Chp 17 - Cyann : choisi

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L'enfer, vous connaissez ? C'est ce que j'ai vécu cette nuit. Si ce sadique de médecin ne m'avait pas attaché, je me serais jeté contre la porte, ou tapé la tête contre les murs. Mais au plus fort de la nuit, quand vraiment j'ai cru que je partais vers un autre monde de souffrances infinies, trois solides ældiens sont venus pour me maintenir dans mon lit de douleurs et me lier chevilles et poignets. On m'a même donné un truc à mordre, et jeté de l'eau glacée à intervalles réguliers. Bien évidemment, la tisane de fleurs d'oubli, ce pipi de faux-singe, ne faisait pas effet. Je leur ai hurlé d'aller me chercher mes pilules – ce qu'ils n'ont pas fait -, les ai menacés des pires représailles. Je les ai insultés de tous les noms, dans toutes les langues... puis, au petit matin, je me suis endormi, épuisé, la voix éteinte, après avoir crié comme un dément. J'ai fait toute une série de rêves bizarres, que je préfère oublier, puis je me suis éveillé en fin de journée, le ventre criant famine.

— J'ai faim ! hurlé-je. Et soif ! Y a quelqu'un ? Hé oh ! Vous allez me laisser mourir d'inanition, après m'avoir kidnappé ?

Des pas dans le couloir. Les verrous cliquètent, et la porte s'ouvre en grinçant. Ils ne prennent pas la peine d'huiler les gonds de leurs cellules de torture, sûrement pour pouvoir entendre quiconque tenterait de s'échapper.

— C'est pas trop tôt, grogné-je en voyant un ældien émacié en toge blanche entrer avec un plateau, l'air suffisant. J'espère que ce n'est pas encore votre pain ylfique dégueu et trois feuilles de salade, parce qu'il va me falloir plus que ça après la nuit que je viens de passer : je pourrais dévorer un zubron entier... hé, qu'est-ce que vous faites ?

Le jeune en toge vient de faire tomber ma bouffe. Le ragoût – encore des légumes bouillis – s'étale par terre, sous mes yeux affamés.

— Je plaisantais, je suis prêt à manger n'importe quoi... ! gémis-je, au désespoir.

— Ard-hendal ! Venez vite !

Le docteur en chef. Celui qui m'a fait enfermer là... Il arrive sans se presser, un pli sur le front, ses longs cheveux gris et lisses noués en arrière dans une demi-queue sévère. De toute évidence, sa salade n'était pas bonne à midi, vu la tête qu'il fait.

— Par la lune et les étoiles ! siffle-t-il en me voyant.

— Quelle est cette sorcellerie, ard-hendal ? l'interroge le jeune en me regardant.

Je fronce les sourcils.

— Hé ! Est-ce que je peux partir, maintenant ? Donnez-moi à manger, sinon !

Le grand alchimiste traverse ma cellule à grands pas. Il m'arrache ma couverture toute raide de sueur, observe mes vêtements en lambeaux.

Ma belle tunique en velours gris perle. Je me suis acharné dessus cette nuit, d'ailleurs j'ai des traces de morsures et de griffures partout... comment je me suis fait ça ?

C'est là que je les vois. Mes griffes. Des dagues de verre translucide de cinq centimètres.

Elles ont poussé pendant la nuit.

Comme ce... cette fourrure noire sur mon panache, et entre mes jambes.

— Ah ! Mais qu'est-ce que c'est ! hurlé-je en essayant de me lever.

Les chaines me retiennent. Le médecin demande la clé à mon géôlier, et les détache.

— La mue du hënnel, annonce-t-il, plus spectaculaire encore chez les perædhil. Va te laver, jeune perædhel. Lennalon va te conduire. Ton repas te sera amené après.

Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant