Quatre heures de cours, une demi heure pour manger, et cinq nouvelles heures à assumer : mes horaires de fac étaient incommensurablement pires que ceux que j'avais eu au lycée. Heureusement que les cours étaient plus intéressants, et qu'il n'y avaient plus de maths, car j'aurais abandonné et aurait été travailler dans le même café que Léo – même s'il prétendait qu'il fallait beaucoup de talent pour faire ses cafés, j'étais certaine d'être capable de produire de très bons capuccinos.
Je profitais des cinq minutes de pause (qu'un étudiant avait réussi à nous octroyer alors qu'un de nos professeurs était parti pour que son cours magistral de trois heures en durent cinq) pour fumer une cigarette, tout en buvant une café que j'avais acheté à la machine à café – beurk, beurk, beurk ! tout en parlant avec Caroline et Betty, mes copines d'études...
Dans quelques années, quand nous serions diplômées, elles seraient prête à s'arracher mutuellement les entrailles avec les dents, pour le simple plaisir d'obtenir un stage non rémunéré à la RAC ; mais pour l'instant nous nous amusions beaucoup lors des intercours, sortions souvent en boîte, et faisions du shopping toutes ensembles dès qu'on le pouvait. Elles rendaient mes journées moins dures quand je pensais ne jamais m'en sortir.
Soudain, j'aperçus une femme, de taille moyenne aux cheveux châtains, que j'étais certaine de n'avoir jamais vue nul part à la Sorbonne, ni pendant le reste de ma vie d'ailleurs. Elle vint se planter devant moi, et me fit une bise de provinciale, bruyante et appuyée sur chaque joue ; j'étudiai donc sa tenue, elle arborait une robe minuscule et ultra moulante, comme si elle allait en boîte de nuit, et des chaussures à talons de dix centimètres de piètre qualité ; d'ailleurs, elle grimaçait de douleur à chaque nouveau pas qu'elle effectuait.
Je grimaçai ; qui était cette folle? Était-elle là la veille lors de tous les moments que j'avais oubliés ? Impossible. Même complètement bourrée, je ne devenais pas amie avec des filles aussi vulgaires... Ou alors, peut-être que j'étais juste de mauvaise humeur, que je la jugeais trop sévèrement ; c'était possible, après tout : ma dernière nuit de sommeil me semblait remonter à des millions d'années.
Elle était toujours plantée devant moi, comme si elle s'attendait à ce que je prenne de ses nouvelles, ou m'élance dans une grande démonstration d'amitié... Impossible. J'allais plutôt lui demander qui elle était, lorsqu'elle me tendit une nouvelle feuille de papier. Était-elle une disciple de ma sœur ? Était-elle ma sœur, les cheveux teints, et déguisée ? Je plantai mes yeux dans les siens, marrons comme du caca de cheval.
Rien à voir avec le regard Anderson, vert jade et rehaussé de paillettes d'or. Ce n'était même pas une pâle copie. En réalisant toute la haine que m'inspirait cette inconnue, j'effectuai un rapide calcul mental : je n'avais pas dormi une minute en 32 heures. J'étais littéralement sur le point de mourir de fatigue, ma rancœur contre cette fille n'avait rien de personnel. Alors elle me tendit un joli papier, et je devinai, à la grâce de son mouvement, qu'elle n'était pas la party-girl négligée qu'elle prétendait être :
- C'est de la part de Jean.
- Je ne...
J'allais m'énerver et dire que je ne connaissais pas de Jean, quand l'un des seuls conseils compréhensibles que m'avait donné ma sœur me revint à la mémoire: « Prêche le faux pour savoir le vrai. ».. J'avais utilisé cette technique sur la boulangère la veille, et si j'étais trop fatiguée pour réfléchir correctement, je n'avais plus grand chose à perdre. Et j'étais, étrangement, tout à fait certaine que cette fille avait des choses intéressantes à m'apprendre.
Je fis donc attention à ce que Caroline et Betty ne me regardent pas, et dépliai minutieusement mon papier, alors que l'inconnue me regardait, un demi-sourire énigmatique accroché aux lèvres. Elle jouait définitivement un rôle.
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April By Night
ChickLit« Je veux vous dire comment il est possible que nous ayons été si semblables et que nous soyons aujourd’hui ennemis, comment j’aurais pu être à vos côtés et pourquoi maintenant tout est fini entre nous. » Albert Camus De nombreuses années après la d...