(1)

828 64 5
                                    

« C'est au pied du mur que l'on voit le mieux le mur.»


La porte claqua à quelques mini-centimètres de mon pauvre nez. Oups.

Elle avait vraiment osé... Me mettre à la porte, juste comme ça. Sous prétexte que j'eusse oublié que Monsieur le grand patron de sire Gabriel était convié à dîner. Pendant qu'on m'avait élégamment sommé de ne rentrer qu'à une heure indue. Non pas que débarquer à la mi-soirée, avec quelques verres dans le nez, les chaussures à la main et une attitude un peu trop euphorique pour la situation n'ait arrangé la chose.

Satanée petite mémoire de poisson rouge. Joanna venait de me fusiller du regard, me sermonnant dans un silence effrayant emplit de menaces. Et je me retrouvai sur le pallier, privée de mes clés, en ayant très envie de m'asseoir sur ses toilettes.

J'engloutis le fond de ma cannette, la déposai sur son paillasson en signe de rébellion, méditai un instant sur mon geste et à contre cœur, la récupérai. J'étais coupable. Et aggraver mon cas ne m'était d'aucune utilité. Je rajustai ma queue de cheval d'une main et me décidai à rejoindre l'ascenseur.

Nouvel objectif. Trouver un toit pour dormir. Et manger. Une pause pipi n'était pas non plus de refus. Il me fallait un plan, ou quelqu'un d'assez naïf.
Je contemplai mon téléphone, tout ces gens dans mon répertoire, avec qui je n'avais pas échangé ne serait-ce que trois mots depuis ce fameux jour.

     - Vous ne montez pas ?

La gravité de cette voix me remit les pieds sur terre.
Un géant bloquait d'une main les portes de la cabine. Il me faisait face, avec ses grands yeux bruns, il semblait attendre quelque chose de moi. Mon corps se remit en marche, et je pénétrai dans l'ascenseur. Ce type était imposant dans son costume qui le moulait à la perfection, me laissant deviner des muscles bien sculptés. Complètement sortie de ma transe, l'air me chatouilla les narines et me monta à la gorge. Ce mec me foutait les jetons sans aucune raison apparente.

L'infini instant se termina, les portes coulissèrent de nouveau et m'offrirent une bouffée d'oxygène. Il me laissa sortir la première, me suivant dans le hall d'un pas léger, presque inaudible. Je frissonnai, telle une proie prise au piège. Je me décidai à remettre les escarpins avant d'atteindre la grande porte.

     - Bonne fin de soirée.

Son murmure caressa mon dos, et je me retournai. Ma maigre concentration se focalisa sur l'homme, envoyant balader un instant mes peurs.

     - Oh, elle pourrait l'être... si vous m'autorisiez à me glisser dans vos draps !, m'exclamai-je avant de me mordre la langue.

Il esquiva un sourire sans jamais me lâcher du regard et me laissa apercevoir à peine une seconde la créature à travers ses yeux ambrés.
Parcourue d'un frison, je me mis à fixer ses pieds et entrepris une prière pour qu'il m'épargne. Au lieu de quoi, il me tendit sa carte de visite. Plus aucun doute, le grand patron se tenait devant moi et il répondait à ma suggestion.

Mon cadavre finirait dans la Seine, préalablement dévoré par Gabriel sous la demande de ma sœur. Personne ne me pleurerait.

     - Après réflexion, il serait plus sage que vous rentriez chez vous seul, réussis-je à dire sans élever trop la voix.
     - Puis-je vous déposer quelque part ?, me proposa-t-il en masquant soigneusement son sourire.

Il prenait son pied, essayant de me pousser plus loin dans ma connerie. Je déclinai son offre du revers de la main et le laissai ouvrir la porte. L'air quelque peu rafraichit me surpris. Nous nous adressâmes un dernier regard entendu et je traversai la route.

*

Un souffle chaud sur mon visage me démangeait le nez. Je grognai. Un rire presque inaudible m'incita à ouvrir les yeux. Je tombai sur d'autres, petits et bruns. La jeune fille perchée au dessus de mon visage me sourit malicieusement avant d'enfoncer son doigt potelé sur ma joue. Je la chassai d'une tape et elle recula.

     - Tes parents ne t'ont jamais dit de ne pas réveiller les gens ?, lui demandai-je en baillant.
     - Les tiens ne t'ont pas appris à remercier quelqu'un qui te vient en aide ?, me rétorqua-t-elle.

Plus de maturité en cette petite blonde de seize ans que moi du haut de mes vingt-quatre. Elle me laissa me redresser et me tendit une thermos tout en me toisant d'un regard presque maternel. Je pouvais sentir sa louve toute proche derrière ses prunelles terreuses.

     - Fruit rouge ?

Elle acquiesça et retourna farfouiller dans son affreux sac de cours badigeonné de correcteur illustrant ses goûts musicaux et revendiquant sa rébellion.
Je pris une gorgée de son thé et soupirai d'aise. Cette journée pouvait n'être que parfaite.

     - Tu ne pourras pas passer une seconde nuit-là, m'informa-t-elle d'un air distrait. Tu t'en sortiras ?
     - Capucine, l'interpelai-je. Je suis une grande fille, même si je me laisse un peu aller en ce moment... merci.
     - Je vais devoir ouvrir le magasin.

Elle semblait avoir trouvé son graal. Un stylo. Tant d'effort si tôt pour un vulgaire bic ? Cette gamine ne cessait de m'étonner.

     - Tu n'as toujours pas parlé à Joanna, n'est-ce pas ?

Ses yeux bruns vinrent rencontrer les miens, elle semblait bien soucieuse... mais ce n'était pas pour moi. Mon cœur se serra. S'ils découvraient ce qu'elle leur cachait...

     - Je suis désolée de te demander de ne pas en parler, et je sais que c'est très difficile pour toi, ma belle, lui avouai-je.

Je me levai et l'enlaçai. Caressant sa chevelure d'or toute frisée, elle s'en agaça et mit fin à notre étreinte.

     - Tu as juste beaucoup de chance qu'ils ne me posent aucune question sur cette affaire, glissa-t-elle. Quelqu'un finira par faire le lien.
     - Et si je me jette dans le fleuve ?

Elle me fusilla du regard cette fois, et me poussa à sortir du local dans lequel j'avais passé la nuit.
Puis, essayant de me faire culpabiliser encore un peu à travers le couloir, Capucine rendit les armes en m'ouvrant sur la ruelle déserte.

     - Cherry, par pitié, ne fais pas quelque chose de stupide même si c'est votre spécialité à vous, les humains, m'implora-t-elle.

     - Tu sors toujours avec ce Riley ?

Derrière sa crinière d'or, la jeune femme marmonna avant de refermer la porte. Encore une qui me laissait sur le paillasson.
Je mis mes mains dans les poches de ma veste, j'allai devoir rapidement trouver une solution. Partir, mais pour aller où ? Rester, et me jeter dans la gueule du loup. Je soupirai et m'engageai à prendre une décision prochainement, dans l'immédiat, j'allai affronter Joanna.

Cherry moi, s'il te plait.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant