Chapitre 5 : « Une situation banale peut parfois devenir incontrôlable »

1.9K 156 10
                                    

Je me levai, effleurant malencontreusement la douce étoffe de ma robe. Comme je l'avais prédit, ils m'avaient trouvé les vêtements parfaits pour l'enterrement, et me les avaient fait enfiler dès que j'avais mis un pied dans l'avion – peut-être même avant. La présence de Clément avait bien embêté l'équipe de préparation qu'on m'avait infligée, et cela avait fait naître un sourire malsain sur mon visage. Rien n'était de leur faute, mais je voyais dans leurs yeux qu'ils auraient donné bien plus que leur pinceau préféré pour être moi l'espace d'une journée, et cela me fit l'effet d'une décharge électrique. Ils étaient niais, stupides et superficiels. Alors j'avais joué leur jeu, et avait laissé la place à Cassie, sous le regard réprobateur de Clément... Ce dernier, à la sortie de l'avion, portait un costard cravate parfaitement ajusté,et c'était un vrai miracle. En guise de chaussures, ils avaient voulu me donner de très jolis escarpins en velours, dont le talon était décoré d'or, et je les avaient envoyé balader si méchamment qu'ils étaient revenus en rampant, accompagnés de la paire d'escarpin la plus simple que j'aie jamais vue. Parfaite pour la situation. Je décidai de mettre ma montre, et je ne vis que de la réprobation sur leurs visages. J'aurais aimé qu'ils aillent se faire voir.

Enfin, l'enterrement avait commencé, et j'avais suivi toutes leurs procession, jusqu'à cette chapelle filmée. James m'avait donné un discours, m'avait ordonné de le respecter, et j'avais vu dans les yeux de Clément toute sa répugnance... Cela me fit l'effet d'une gifle. Il avait raison ! Bien sûr qu'il avait raison ; me dis-je alors que je me dirigeai vers le micro ; derrière lequel Emma, la seconde femme de mon grand-père, mon père, ses trois frères, mes quatre cousines et mes deux cousins avaient parfaitement lu le discours qu'on leur avait donné. J'étais la dernière à passer, et la seule à être révoltée par cela. Je pris place derrière le pupitre, commençai à lire les premières lignes d'une voix atone, mais, subitement, je me trouvai incapable de continuer.

Je m'arrêtai au milieu d'une phrase, et cherchai le soutien dans le regard de quelqu'un... Mes parents me regardaient d'un air désapprobateur, aussi tentai-je du côté des trois brunes : les yeux de Sky m'avaient toujours fait peur – ils avaient toujours un air méchant, Jane envoyait un SMS avec son iPhone, et Sam avait l'air horriblement gênée ; tout ce qu'elle semblait souhaiter, c'était partir. Les deux blonds, Clara et George semblaient s'ennuyer à mourir, et Lucas avait toujours tenu à m'éviter depuis qu'il s'était disputé avec Elinor. Sauf que, pour la première fois, il me regardait avec une lueur de peur dans les yeux. Évidemment. Il était le fils de James, et ce dernier avait dû travailler d'arrache-pied pour que cette cérémonie soit parfaite. Et pourtant, j'étais sur le point de gâcher son magnifique travail en étant irrespectueuse envers la cérémonie. Je sentis un boule de rage naître dans mon ventre : pourquoi ma famille était-elle incapable de se rendre compte qu'elle avait perdu un membre, un membre juste, généreux, entier, bon ? Bien sûr qu'il avait ses défauts. Mais il ne méritait pas une cérémonie à laquelle tous ses enfants et petits-enfants venaient lire un discours qu'un inconnu avait écrit pour eux. Il méritait que quelqu'un se lève et prenne la parole pour lui, pour lui faire des adieux personnels.

Alors je pris mes feuilles dans mes mains, et les déchirai devant les caméras... Je pris une grande inspiration, et improvisai un discours en français, la langue préférée de mon grand-père, celle qu'il avait passé des étés entiers à m'apprendre :

« Ils m'ont donné un discours. Ils m'ont donné un discours, putain !Comme si j'étais une assistée, que pour ne pas provoquer d'émeute,pour ne pas apporter la honte sur toute la famille, il fallait que chacun des mots qui sortent de ma bouche soient créés par un – ou une – autre. C'est peut-être vrai, je ne sais pas ; quoi qu'il en soit, il me semble qu'aujourd'hui, pour une fois, ce n'est pas pour les médias, pas pour notre image, pas pour faire bien qu'on est là. Nous sommes tous ici, dans la villa des Hamptons dans laquelle nous avons passé la plupart de nos étés depuis notre naissance, Jane, Sky, Sam, George, Lucas, Clara... Elinor... Et moi...

April By NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant