Caëlurín occupe la meilleure chambre de la maison. Quand les parents se sont installés à Pangu, maman n'avait pas encore donné naissance à sa dernière portée. Caël s'est donc approprié l'une des meilleures pièces que Premier-Père avait configurée, tout naturellement. Elle se trouve dans l'aile ouest, celle qui fait face à la direction de Tyrn-an-naggh, et au coucher du soleil qui, sur Pangu, est orienté du même côté que sur Ælda et Terra. Située sur une branche qui se trouve à quatre mètres et demi du sol, elle bénéficie d'une certaine intimité. Ses parois se rejoignent à quatre mètres en hauteur et elles sont pour moitié transparentes, ce qui permet à Caël d'avoir une vue imprenable sur les arbres de la forêt alentour. En ce moment, puisque c'est la saison pendant laquelle les feuilles rougissent et tourbillonnent, la vue est de toute beauté. Mais tout cela est gâché par les immondes images en 2D de machines spatiales que Caël a collé sur les vitres en verre délicat. La pièce est étroite et petite, ce qui lui confère un côté douillet, renforcé par le tapis épais et moelleux qui recouvre un plancher pas très net, car Caël fait rarement le ménage. Son lit est posé contre la paroi du fond, triangulaire, occupée par des étagères où trônent quelques rares livres. Mon frère ne lit presque pas. Mais il écoute beaucoup de musique, comme les parents. Faute d'avoir un véritable khangg ældien, bien protégé entre les lianes et les branches, Caël possède une couchette peu confortable. C'est lui qui a insisté pour avoir un mobilier de cabine spatiale, comme les humains. Cependant, on lui a collé une plante en pot derrière, pour que ça ait l'air d'un vrai lit. Il est constamment défait, encombré de bricoles, de paquets de rations militaires et de pièces de mécanique – le tout enfoui dans des draps à l'aspect défraîchi et couverts de poils blancs, car Caël, dont le panache est particulièrement impressionnant, fait sa mue chaque automne. Je crois que mon frère veut se donner un air un peu baroudeur, genre naute au long cours. Tout ça à cause des histoires dont Second-Père l'abreuve depuis qu'il est hënnel. Et charmeur, aussi, affichant cet air innocent qu'il sait prompt à conquérir son monde. Beaucoup d'idiots y ont succombé, y compris des profs, à l'école humaine. Toutes les filles étaient amoureuses de lui. Mais moi, je ne mange pas de ce pain-là.
Il dort peu dans sa chambre. La plupart du temps, il squatte chez ses amis et occupe leur lit, à la grande honte de Premier-Père. Caëlurín est tout à fait sans gêne. Il rentre chez les gens sans y avoir été invité et se sert de dwols d'illusion pour se faire accepter. Il a toujours fait ça, depuis qu'il est tout petit. Le nombre de fois où les parents ont dû aller le chercher chez des inconnus !
Maintenant, cette chambre est vide. Je vais peut-être m'y installer. Qui part à la chasse, perd sa place. Il faudra que je vire toutes ses affaires dégueu avant.
*
— Qu'est-ce que tu fais ?
C'est ma sœur Shelwë. Conquérante, elle entre dans ma chambre comme si elle était chez elle. Chambre dont elle héritera si je prends celle de notre frère.
— Je suis occupée, Shel. Ma porte était fermée, tu ne l'as pas remarqué ?
Ma sœur (de père différent) hausse les sourcils. Elle s'en fout.
— Tu fais quoi ? répète-t-elle.
Lourdingue comme jamais, Shelwë s'approche de la petite table qui me sert de bureau et s'assoit dessus. Elle se penche sur ma tablette holo, jette un œil sur le lutrin que j'ai reçu pour mon anniversaire et la plume à graver qui l'accompagne.
— J'écris un livre, lui apprends-je d'un ton docte.
Son air ahuri manque de me faire pouffer.
— Un livre ? Mais pourquoi faire ?
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Ama no kawa (Les voyageurs de la Trame I)
Science FictionKael, Cyann et Lalaith, trois cousins de la même génération, cachent un lourd secret. Ils sont « perædhil » : à moitié ældiens, cette terrible race de prédateurs qui chassaient les humains pour le sport, aujourd'hui quasiment éteinte. Leurs parents...