Le soleil se lève enfin. 5h42... 5h42. Depuis que j'ai passé ma porte, la seule chose que j'ai réussi à faire, c'est me planter devant ma baie vitrée. J'ai observé l'horizon toute la nuit, debout, sans bouger. Aucune larme, rien. Tant mieux. Je ne pense pas. Je ne veux pas penser. Plus jamais. Pourtant il va falloir que je me reprenne, que je sorte de ma bulle, de ce cocon dans lequel je me sens si bien.
6h37... Et je n'ai toujours pas bougé. Aujourd'hui, j'en serai sûrement incapable. Mes jambes me font énormément souffrir, mais ce n'est rien comparé à l'étau qui emprisonne mon coeur. Je respire difficilement. Il faut que je me calme, sinon c'est la crise d'angoisse assurée.
Je m'assois, sans pour autant ôter mon regard de l'océan. Cela m'apaise. Je me laisse fermer les yeux, juste un instant.Je te hanterai jusqu'à la fin de tes jours, chérie.
Des frissons me parcourent l'échine.
Ne jamais fermer les yeux. Jamais.
7h00. L'heure de recommencer à vivre, survivre, l'heure de faire semblant.
Tous mes gestes se font de façon mécanique, par habitude. Je me vois me diriger vers ma salle de bain. Je ne contrôle rien. J'en sors. Je m'habille. Je ne prends pas la peine de manger. Cela ne servirait à rien. Je prends mes clés, ferme la porte, et m'engouffre dans l'ascenseur.Il est huit heures quand j'arrive à l'agence. Je ne compte pas masquer ma fatigue, ni plaquer de faux sourire sur mon visage. Non. Je n'en suis pas capable.
David. Mince. Je crois qu'il faut que je lui parle...
J'entends des bruits de pas venir de derrière moi. Je vais devoir affronter celui que j'estime le plus au monde.
Mes doigts se crispent sur la chaise du bureau que l'on m'a attribué. Même dos à lui, je sais qu'il me fixe. Aller Lara, courage.- Tu me dois des explications.
Franc et direct. Ses deuxième et troisième prénoms. Je me retourne. Désormais, je lui fais face. J'ai froid. Je veux m'enfuir... encore une fois. Cependant, je ne peux pas revenir en arrière. Je plonge mon regard dans le sien.
- Oui. Je le crois aussi.
La tension est palpable. Impossible de reculer : lance-toi, ma fille.
- J'ai perdu mes parents.
D'une traite. C'était plus facile.
- Accident de voiture.
Je le vois se décomposer. Il adorait mes parents, il les aimait comme si c'étaient les siens. Il faut savoir que les parents de David n'étaient pas très présents pour lui, alors il passait le plus clair de son temps chez moi, avec ma famille. David, c'est le frère que je n'ai pas eu.
- Je... Quand ?...
- Six mois après ton départ.
- Et... Tu... Pourquoi tu n'as pas... Pas appelé ?
Mon coeur se serre. Il ne m'accuse pas, il veut tout simplement savoir.
- Je... Tu venais de partir et... Je ne voulais pas que tu te sentes obligé de rentrer... Je ne voulais pas que tu abandonnes ta nouvelle carrière... Tu méritais d'avancer au maximum... Je ne... Mais...
Ça y est, je craque. Cela ne fait qu'un an, mais c'est comme s' ils s' en étaient allés hier. Je ne peux pas contenir mes larmes. David me prend dans ses bras. Il pleure aussi. Je n'aurais pas du être aussi directe, aussi froide. Mais... si je ne l'avais pas été, je n'aurais jamais pu aller au bout, jamais ces mots n'auraient pu passer mes lèvres.
- Chut... Ça va aller... Je ne t'en veux pas. On va surmonter ça tous les deux, ensemble. Ne t'inquiète pas... On va y arriver. Chut...
Je me calme. Je ne sais pas à qui il s' adressait ; lequel de nous deux il essayait de convaincre. Je ne veux pas que cette étreinte cesse. Je me sens en sécurité auprès de lui.
- C'est... Tu es sûre que c'était tout ce que tu avais à me dire ?...
Je pensais que cette semi vérité lui suffirait à s' expliquer mon comportement. J'avais tort. Il me connaît trop bien, beaucoup trop bien.
- Je... Oui... C'est déjà pas mal, non ?...
C'est mesquin de me servir de cette immense perte pour couvrir mes autres séquelles, mais s' il savait ce que je lui cache, j'ai peur de le dégoûter. En fait, c'est même pire que cela : j'ai peur de le décevoir.
- Je prends ma journée. Et toi aussi.
Ce n'est pas une question. On va prendre notre journée. Ce n'est pas négociable.
- Ça t'ennuie si on la passe chacun de notre côté ?
Je ne pourrai pas supporter son chagrin en plus du mien. C'est égoïste et vraiment petit de ma part, mais je sais que lui aussi voudra être seul pour digérer la nouvelle.
- J'allais te le proposer.
Nous échangeons de faibles sourires avant de prendre nos affaires et de nous en aller. Nous marchons quelques minutes dans la même direction. Lorsque nos chemins se séparent, David me paraît perturbé. Perturbé, mais perturbé par autre chose que par la nouvelle que je viens de lui annoncer.
- Tu es sûr que ça va ? Tu veux que je te raccompagne ?
- Non, merci, ne t'inquiète pas.
Après une brève accolade, je prends la direction de mon loft. Je suis rassurée. Enfin, son ton de voix se voulait rassurant. Rassurant.
Je me retourne. David n'a pas bougé d'un pouce. Il me regarde m'éloigner, perdu.
Je reste là où je suis. Que lui arrive-t-il ?- Enzo te passe le bonjour.
Et il me laisse là, la bouche béante et les idées en vrac. J'ai saisi la pointe de sarcasme. C'était plein de sous-entendus, presque accusateur.
Enzo... Enzo... Ça sonne latino ça...
Minuit. On ne distinguera bientôt plus le ciel de la mer. Observer l'horizon, je ne m'en lasserai jamais : c'est un spectacle merveilleux.
Mon téléphone sonne, me sortant de ma rêverie. C'est ma meilleure amie, Victoire. Je laisse sonner. Pour plus tard, le sermon.
J'éteins mon portable ; je le rallumerai dans une heure, quand elle aura lâché l'affaire.J'espère que David va bien. J'aurais vraiment dû y aller plus doucement, prendre des gants, au lieu de ne penser qu'à moi. Tout ce que je souhaite, c'est l'aider et faire ce que lui ne fait plus depuis près de deux ans : épauler.
Des gouttes d'eau viennent s' échouer sur mes carreaux : il pleut. Quand nous étions petits, avec David, nous nous imaginions que les perles transparentes qui tombaient du ciel étaient en fait les larmes que retiennent toutes les personnes tristes. Sincèrement, cette innocence enfantine me manque.
On ne se rend pas compte, lorsque l'on est petit, de la chance que c'est d'ignorer les sombres aspects de l'existence.L'averse me fait du bien.
Je m'assois.
Le son de l'eau qui s' écoule sur les vitres me berce.
Je me laisse alors doucement tomber dans les bras de Morphée.
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Gone
Teen FictionTout effacer. Tout recommencer. Tout oublier, parce que le passé est trop lourd à porter. Lara va vite se rendre compte que fuir sa réalité est plus dangereux que cela n'en avait l'air.