Après avoir fait en sorte que je reprenne mon propre visage, Annabelle insista pour me faire passer à travers le jardin une nouvelle fois, puis par la fente entre les immeubles et, enfin, pour me reconduire jusqu'à l'appartement. Comme si j'avais besoin d'une assistante pour retrouver mon chemin. Dans la voiture aux vitres teintées, elle me fit retirer ma perruque et mes lentilles, enlever le maquillage qu'elle m'avait appliqué, et changer de chaussures. Elle n'insista étrangement pas pour que je me change à nouveau, mais elle devait savoir qu'elle se heurterait à un mur si elle se risquait à cela. Je restai prostrée pendant tout le trajet jusqu'à chez moi, sans dire le moindre mot. Quelques secondes avant qu'on parvienne à mon immeuble, à un feu rouge, elle se retourna vers moi et, avec un grand sourire, me dit :
- J'ai été ravie de faire ta connaissance.
Je tournai la tête vers elle et la dévisagea avec tout le mépris dont j'étais capable. J'avais horreur des gens qui faisaient cela, mais à ce moment précis, je n'avais que cela comme envie : prendre de la hauteur par rapport à tous ces gens qui vivaient en m'espionnant.
- Pas moi, sifflai-je enfin.
Il y eut une demi seconde de flottement, puis ma chauffeuse éclata de rire en même temps qu'elle démarrait en trombe :
- Tu sais bien que je suis payée pour faire ça. En d'autres circonstances, je serais de ton côté, mais j'ai besoin de travail, et d'argent. Je suis d'accord que ta situation est flippante, mais moi, elle m'arrange. Et tu ne devrais pas en vouloir à John non plus, il était dans la merde, il ne te connaissait pas, pourquoi aurait-il refusé ?
- Il a utilisé son meilleur ami.
- Léo t'utilise pour que son groupe devienne connu. Christian vous utilise pour lancer sa marque. Tu utilises Clément pour résoudre les énigmes de ta sœur. En quoi John et moi sommes-nous pires que vous tous ?
Je refusai de répondre, car je savais, tout au fond de moi, qu'elle avait raison. Enfin, je n'avais jamais utilisé Clément de ma vie, mais le reste était vrai. Et je n'en voulais à aucun d'entre eux. Où était la différence ? A force d'en chercher, j'en trouvai une :
- La différence ? Ironisai-je comme si je pensais ce que j'allais dire ; c'est que nous ne nous cachons pas pour utiliser les autres. Nous ne plantons pas des poignards dans le dos pour les avouer plus d'un an plus tard.
Annabelle pouffa, et s'arrêta. Nous étions au pied de mon appartement, et j'avais une envie pressante de m'enfuir de la petite voiture grise, pour m'enrouler dans mes couvertures... Je choisis donc de partir de la voiture, mais Annabelle m'attrapa rapidement le bras alors que j'avais seulement ouvert la portière. J'allais la menacer d'appeler mon avocat, puisqu'elle m'avait kidnappée tout à l'heure et qu'elle utilisait désormais la force contre moi, mais ce qu'elle me dit me décontenança trop pour que je puisse faire un trait d'esprit :
- Combien de temps Clément a-t-il mis pour avouer à propos de la lettre ?
C'était une question rhétorique, qui n'appelait pas à une réponse, juste à une réflexion... Elle avait raison. Pourquoi avais-je pardonné si vite à Clément alors que je blâmais John de toutes les misères du monde ?... Je refusais cependant de penser à cela, aussi claquai-je la portière de la voiture et m'engouffrai dans le hall de mon immeuble. Je savais que mon appartement serait encore en bordel, qu'il y aurait encore une fois des milliers de gens en vrac dans les canapés, et j'avais besoin de paix. J'hésitais à aller squatter l'appartement de Clément... Mais je pris une grande inspiration, et décidai qu'il était grand temps pour moi d'arrêter de fuir, et de commencer à prendre part au jeu auquel on me pressait de jouer. C'est pourquoi je pressai le bouton de l'ascenseur qui m'emmena au dernier étage – celui des fous... Je me demandais dans quel bazar innommable j'allais le trouver, quels déchets de la veille j'allai trouver affalés sur le sol...
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April By Night
ChickLit« Je veux vous dire comment il est possible que nous ayons été si semblables et que nous soyons aujourd’hui ennemis, comment j’aurais pu être à vos côtés et pourquoi maintenant tout est fini entre nous. » Albert Camus De nombreuses années après la d...