Chp 13 - Kael : la brute et la sibylle

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Ce fut moins facile pour les deux autres postes. Ils eurent beau rester plusieurs heures attablés au Phare et la Sirène, aucun autre volontaire ne se présenta. Ils quittèrent donc le bar et s'enfoncèrent plus loin dans l'astroport.

— Où est le vaisseau ? s'enquit Indis en remarquant que les trois compères s'enfonçaient dans le quartier louche.

— Il est amarré au dock F, lui répondit Kael. Mais on a besoin de recruter encore deux personnes avant d'y aller.

La jeune femme hocha la tête. En passant devant une enseigne dont le commerce était explicite – de la chair fraîche, cent pour cent organique, qu'elle soit clonée ou « d'origine » – Indis fut prise à partie par un homme aux cheveux longs, noués en catogan, arborant implants de barbe et tatouages de gang spatial.

— Eh la blonde ! l'interpella-t-il avec un sourire vulgaire. Tes cheveux, c'est naturel ? Tu ferais une belle biopute !

La jeune femme se retourna, soudain agressive.

— De quel droit tu me parles comme ça, connard ?

Sa sortie figea le groupe, peu habitué à ce genre d'échange. Sur Pangu, les fermes étaient éloignées les unes des autres de plusieurs dizaines de kilomètres parfois, et la communauté des exploitants agricoles, peu nombreuse, se croisait régulièrement au marché. Impossible de s'insulter ainsi, alors que tout le monde se connaissait.

— Si tu me parles pas mieux, je t'en colle une, répliqua le type au catogan, menaçant. Les filles me respectent, ici. Suce-moi la queue et on parle plus !

Choqués, Keita et Yamfa regardèrent leur capitaine. Jamais ils n'avaient été confrontés à une telle situation. Pour Kael, c'était pareil : tous ceux qu'il avait côtoyés, que ce soit sa famille ou ses voisins, traitaient les femmes avec respect.

Kael se sentit obligé d'intervenir : non seulement il était mâle, et donc le protecteur désigné des femelles du groupe, mais surtout, il se prétendait capitaine.

Holà compadre, dit-il en utilisant une expression solarienne qui lui semblait cool. Laisse mon employée tranquille. On ne fait que passer, on ne veut pas d'ennuis !

Mais l'homme lui jeta un regard torve.

— Pas d'ennuis, et tu viens mettre ta putain sur mon trottoir ?

Indis rugit, et sans crier gare, elle se rua sur le type, genou armé et enfoncé droit dans ses parties. L'altercation dégénéra très vite. Kael s'en mêla, le sang agité par le bouillonnement qu'il sentait monter chez Indis comme chez l'homme qui l'avait agressée verbalement. C'était plus fort que lui : n'y étant plus obligé par son père, il n'avait pas médité une seule fois depuis son départ de la maison. La colère de la jeune femme émanait d'elle comme d'une vague, venant lui chauffer la peau et les veines. Son cœur s'accéléra, et il se jeta sur le type.

Ses deux amis, effarés, essayèrent de retenir leur capitaine et la nouvelle navigatrice. Dans l'histoire, tout le monde prit des coups. Et contrairement à eux, le maquereau n'en était pas à sa première bagarre. C'était un voyou patenté, un rejet des bas-fonds d'astroports. Une lame en titanium cranté brilla, le sang perla, mais pris par la transe du combat, Kael ne sentit rien du tout. Ce ne fut qu'en entendant le glapissement inquiet de ses amis qu'il réalisa qu'il s'était pris un coup de couteau.

— T'as compris, le joli cœur ? Maintenant, donnez-moi vos convertisseurs de devises, et en vitesse !

Une voix posée, mais contenant une nuance de menace, sortit alors des ténèbres.

— Laisse-les tranquilles.

Un grand gars, du type grosse brute, apparut dans l'encadrement de la porte du bordel. Visiblement, c'était le videur, le type qui était chargé de la sécurité de ce bouge. Son crâne était rasé, et il avait l'air jeune – à peine plus âgé qu'eux, en fait - mais quelque chose, dans son regard et sa carrure, dissuadait de contre-argumenter.

Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant