Étions-nous un couple, un vrai, désormais ? Que se passait-il, maintenant que je savais que ce que nous ressentions quelque chose de similaire l'un pour l'autre ? J'essayais de réfléchir le moins possible - de ne pas m'inquiéter. Mais j'avais toujours eu du mal à ne pas stresser pour un rien. C'est pourquoi j'attirais mon... Mon quoi ? Vers les pistes les plus pentues, les plus bossues, les plus complexes, histoire d'avoir toujours quelque chose d'autre auquel penser ; quelque chose comme : comment faire pour survivre, là, tout de suite, maintenant ? Et plus le temps passait, plus je savais que je fatiguais, et que lui aussi. Et au ski, il y a trois choses qu'il faut éviter : la fatigue, la peur, et la perte de contrôle. Les trois mènent au même désastre : la tête dans la neige, et les skis cent mètres plus haut. Et, à ce moment précis, j'étais effrayée, perdue, et épuisée... Je savais que j'allais devoir arrêter de fuir la conversation une nouvelle fois. Que c'était mon tour de passer aux aveux.
- On doit rentrer, le prévins-je, et ma voix tremblait.
Lui ne semblait pas perturbé le moins du monde. Il était, me semblait-il, infiniment soulagé d'avoir enfin vidé son sac, il se sentait libre, et léger ; et n'avait aucune intention de rentrer maintenant. Surtout si c'était pour que je lui dise que ce n'était pas réciproque.
De plus, il venait d'apercevoir le parcours d'obstacle infernal, celui qui faisait saliver d'envie les casse-cous du monde entier. Celui qui m'effrayait au plus haut point. Il me dévisagea, et implora ma pitié.
- Allez, s'il te plaît, on va faire le parcours là-bas ? Et après on rentre en pistes vertes si tu veux.
- Tu pourras le faire demain...
- Mais c'est maintenant que j'ai envie de le faire !
Je ris, en me disant qu'il ne devait pas avoir plus de 8 ans dans sa tête, à ce moment précis. J'avais du mal à croire que c'était le même Clément que celui qui avait pris peur lorsque je l'avais forcé à faire du hors piste tout à l'heure... Mais il avait tellement l'air de mourir d'envie de se rompre le cou que j'acceptai, et l'introduisit dans la zone de torture.
Je regardai le parcours avec horreur. Il était composé d'une slalom plein de bosse, puis d'un tremplin. Si le vrai nom de ce parcours était « le parcours du combattant », les jeunes de la région l'appelaient simplement « le Mur ». Quiconque le passait avant ses 17 ans entrait dans la légende ; mais nombreux étaient ceux qui s'étaient cassés les dents sur le tremplin - parfois même avant le grand saut. La dernière fois que j'étais entrée dans la zone, j'étais accompagnée de Camille qui, du haut de ses 15 ans, aurait pu le passer les yeux fermés. Quant à moi, j'étais terrorisée, et je ne voulais pas me lancer. J'avais incité trois personnes à passer avant moi, avant de n'avoir plus d'autre choix que de partir ; et une d'entre elles avait dû être évacuée par les pisteurs. J'avais réussi, bon gré mal gré, à m'en sortir indemne, mais s'il y avait une chose que je redoutais plus que tout, c'était d'avoir à le repasser un jour. Et, au vu de l'état dans lequel j'étais à ce moment-là, il valait mieux pour tout le monde que je m'abstienne de réitérer l'expérience... Ou, plutôt, de tenter le diable. On disait souvent que passer le Mur une fois, c'était dû à la chance, et que si on le passait deux fois, on pouvait s'engager dans les Jeux Olympiques. La Rumeur disait même que certains recruteurs des équipes nationales faisaient passer le Mur à toutes leurs recrues pour savoir si elles avaient la moindre chance.
Camille avait passé le Mur trois fois.
Je m'assis dans la neige, en haut du Mur, me contentant, la boule au ventre, d'attendre que Clément ait satisfait son délire d'adolescent en mal de reconnaissance et d'aventure.
Il partit très vite, en criant sa joie. Trop vite, me dis-je aussitôt en retenant mon souffle, mais j'aurais dû lui faire plus confiance : il parvint à reprendre sa vitesse en main en un seul dérapage, et passa le slalom sans encombre, sans la moindre hésitation entre les bosses. A la fin de son parfait slalom, il se mit en position et prit son élan pour le tremplin, et je me dis que c'était certainement le plus beau parcours que j'avais vu. Mais, soudainement, il ne vit pas une bosse. Que faisait une bosse à cet endroit du Mur, bordel ?! Clément rata sa réception, sans que je sache comment c'était possible, et tomba comme une merde dans la neige. Ses deux skis s'envolèrent dans des directions opposées, mais il continua sa descente du Mur à pleine vitesse, la tête dans la neige...
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April By Night
ChickLit« Je veux vous dire comment il est possible que nous ayons été si semblables et que nous soyons aujourd’hui ennemis, comment j’aurais pu être à vos côtés et pourquoi maintenant tout est fini entre nous. » Albert Camus De nombreuses années après la d...