Pauvre Cyann. Un choc pour lui de découvrir que son père voulait l'apparier avec moi... faut dire que c'est particulièrement dégueulasse. Moi, je ne m'en formalise pas, car je suis habituée aux histoires sordides de Second-Père. Cyann, lui, même s'il vit la moitié de l'année à Ymmaril, mène une vie relativement préservée. C'est un petit prince élevé comme un joyau précieux, couvé par ses parents, respectivement roi et reine du peuple ældien. Il a un peu l'habitude que tout le monde soit à son service, et se choque facilement lorsqu'il découvre qu'on prend des décisions à sa place.
J'ai d'autres soucis que les embrouilles de la famille de Second-Père. Je dois avouer qu'être rejetée ainsi par Teshastories, que je pensais mon amie en dépit de sa grande célébrité chez les humains, m'a fait plus de mal que je ne l'aurais cru. On dit que les perædhil – surtout les jeunes – sont très sensibles, et qu'ils peuvent avoir le cœur brisé pour rien du tout. Je ne pense pas être atteinte de muil pour autant, mais à chaque fois que j'y pense, ça me fait si mal à la poitrine que je suis obligée de m'asseoir une seconde. Et j'ai perdu l'appétit. Je ne mangeais pas beaucoup avant, déjà – comparé à Sheol et surtout Shelwë, qui ne fait que s'empiffrer à longueur de journée – mais maintenant, je n'ai plus envie de rien.
Je voulais juste aider. Sauver une pauvre fille de l'esclavage chez les Sombres Cousins. Sauf que, visiblement, elle apprécie cette situation.
C'est alors que j'ai l'illumination. Le luith. Cette fille est victime de luith. Forte de cet éclair de compréhension, je me précipite dans la chambre de Shelwë.
Elle relève la tête en me voyant et fait mine de me montrer les crocs.
— Eh, tu pouvais pas frapper ?
— C'est important, Shel.
— Ça ne t'empêche pas de frapper. J'aurais pu être en train de faire des choses privées !
Je le regarde avec une moue blasée. Une expression typiquement humaine, que j'ai apprise en copiant Yamfa, la meilleure amie de Caël.
— Je suis venue pour parler de Teshastories, lui dis-je pour capter à nouveau son attention. Je pense qu'elle est victime de luith.
— De luith ?
— Oui. Elle doit être sous l'emprise du dorśari qui l'a capturée ou achetée. Du coup, elle s'imagine qu'elle apprécie la situation, et refuse la main qu'on lui tend pour la sortir de cette enfer.
Ma sœur me regarde, le regard aigu. Je constate que j'ai toute son attention.
— C'est encore plus horrible que je ne le pensais... qu'est-ce qu'on peut faire, d'après toi ?
Je soupire et m'assieds sur le lit.
— Je ne sais pas trop. Elle m'a bloqué, ce qui veut dire que je n'ai plus accès à son profil... Je ne peux même pas continuer à lire son histoire.
— On peut demander à Lathé de bidouiller quelque chose, propose Shel. Tu sais qu'il est très fort, pour craquer les codes de la Crypterium. Je doute qu'un petit réseau social comme NoveRep lui résiste !
— Je ne veux pas lui en parler. C'est un dorśari, tu te rappelles ? Il trouvera ce qu'écrit Teshastories très bien, et si ses réactions face aux humiliations et aux mauvais traitements lui plaisent, il proposera de la racheter.
Je me fige. La voilà, la solution ! Demander à Lathelennil de se créer un compte sur NovaRep pour entrer en contact avec Teshastories. Il écrit, en plus !
Malheureusement, cette fois, ma sœur n'a plus l'air de partager mon avis.
— Mais Oncle Lathé a juré à maman qu'il n'aurait plus jamais d'esclave humaine, maugrée Caël, ennuyé. Ce serait moche de notre part de le tenter !
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Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)
Science FictionKael, Cyann et Lalaith, trois cousins de la même génération, cachent un lourd secret. Ils sont « perædhil » : à moitié ældiens, cette terrible race de prédateurs qui chassaient les humains pour le sport, aujourd'hui quasiment éteinte. Leurs parents...