Chp 14 - Cyann : le poison

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Je suis rapide, et je connais les recoins de cette ville comme ma poche. Ce qui n'est pas le cas de Rizhen. D'autant plus que le portail doit être scellé cette nuit afin d'empêcher toute intrusion de mâle de la Cour d'Ombre pendant cette période critique qui conjugue absence des aios du Mebd et chaleurs des femelles, et que lui-même ne sera pas autorisé par Edegil à séjourner. Il me suffit d'attendre, bien planqué.

— Cyann ! l'entends-je me hurler en dorśari. Ne fais pas l'idiot ! Tu dois passer tes premières fièvres à Ymmaril. Je te promets que ton père ne te forcera à rien. Tu pourras avoir toutes les femelles que tu veux, et Lathelennil s'est rétracté ! Tu n'auras pas à t'unir avec ta cousine.

Encore heureux ! Mais je ne peux pas faire entièrement confiance à Rizhen. Il me connait bien. Contrairement à mon père, il a tout de suite deviné ce qui me tracassait.

Sauf qu'il a oublié une donnée importante. Mon sang humain. Je n'aurais pas mes fièvres, en tout cas, pas tout de suite. Si c'était le cas, j'aurais déjà dû le sentir, et surtout... j'aurais changé d'apparence. C'est bien connu : les mâles prennent une bonne vingtaine de centimètres la veille de leurs fièvres, et leurs crocs, leurs griffes et leur crinière pousse subitement. Mais rien de tout ça ne m'est arrivé. J'ai passé le test, échappé à l'infâmie. C'est mon père qui refuse de tenir sa parole !

Finalement, Rizhen abandonne et arrête de m'invectiver, disant qu'il regrette de devoir rentrer à Dorsa sans moi. Je pense qu'il fait semblant, comme tout à l'heure, alors j'attends encore une heure. Malheureusement, je n'ai pas vue sur le portail, de là où je suis – un petite tourelle d'agrément dont le pavillon sommital est évidé, permettant de se cacher (une bonne planque, que je pratique à l'occasion). Mais je ne tarde pas à voir la première épée de mon père passer au loin sur le parvis du palais, rabattant son masque de chasse sur son beau visage franc après avoir jeté un dernier coup d'œil aux alentours. Il se drape de son shynawil, et disparait dans un scintillement. Encore une heure d'attente, car je sais que Rizhen s'est mis en planque quelque part, comme moi. Je connais leurs méthodes. Une longue soirée s'annonce... ce sera à celui qui a le plus de volonté.

La nuit est désormais bien installée. Je commence à avoir mal aux jambes, et au ventre. J'ai faim. La salade et les graines d'Aloïsha ne m'ont pas suffi.

Faut que je mange un truc.

Et soudain, le fumet d'une viande bien grillée vient me titiller les narines. Sûrement des femelles qui profitent de la situation particulière pour contrevenir aux « lois de Mebd »... On peut acheter de la viande à cette Cour, au marché noir des sluagh, qui se laisse trouver pour celui qui le cherche. C'est pourquoi je ne me suis pas méfié du vendeur d'ayesh la dernière fois. Tout s'achète, même ici.

Bon. Rizhen a dû rentrer. Je descends prudemment de mon perchoir, me cache derrière une colonne. Je vais aller faire un tour au marché noir.

— Cyann.

Je me fige. Rizhen est tout près. Je ne sais pas dans quelle direction fuir. Et d'ailleurs, sa haute silhouette apparait, pile devant moi. Si je bouge, il sera sur moi.

— Que... comment t'as fait ?

Il agite une fiole entre ses doigts gantés d'iridium. L'agréable odeur de viande braisée vient à nouveau effleurer mes narines.

Un appât. Je me suis fait avoir par un appât.

— Ne sous-estimes les techniques de chasse d'un enfant de la Cité Noire ! me tance-t-il.

Je me raidis, le menton rentré comme un carcadann rétif.

— Je veux pas y aller. Tu devras me traîner comme un vieux paquet, et humilier mon père en montrant à tous à quel point son fils unique est pathétique.

Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant