme coutume, grogne ma mère en se levant.

Elle attrape le plateau de tartelettes vides et retourne dans la cuisine.

Je remonte dans ma chambre. Je me reconnecte sur NoveRep, curieuse de voir si Ialiel a osé me renvoyer un message. Je n'ai pas bloqué son nouveau compte. Ce vieil ældien m'amuse. Je vais peut-être continuer à discuter un peu avec lui, sans me mouiller : ça n'engage à rien.

Mais il ne m'a rien envoyé. J'ai dû le vexer. Un peu déçue, je me mets au lit, avec un bon bouquin. Je ne lis que de la romance, des histoires où les hommes sont passionnés, tellement fous de leur meuf qu'ils sont prêts à brûler l'univers pour ça. Un monde bien différent de mon quotidien banal et sans surprise d'ado semi-ældienne, où les seuls mâles qui me parlent sont des ancêtres de 5000 ans. Je finis par poser le livre et m'endormir, prête à rêver de princes charmants dévoués à ma cause, qui sauraient percer ma carapace de timidité. Mais il faudrait d'abord qu'ils viennent sonner à porte, et ça, c'est pas gagné.

Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant