Chapitre 2

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- Il a du potentiel ! Il faut juste que quelqu'un le forme un peu !

- Mais il peut très bien se former tout seul !

- Enfin David ! Regarde les choses en face : le petit ne connaît même pas la ville dans laquelle il est sensé dégoter à ses clients exactement ce qu'ils veulent, une perle rare pour laquelle ils auront un véritable coup de coeur ! S'il veut percer dans l'immobilier, il ne peut tout simplement pas y aller à l'aveuglette !

- Parce que tu as eu besoin d'un mentor, toi ?

Je n'en peux plus ! Cela fait une heure maintenant que nous bataillons avec David afin de décider si oui ou non mon travail consistera à former Axel. Je ne me rappelais pas que Monsieur était aussi têtu ! Un effet secondaire de sa migration en Amérique, sans doute... Toujours est-il que je commence à en avoir assez ! Non mais franchement, je ne rêve pas : le gosse est parfaitement à côté de ses pompes !

Mais que je suis méchante !

- Et puis de toute manière, je sais déjà exactement ce que tu vas faire !

Tiens, je l'avais presque oublié, lui !

- Si tu me fais trier les dossiers et servir le café je te tue !

Je perds mon sang-froid. Je suis fatiguée. Je n'ai pas dormi cette nuit. Je veux retourner pleurer sous ma couette, un pot de glace à la main en regardant Titanic. En résumé : tout sauf me disputer avec mon ami d'enfance pour un job que je serai incapable de faire impeccablement.

- Lara... Tu sais, si ça ne va pas, on peut en parler...

Il me connaît trop bien. Ma couverture est fichue ! Moi qui voulais lui faire croire que je venais enrichir mon Curiculum Vitae en y inscrivant une expérience aux États Unis... Raté !

- Aller Lara... Tu n'as jamais été aussi rude et directe. Je ne te connais pas cette amertume. Dis-moi, Lara...

Il est adorable, vraiment... Il ne veut que mon bien... Mais je ne peux pas. Et même si je pouvais, jamais je ne voudrais. C'est trop tôt, trop difficile. C'est ce genre de plaie qui met énormément de temps à cicatriser et dont vous garderez le souvenir toute votre vie.

Je baisse les yeux. Le fixer m'est devenu insupportable. Je sais que le fait de ne pas soutenir son regard prouve une certaine faiblesse, mais je n'y arrive plus. J'ai peur qu'il découvre ce que je cache rien qu'en étudiant mes expressions.
Et il en serait bien capable.

Je ne sais pas quoi lui répondre ; j'espère que mon silence aura parlé de lui-même.

- Parfois il vaut mieux partager ce qui nous tracasse. Garder tout pour soi n'est d'aucun secours, au contraire.

Je souris, toujours les yeux rivés sur le sol. C'est ce genre de sourire qui se veut rassurant et doux. Que pourrais-je bien faire d'autre ?

Je relève la tête. Ma trop grande fierté m'y oblige. Je dois rester forte.

- Que vas-tu me faire faire si je ne peux pas former le gamin ?

Il se met à sourire, lui aussi, d'un sourire plein de pitié. Je déteste la pitié. Je ne veux pas de ça... ou plutôt : ma fierté ne veut pas de ça.

Je sens mon visage se raidir et mes poings se serrer. Je suis à bout, pourtant je sais que ce n'était pas son intention.
J'ai changé et il n'était pas là pour assister à mon évolution forcée. Il m'a abandonnée.

Avant, j'aurais su garder mon calme et apprécier cette preuve de compassion. Je lui aurais peut-être même déjà balancé tout ça à la seconde où il a proposé de soulager mon coeur.

Mais plus maintenant.

Je prends mon sac à la volée et me dirige vers la porte. Je me retourne et le foudroie du regard avant de passer le seuil. Exactement comme il le faisait.

Je me mets à courir.

Je me sens perdue, seule dans cette ville immensément froide et sous cette pluie battante.

Je n'ai jamais été aussi faible.

- Eh fais attention ! Ça va pas ou quoi ? T'es suicidaire ma parole !

Qu'est ce que ?...

- Tu peux pas regarder où tu vas un peu ?

Alors toi, si tu ne t'arrêtes pas de me crier dessus immédiatement t'arrache les dents.

- La sécurité des autres, t'y penses ?

Respire, Lara, respire.

- Non mais tu connais pas le trottoir ! Un peu plus et je t'écrasais !

Baisse d'un ton l'ami. Pour ton bien propre.

- Complètement folle celle-là !

C'en est trop. Ce petit chauffeur de taxi va avoir de mes nouvelles ! Je m'avance vers lui, calme. Son expression change. Il est effrayé. Et il peut l'être.

- Je... Si... Non... Tu... Mais...

Je suis à sa hauteur. Je ne dis rien : les mots sont inutiles dans ce genre de situation.

- En fait... Tu.. Non... Enfin je... Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire... Euh...

Cherche-toi des excuses, vas-y. Ce n'est que plus jouissif.

Par contre, la perche qu'il vient de le tendre est intéressante. Je vais laisser tomber le masque de bourreau muet, juste pour m'amuser un peu.

- Alors qu'est ce que tu as voulu dire ? susurrais-je à son oreille.

Rassurer pour mieux détruire. Ça va être facile. Presque trop facile.

"Rassurer l'ennemi, ma belle, le sentir à ta merci, c'est le moment le plus... comment dire... exitant !"

Non. Je ne peux pas lui faire de mal. Je ne suis pas comme lui. Je dois m'en aller, aussi vite que possible.

Mais non. Cela ne sert à rien de se voiler la face. Je suis comme lui... Je suis devenue comme lui.

Je tombe. Autant au sens figuré qu'au sens propre.
Je m'affale sur le goudron, sous les dizaines de paires d'yeux ayant voulu assister à l'humiliation du latino.

Je n'en peux plus. Je dois partir. Je me relève avec difficulté, rejettant les deux femmes qui veulent m'aider.

Ce n'est pas moi. C'est lui. Je...

- Pardon... Je suis tellement désolée !

Je ne sais pas s' il m'a entendue. J'ai hurlé ces quelques mots alors que je prenais déjà la fuite. Je ne sais pas où je vais. Je reconnais certaines rues. Je me rends chez moi. Je n'entends rien. Je n'écoute pas. J'avance. Pourtant, ce silence me brise les tympans.

Plus jamais ça. Je ne dois pas.

J'arrive devant la porte de mon building dégoulinante de sueur. La pluie s' est arrêtée pendant que je tétanisais ma pauvre victime.

Mon dieu... Mais qu'ai-je fais ?

GoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant