Entre Ombre et Couronne

Chapitre 70

À peine avions-nous franchi les grandes portes du château que le prince s'arrêta brusquement. Sans un regard pour moi, il s'adressa d'un ton sec à l'un des gardes postés près de l'entrée :

« Raccompagnez-la jusqu'à la dépendance. »

Le garde s'inclina et m'invita à le suivre d'un geste.

Je restai un instant immobile, le cœur battant. J'aurais voulu parler, dire quelque chose, ne serait-ce que murmurer son nom. Mais son dos rigide, son silence glacial, tout en lui criait qu'il ne voulait pas m'entendre.

Les questions se bousculaient dans mon esprit, tourbillonnaient à m'en donner le vertige. Que s'était-il réellement passé entre lui et Alexandre ? Pourquoi ce dernier avait-il parlé comme si je représentais un danger ? Avait-il deviné le danger que je pouvais représenter ? Et surtout... pourquoi le prince avait-il réagi ainsi ?

Je n'obtins aucune réponse.

Je suivis le garde en silence, mes pas résonnant faiblement sur les dalles du couloir. L'air me semblait plus lourd que jamais, comme si l'atmosphère même du château avait changé.

Lorsque je rejoignis ma chambre, je refermai doucement la porte derrière moi et m'appuyai contre le bois froid. Le calme de la pièce contrastait violemment avec la tempête qui grondait en moi.

Je restai appuyée contre la porte, les yeux fixés sur le sol, tentant d'apaiser le chaos dans mon esprit. Mais les battements affolés de mon cœur refusaient de ralentir. Tout s'était enchaîné trop vite.

Je revoyais encore Alexandre, sa rage contenue, son regard brûlant d'une haine que je ne lui connaissais pas. Le prince, lui, n'avait rien expliqué. Il m'avait juste ordonné de le suivre, m'arrachant à cette scène sans un mot.

Un soupir tremblant m'échappa alors que je me laissais glisser contre la porte, ramenant mes jambes contre moi. Mon corps me semblait étranger, comme s'il flottait dans un espace où je n'avais plus de contrôle.

Qu'est-ce qui venait de se passer ?

Certes, je n'avais jamais voulu que le prince me choisisse, mais jusqu'à aujourd'hui, tout cela ne me concernait qu'en surface. J'avais accepté d'être là, jouant mon rôle sans trop me poser de questions.

Mais désormais...

Désormais, il y avait Alexandre.

Ses paroles résonnaient encore en moi :

« Tu veux tout sacrifier pour une simple fille, Ivan ? »

Une simple fille.

Que signifiaient ces mots ?

Pourquoi parlait-il comme si ma présence ici changeait tout ? Comme si ma seule existence pouvait provoquer un déséquilibre ?

Et surtout... pourquoi le prince n'avait-il rien démenti ?

Je serrai les bras autour de mes jambes, une boule d'angoisse se formant dans mon ventre.

J'avais cru qu'Alexandre était mon allié. Quoi qu'il soit réellement, quoi qu'il cache sous ses airs désinvoltes, j'avais pensé qu'il était quelqu'un sur qui je pouvais compter.

Mais ce regard...

Ce regard chargé de haine...

J'en frissonnai encore.

Les voix en bas me ramenèrent doucement à la réalité. Elles étaient lointaines, à peine audibles, mais suffisantes pour me rappeler que je ne pouvais pas rester ici indéfiniment, enfermée dans mes pensées.